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L’enseignement du néerlandais dans le nord de la France et en Belgique francophone

Par Bianca Versteeg, traduit par Marcel Harmignies
18 octobre 2021 10 min. temps de lecture Passerelles entre francophonie et néerlandophonie

L’enseignement du néerlandais dans le nord de la France et la Belgique francophone fait l’objet, depuis des années, de diverses réformes et est confronté à des défis spécifiques tels que l’image de la langue (et de la discipline) et une pénurie sérieuse de professeurs. Une récente enquête de perception décrit de l’intérieur les expériences d’élèves et d’enseignants et révèle quelques points névralgiques.

Afin de pouvoir dresser un panorama fidèle, il est nécessaire de disposer de chiffres récents et comparables concernant la Belgique francophone et le nord de la France. Bien qu’il existe des résultats -et les statistiques associées- d’une enquête récente sur l’enseignement du néerlandais langue étrangère (NVT, Nederlands als Vreemde Taal), ceux-ci visent toujours des groupes cibles différents dans les deux territoires, ou bien sont collectés dans un autre but. Dans le récent rapport De leerling aan het woord (L’Élève a la parole) de la Taalunie (Union de la langue néerlandaise) à La Haye1, les deux régions sont effectivement décrites. Le rapport nous indique comment se déroule l’enseignement du néerlandais, du point de vue des élèves et des professeurs concernés.

La Taalunie
a organisé cette enquête de perception en collaboration avec des partenaires régionaux de l’éducation en 2019. Elle a évalué les expériences de l’enseignement du néerlandais langue étrangère en France, en Belgique et en Allemagne. On a interviewé environ 3 000 élèves issus des régions voisines de l’aire linguistique néerlandophone. Intéressant … car quel regard les premiers intéressés, les professeurs et les élèves, portent-ils eux-mêmes sur l’enseignement? Estiment-ils que le néerlandais est une langue difficile ou facile? Les élèves trouvent-ils les cours motivants ou parfaitement ennuyeux?

Bien que de nombreux élèves espèrent avoir grâce au néerlandais de meilleures chances sur le marché du travail et qu’ils soient généralement satisfaits du contenu des cours, ils indiquent aussi dans l’enquête qu’ils souhaiteraient que davantage d’attention soit accordée à la conversation et à la culture néerlandophone. Ce sont certainement des points à prendre en compte si l’on veut motiver les élèves et les étudiants.

Au cours de l’enquête, la parole a également été donnée aux professeurs de néerlandais langue étrangère. Ils ont indiqué, entre autres, avoir besoin de soutien pour le développement d’activités d’expression orale. En outre, les enseignants francophones ont fait savoir qu’ils souhaitaient perfectionner leurs propres compétences linguistiques, afin de pouvoir utiliser le néerlandais plus souvent et plus efficacement dans leurs cours.

La langue demeure abstraite

Lors d’une table ronde organisée récemment par la Haute École Louvain en Hainaut (HELHa) à Loverval, les thèmes de la motivation et de la culture ont également été abordés. Au cours de cette réunion en mode numérique, les étudiants de la filière enseignement, comme les professeurs des différents niveaux, ont pu échanger expériences et exemples pratiques.

Beaucoup de professeurs de néerlandais langue étrangère sont à la recherche de soutien sous forme de formation ou de cours

Il a été signalé que, pour nombre d’élèves, la langue demeure très abstraite. «Quand j’étais étudiant, le néerlandais était pour moi la langue du manuel et des sujets fixés d’avance», a dit un jeune professeur, «alors que l’on peut stimuler et motiver les élèves et les étudiants en étant dans le réel, en connaissant leurs centres d’intérêt et en utilisant la langue apprise dans des situations aussi réalistes que possible. Moi-même, je n’ai véritablement utilisé le néerlandais que lorsque j’ai visité Louvain et voulu en savoir plus sur cette ville et ses habitants.»

En contact avec le vrai néerlandais

Pour motiver et stimuler les élèves et les étudiants, on travaille souvent de manière interdisciplinaire dans le nord de la France et en Belgique francophone, de telle sorte que non seulement ils apprennent le néerlandais, mais commencent aussi à s’instruire dans cette langue. On rencontre cela aussi bien dans les écoles en immersion que dans des établissements où le néerlandais n’est enseigné qu’en tant que langue étrangère. Les écoles en immersion sont des écoles où une partie de l’enseignement est assurée dans une langue étrangère. C’est l’établissement qui détermine le nombre et la nature de ces matières.

Dans les écoles où le néerlandais n’est enseigné que comme matière linguistique, les collaborations avec un professeur d’une autre matière sont de plus en plus fréquentes. Non seulement, les élèves apprennent quelque chose au cours d’histoire sur des personnages célèbres, par exemple Rembrandt, mais au cours de néerlandais ils apprennent aussi à décrire cette personne, ou bien ils en réalisent une interview fictive. De plus, il existe une forte demande d’écoles partenaires en Flandre et aux Pays-Bas. Travailler avec des gens de son âge sur un même sujet est, en effet, très motivant.

Julie Bondue, enseignante de néerlandais au collège Jeanne de Constantinople de Nieppe (département du Nord), explique qu’elle motive les élèves en réagissant à leurs centres d’intérêt et surtout en faisant appliquer immédiatement la matière apprise dans un contexte évocateur. «Quand j’ai eu la possibilité de débuter un échange avec une école néerlandaise d’Utrecht, c’est ce que j’ai tout de suite fait», explique l’enseignante enthousiaste. «L’échange dure maintenant depuis trois ans. L’année scolaire dernière, c’était naturellement une gageure, car nous n’avons pas pu nous rendre mutuellement visite du fait de la pandémie de Covid. Les élèves ont alors échangé des lettres. Cela paraît un peu démodé, mais ils ont trouvé très amusant d’écrire sur du beau papier à lettres et l’ouverture de l’enveloppe des correspondants était toujours un moment sympathique. Au moins, les élèves entrent alors en contact avec le «vrai» néerlandais. Nous complétons les activités avec des vidéos sur eux-mêmes, leur ville et ses environs et des conversations en vidéo avec l’autre classe. Les jeunes apprécient beaucoup d’apprendre quelque chose sur la culture des néerlandophones de leur âge et ils constatent immédiatement qu’ils en savent déjà pas mal sur cette langue étrangère!»

Un besoin urgent de soutien pour les enseignants

Comme l’enquête de la Taalunie l’avait déjà révélé, beaucoup de professeurs de néerlandais langue étrangère sont à la recherche de soutien sous forme de formation ou de cours. La France et la Belgique francophone disposent chacune d’une offre de formation continue ouverte aux enseignants. Ce qui leur fait cependant défaut, ce sont des thèmes correspondant aux nouveaux défis de l’enseignement des langues comme les stratégies de communication, l’expression orale, l’usage de la vidéo en classe, les méthodes de travail faisant appel au numérique et l’usage de la langue cible en classe.

D’autre part, de nombreux professeurs sont toujours à la recherche de nouveaux matériels didactiques. Guillaume Brioul du Lycée des Flandres d’Hazebrouck (département du Nord): «Les méthodes actuelles de néerlandais langue étrangère ne cadrent pas bien avec l’enseignement français. Nous travaillons autour d’un certain nombre de thèmes fixes récurrents dans toutes les matières. En outre, en France le néerlandais n’est pas une première, mais une seconde ou troisième langue étrangère. Sur la base des objectifs, je recherche donc du matériel adapté et attrayant que je puisse utiliser en classe. Parfois ce sont des exercices interactifs, d’autres fois j’ai recours à des jeux, des chansons ou du rap. J’explore Internet à la recherche d’idées pour un cours amusant et efficace.»

Aussi bien en Wallonie qu’en France, faute de professeurs qualifiés, de plus en plus de locuteurs natifs et d’anciens étudiants intéressés sont sollicités pour dispenser quelques heures de néerlandais hebdomadaires. À Bruxelles, c’est la moitié des enseignants du primaire qui n’ont pas la qualification officielle pour donner des cours de langue. Ils sont, si possible, soutenus par des moniteurs, mais il existe certainement un besoin de formation et d’encadrement des nouveaux professeurs.

Un enseignement fonctionnel de la langue

Aussi bien en France qu’en Belgique francophone, les objectifs sont formulés depuis quelques années en énoncés can do
basés sur le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR)2. Ce cadre, initialement destiné à décrire le niveau de compétence attendu des locuteurs (adultes) dans des situations de communication définies, a été adapté et complété en 2020 afin, entre autres, de mieux correspondre au groupe important de professeurs qui utilisent régulièrement le CECR. Depuis, des référentiels ont été ajoutés pour les 7/10 ans et 11/15 ans afin de mieux correspondre au monde des jeunes.

Il demeure important de bien informer les directions d'établissements, les élèves et leurs parents sur le néerlandais et de leur présenter, de manière accessible, la langue et la culture.

Différentes évaluations, comme le CE1D et la NVT-jongerenevaluatie
(évaluation en classe de néerlandais langue étrangère), ont également recours à des tâches fonctionnelles pour la détermination du niveau linguistique des élèves. Le CE1D est une évaluation obligatoire, organisée par le ministère de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour les élèves de deuxième année de l’enseignement secondaire. La NVT-jongerenevaluatie est une évaluation formative externe et facultative organisée par la Taalunie et le CNaVT (Certificaat Nederlands als Vreemde Taal – Certificat de néerlandais langue étrangère). «Ces évaluations ont aussi une fonction d’exemplarité», indique un enseignant conseiller, «les professeurs ont le souci de bien préparer les élèves aux évaluations et sont donc attentifs à l’amélioration de la communication dans leurs propres cours.»

Les atouts de l’immersion

Les élèves qui suivent un enseignement régulier efficace et motivant du néerlandais deuxième langue peuvent, à la fin du secondaire, atteindre un niveau très acceptable. Tel n’est hélas pas le cas dans toutes les écoles. L’enseignement en immersion demeure donc pour les parents une alternative intéressante pour ambitionner une bonne maîtrise du néerlandais.

En France deux initiatives ont été prises pour renforcer l’offre de langue néerlandaise. Ainsi, à Tourcoing et Halluin (département du Nord), en 2018, une section internationale de néerlandais a été mise en place par le ministère de l’Éducation nationale en collaboration avec des partenaires flamands et néerlandais (ministère, ambassade et inspection). Le néerlandais est ainsi mieux mis en valeur dans le programme scolaire et, grâce à un supplément d’heures et à l’offre d’autres matières en néerlandais, la possibilité est donnée aux élèves de la région intéressés d’améliorer leur niveau en néerlandais. De plus, à l’initiative du maire, une école primaire de Dunkerque propose aux plus jeunes un enseignement bilingue, dans lequel les enfants d’âge préscolaire accomplissent une moitié des activités en néerlandais et l’autre en français. L’inspection académique régionale souhaite élargir l’initiative ces prochaines années aux écoles primaires et à l’enseignement secondaire.

En Belgique francophone, le choix du néerlandais en immersion reste populaire. La plupart des écoles d’immersion disposent d’un département pour le néerlandais (86 établissements d’enseignement secondaire et 139 écoles primaires3). Les résultats de diverses enquêtes ont montré que les élèves issus de l’enseignement en immersion ont un meilleur niveau linguistique à la sortie (pour les compétences réceptives). Le nombre total d’élèves suivant un enseignement en immersion demeure relativement faible. Seulement 3,5 % des élèves de l’enseignement primaire et secondaire suivent un enseignement bilingue.

Promotion

Beaucoup d’élèves et d’étudiants qui doivent faire un choix ne savent pas en quoi l’apprentissage de la langue néerlandaise peut être utile. Ils choisissent l’anglais, l’espagnol ou l’une des autres langues parce qu’elles semblent plus faciles ou ont une meilleure image. Dans certaines écoles francophones, des initiatives sont bien organisées pour promouvoir le néerlandais auprès des élèves des premiers niveaux. Des professeurs déclarent eux-mêmes qu’ils trouvent dommage qu’on n’y consacre pas toujours assez de temps et d’argent. Philippe Hiligsmann, professeur de linguistique néerlandaise à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, affirme: «Il est extrêmement utile de choisir le néerlandais. Les employeurs sont toujours à la recherche de collaborateurs polyglottes. C’est réellement un avantage de pouvoir montrer que l’on possède un bon niveau de néerlandais.»

Il demeure aussi important, dans les années qui viennent, de bien informer les directions d’établissements, les élèves et leurs parents sur le néerlandais et de leur présenter, de manière accessible, la langue et la culture.

Les forces sont regroupées

Bien que, si l’on en croit divers articles dans les médias, l’enseignement du néerlandais en francophonie semble aller très mal, il ressort des différentes enquêtes et des conversations avec les personnes interrogées que ça bouge dans l’enseignement du néerlandais langue étrangère. Les professeurs s’adaptent autant que possible à l’enseignement numérique et au multilinguisme en classe. Ils s’efforcent de rendre leurs cours toujours plus efficaces et motivants. On leur demande cependant beaucoup et tous ne savent pas où il est possible de trouver un soutien.

Un certain nombre d’autorités éducatives (collectivités régionales, inspections académiques, Taalunie) travaillent ensemble pour réunir les informations pertinentes et, éventuellement, monter des actions communes ciblées. C’est précisément l’implication des enseignants dans ces actions qui est susceptible d’entraîner rapidement des effets tangibles pour eux-mêmes et leurs élèves, ce qui, nous l’espérons, motivera encore plus d’élèves et d’étudiants à parier sur le néerlandais.

Notes
1 La Taalunie
(Union de la langue néerlandaise) est une organisation officielle qui développe et stimule la politique concernant le néerlandais aux Pays-Bas, en Flandre et au Surinam, et soutient le néerlandais dans le monde. Le rapport complet et les résultats de l’enquête sont disponibles sur le site de la Taalunie (voir https://taalunie.org/).
2 Les objectifs pour les différents niveaux de sortie peuvent être consultés sur les sites Internet des ministères de l’Éducation concernés.
3 Chiffres consultables sur www.enseignement.be
Bianca rond

Bianca Versteeg

cofondatrice du «Bureau NVT - Bureau Nederlands als vreemde taal»

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