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Le Museum Krona, un point de rencontre entre patrimoine religieux et art contemporain

Par Edo Dijksterhuis, traduit par Pierre Lambert
17 juillet 2023 7 min. temps de lecture En mode musée

Au Museum Krona, des crucifix et ostensoirs séculaires côtoient des tableaux et photographies d’artistes contemporains. Cette confrontation donne naissance à des expositions particulièrement originales dans un espace muséal splendide. L’authenticité des lieux est garantie par les cinq religieuses qui continuent à vivre et à travailler au sein du complexe abbatial.

Situé aux abords de la commune d’Uden, dans le Brabant-Septentrional, le Museum Krona n’est pas facile à trouver. Et, une fois garé, il faut encore chercher quelque peu l’entrée, qui se cache au détour du mur d’enceinte vieux de plusieurs siècles. Là, on laisse derrière soi les habitations du quartier périphérique pour ne plus apercevoir qu’un champ de couleur brunâtre et un bosquet verdoyant un peu plus loin. Lorsqu’on franchit l’imposant portail de pierre, le dépaysement est total. Dans un jardin clos, quelque 150 espèces de plantes, cultivées pour leurs vertus médicinales et culinaires, occupent des parterres délimités par des haies de buis. Protégé du vent par les hauts murs, l’endroit semble bénéficier d’un demi-degré en plus, et le silence qui règne ici pousse spontanément le visiteur à baisser le ton de sa voix en un chuchotement.

Cette oasis de verdure jouxte un complexe abbatial pluriséculaire, où un musée a ouvert ses portes en 1973. En soi, rien d’exceptionnel. D’autres musées néerlandais ont un passé monastique, comme le Prinsenhof à Delft, l’Agnietenklooster à Utrecht –qui abrite aujourd’hui le Catharijneconvent– ou encore le Prieuré des chanoinesses à Maarsen, édifice en béton des années 1960 où le Buitenplaats Doornburgh a élu domicile il y a six ans. Toutefois, le Museum Krona s’en distingue sur un point majeur: le bâtiment remplit toujours son ancienne fonction, car cinq religieuses continuent à y vivre et travailler.

Les moniales appartiennent à l’ordre du Très Saint-Sauveur, fondé au XIVe siècle par sainte Brigitte. Cette noble suédoise fut d’abord épouse et mère de famille nombreuse avant de jouer un rôle actif dans la vie ecclésiale et politique de son temps. En 1434, l’ordre s’implante aux Pays-Bas en fondant un double monastère près de Rosmalen. Trois siècles plus tard, la Réforme chasse ses habitants, qui trouvent alors refuge à Uden.

À l’origine, l’abbaye se situait en dehors de la zone bâtie et était fermée au monde extérieur. Mais lorsque la sécularisation s’accélère après la Seconde Guerre mondiale, réduisant le nombre de moines et moniales, l’abbesse décide de réaffecter une partie des bâtiments vacants en espace d’exposition. Le nom initialement choisi –musée d’Art religieux– cadrait parfaitement avec le caractère désuet du musée, qui avait le dynamisme et l’attrait d’un cabinet d’antiquités. Pourtant, il renferme une collection non négligeable d’icônes, d’argenterie et d’extraordinaires sculptures en bois de la fin du Moyen Âge.

Les sculptures en question ont fait un détour par le Rijksmuseum d’Amsterdam. En effet, l’architecte du célèbre musée, Pierre Cuypers, connu pour avoir parsemé la moitié des Pays-Bas d’églises néogothiques et d’autres édifices religieux et civils au tournant du XXe siècle, avait acheté ses œuvres lors d’un passage à Uden et les avait installées dans sa réalisation la plus célèbre. Le musée amstellodamois, qui possède beaucoup plus d’objets qu’il ne peut en exposer, a renvoyé les sculptures à Uden dans le cadre d’un prêt de longue durée. C’est aussi la raison pour laquelle un représentant du Rijksmuseum siège au conseil d’administration du Museum Krona.

Ce lien avec le «trésor national» a mis en branle, il y a bientôt vingt ans, un processus qui a transformé le Museum Krona en un véritable joyau. En effet, pendant la fermeture du Rijksmuseum pour cause de rénovation, ce petit musée provincial, totalement inconnu, s’est vu prêter de formidables chefs-d’œuvre. Il s’est mis à échafauder de vastes projets et sa direction rêvait secrètement de rivaliser avec le Catharijneconvent, principale institution d’art religieux aux Pays-Bas. Mais faute de soutien financier, les ambitions d’expansion ont dû être reportées sine die.

Le musée a néanmoins réussi à se réinventer à une échelle plus modeste grâce à une résilience et une créativité peu communes. L’architecte Cees Dam, engagé pour mener à bien la rénovation de l’édifice, a doté celui-ci d’une véranda au style moderniste dépouillé. Cette annexe forme comme un trait d’union transparent entre le jardin botanique et l’intérieur du bâtiment, en partie modernisé par Dam. Le mariage entre l’ancien et le nouveau prédomine aussi dans les expositions. Enfin, pour communiquer sa transformation au monde extérieur, l’établissement a changé son nom en Museum Krona. Ce mot suédois pour «couronne» fait référence à la coiffe des Brigittines, composée de trois bandes blanches qui s’entrecroisent et sont fixées à cinq ronds d’étoffe rouge symbolisant les plaies du Christ.

Après avoir traversé l’entrée lumineuse où sont installées une cafétéria et une billetterie, le visiteur pénètre directement dans la salle d’exposition, qu’il peut embrasser du regard dans toute sa largeur grâce aux travaux de Dam. Elle semble beaucoup plus spacieuse que le nombre de mètres carrés réellement occupés. L’aile où se trouvaient jadis les cellules du monastère dégage une ambiance particulière avec son sol carrelé en damier et ses hauts plafonds.

C’est là qu’a trouvé place la collection permanente, qui comprend entre autres de magnifiques ostensoirs, une copie ancienne d’un tableau de Jérôme Bosch et un crucifix de 1470 avec un Christ au regard d’une sérénité inouïe. Mais on y découvre aussi un imposant polyptyque de la dernière Cène, composé de cinq photographies de Rauf Mamedov, où posent des modèles atteints du syndrome de Down. Grâce à la diversité magistrale des expressions faciales et corporelles, on ne se rend pas compte qu’ils y jouent différents rôles, ni même que Judas et Jésus sont représentés par la même personne.

Au sein de l’exposition permanente, le scriptorium mérite une mention particulière. Il contient une immense armoire murale dont on peut ouvrir les tiroirs, qui s’illuminent alors pour révéler un trésor de manuscrits anciens, mêlant bréviaires du XVe siècle et bulles papales. On admirera la qualité exceptionnelle de ces pages entièrement recouvertes d’un texte dense et d’enluminures souvent rehaussées de feuille d’or.

La majeure partie du bâtiment est utilisée pour des expositions temporaires, trois par an, dont une de grande envergure. Actuellement, il s’agit de Krona als hoofdzaak (que l’on pourrait traduire par La couronne en tête) qui présente couronnes, chapeaux et autres couvre-chefs ainsi que leur signification à travers les époques. À l’automne prochain, une exposition sera entièrement consacrée à des œuvres de femmes artistes, sur le thème des visions mystiques. Un choix qui s’inspire de la vie de sainte Brigitte, célèbre pour les messages que Dieu lui demandait de communiquer.

Si ces expositions temporaires offrent des perspectives surprenantes et ont une véritable allure internationale, elles occupent tellement d’espace qu’il reste peu de place pour une présentation étendue de la collection propre du musée. Ce problème a été résolu de façon ingénieuse en installant des diaporamas dans un petit vestibule adjacent au dépôt. Dès qu’un visiteur entre, la lumière jaillit pour mettre en évidence une sélection d’objets. À travers la vitre arrière, on peut également apercevoir l’espace d’entreposage, dont les étagères regorgent de calices, pièces d’argenterie et crucifix.

Toute personne visitant le Museum Krona pour la première fois sera stupéfaite par la qualité exceptionnelle de ce musée, uniquement connu d’un public restreint. Cela s’explique sans doute par la faible densité muséale de la région, qui n’attire pas beaucoup d’amateurs d’art et encore moins de visiteurs occasionnels. Entretemps, le musée mise sur son intégration au Kloosterpad, un itinéraire de randonnée long de 330 kilomètres qui permet de découvrir, au fil de quinze étapes, cinquante monastères et abbayes du Brabant oriental. On y trouve d’autres sites assez intéressants, mais seul le Museum Krona parvient à associer avec brio le patrimoine religieux, tant passé que vivant, et l’art contemporain. S’il existait un guide Michelin des musées, cet endroit mériterait la mention «vaut absolument le détour».

www.museumkrona.nl
Edo Dijksterhuis

Edo Dijksterhuis

journaliste intéressé par les arts, le design, le cinéma et la littérature

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