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Le Next Nature Museum est un vaisseau spatial de techno-optimisme

Par Edo Dijksterhuis, traduit par Maxime Kinique
13 décembre 2024 8 min. temps de lecture En mode musée

Depuis soixante ans, une soucoupe volante géante domine un quartier calme de la périphérie d’Eindhoven. Son nom? Evoluon. Construit à l’origine par Philips afin d’abriter un musée scientifique, ce bâtiment singulier est devenu, sous le nom de Next Nature Museum, une vitrine des scénarios du futur. Des scénarios élaborés par Next Nature, l’organisation qui se fait le porte-voix du techno-optimisme débridé et souvent contagieux de Koert van Mensvoort.

«Nous sommes tous des astronautes à bord du vaisseau spatial Terre», s’est exclamé Wubbo Ockels après être devenu le premier Néerlandais à voyager dans l’espace. Ockels n’était pas le premier à utiliser cette métaphore de la Terre comme vaisseau spatial. Dès 1879, l’écrivain Henry Georg comparait notre planète à «un bateau bien approvisionné à bord duquel nous voyageons à travers l’espace». Et en 1969, l’architecte visionnaire Buckminster Fuller écrivait son Operating Manual for Spaceship Earth (Manuel Opérationnel du Vaisseau Terre).

Trois ans avant que le Club de Rome tire la sonnette d’alarme à propos des dangers de la surpopulation, du capitalisme débridé et de la destruction de l’environnement dans Les Limites à la croissance, Fuller réfléchissait déjà à des solutions. Il a inventorié les principaux défis et a formulé sans ambages cette question essentielle: que devons-nous faire afin d’éviter l’extinction de l’espèce humaine? Dans le cadre de cet exercice, il s’est intéressé notamment à la production alimentaire, à l’automatisation et aux aspects problématiques de la spécialisation. Résultat? Un plaidoyer en faveur de l’innovation. La méthode préconisée par Fuller? Révolutionner le design.

Next Nature peut être considérée comme l’héritière directe de Fuller. L’organisation dirigée par l’artiste, philosophe et scientifique Koert van Mensvoort explique que sa mission consiste à «entraîner l’équipage du vaisseau Terre». Elle échafaude des scénarios futuristes dans lesquels notre rapport à l’écologie, l’économie et l’organisation de la société change radicalement. Cela peut sembler très théorique, mais le programme étonne par son côté pratique et son accessibilité.

Next Nature ne prône pas un retour à la «bonne vieille» nature, mais plaide pour avancer vers une nouvelle nature, transformée par la technologie

Next Nature se situe au croisement entre un groupe de réflexion, un laboratoire de design et un bureau de communication. C’est une organisation qui incite les gens à réfléchir à l’avenir en leur montrant à quoi celui-ci pourrait ressembler, de la viande de culture (ou viande in vitro) aux écopièces en passant par la nanotechnologie et de nouvelles formes d’industrie manufacturière.

Le nom Next Nature en dit long sur la vision de l’organisation. Van Mensvoort ne considère pas la technologie comme la deuxième nature de l’homme, mais comme le cadre de vie primaire de la version 2.0 de l’humanité. Dans sa vision, la «technosphère» se construit sur les millions d’années de la biosphère. Un modèle à première vue équilibré mais sur les plans conceptuel et pratique, l’accent porte surtout sur la composante de ce milieu de vie qui porte la griffe de l’homme. Next Nature ne prône pas un retour à la «bonne vieille» nature, mais plaide pour avancer vers une nouvelle nature, transformée par la technologie.

Next Nature a entamé ses activités en 2005 sous forme de blog et a développé dans les années suivantes des projets spéculatifs dans le domaine de la biotechnologie. Van Mensvoort cherchait un site où il pourrait mettre sur pied un programme plus vaste et où son organisation pourrait gagner en visibilité, et il est finalement revenu là où il avait étudié les sciences informatiques dans les années 1990 avant de faire un doctorat en dessin industriel. C’est en effet à Eindhoven qu’il a trouvé l’emplacement idéal pour établir son camp d’entraînement pour les astronautes de demain: l’Evoluon.

Une soucoupe volante à Eindhoven

Toute personne ayant visité l’Evoluon durant son enfance dans le cadre d’une excursion scolaire ou familiale n’a pas oublié à quel point le bâtiment, même presque sexagénaire désormais, est et reste impressionnant. C’est comme si des extraterrestres avaient atterri dans la périphérie d’Eindhoven et posé leur énorme soucoupe volante sur une pelouse.

Les architectes Louis Kalff et Leo de Bever avaient été chargés de ce chef-d’œuvre architectonique qui a été érigé en 1966 afin de fêter les 75 ans de l’entreprise Philips, fondée à Eindhoven. La coupole d’un diamètre de 77 mètres est supportée par pas moins de 169 kilomètres de câbles. Tandis que le bâtiment en forme de disque impressionne de l’extérieur par son look futuriste, les visiteurs restent bouche bée, à l’intérieur, en contemplant le plafond représentant la voûte céleste.

Durant ses 23 premières années d’existence, l’Evoluon a fait office de musée de la technologie, le premier du genre aux Pays-Bas. Il a aussi été le premier musée où les visiteurs peuvent tourner des boutons et tirer sur des poignées afin d’activer des expériences et des modèles de démonstration. À la fin des années 1980, l’Evoluon perd ce monopole et doit composer avec la concurrence de musées scientifiques nettement plus à la pointe du progrès technologique. Il commence à perdre de l’argent, et Philips ne se porte pas au mieux lui non plus. En réaction, l’espace d’exposition sera fermé et le bâtiment sera reconverti en centre de congrès et d’événements.

À partir de 2012, l’Evoluon se rappelle au bon souvenir du grand public en accueillant une première exposition temporaire dédiée, cette fois, au cerveau de l’homme. L’année suivante, le groupe allemand d’électro-pop Kraftwerk s’y produit à quatre reprises et le bâtiment sert également de lieu de tournage pour plusieurs films et séries télévisées.

Du rétrofuturisme à l’agriculture de demain

En 2022, Next Nature s’y installe et l’Evoluon redevient enfin autre chose qu’un simple décor spectaculaire. Depuis l’été 2024, d’ailleurs, seul le bâtiment porte encore ce nom; le musée, lui, a été rebaptisé Next Nature Museum.

Avec la première exposition, le nouvel occupant du bâtiment en forme de disque a étalé sa conscience historique. RetroFuture présentait en effet les visions de l’avenir de nos (lointains) prédécesseurs, du rêve de voler que caressait Léonard de Vinci aux appels vidéo que les ingénieurs de Philips avaient imaginés bien avant que Skype et Zoom apparaissent sur le marché. L’exposition inaugurale a été précédée d’un projet VR en ligne qui, en pleine pandémie de coronavirus, a suscité davantage d’intérêt qu’en temps normal. Les utilisateurs ont pu se catapulter des milliards d’années dans le futur, s’appropriant ainsi la destinée de Next Nature.

Ce gigantesque bond dans le temps n’est guère dans les habitudes de l’organisation, qui s’en tient généralement à une ligne d’horizon plus proche en s’attaquant à des thèmes actuels, susceptibles d’interpeller directement les visiteurs. Ce constat s’applique incontestablement à l’actuelle exposition Space Farming; s’alimenter est en effet un besoin universel et avec les protestations quasi hebdomadaires du monde agricole, le thème de la production alimentaire est dans tous les esprits.

Dans Space Farming, Next Nature montre comment, en 2050, nous serons capables de nourrir sans problème une population mondiale de dix milliards d’individus grâce, par exemple, à la vache mécanique Margaret des Those Vegan Cowboys ou au bioréacteur de Space 10, qui produit des algues comme substituts riches en protéines à la viande. En collaboration avec un biologiste spatial de Wageningen, Next Nature explorera également les possibilités de développer une agriculture sur Mars ou sur la Lune.

Le Next Nature Museum a attiré en 2023 plus de quatre-vingt-mille visiteurs, un chiffre plus qu’honorable pour une toute jeune institution. Celle-ci voit néanmoins plus grand: son objectif est de faire voyager les présentations et de s’adresser à un public international. Next Nature publie également des livres sur des sujets qui intéressent beaucoup de monde, comme l’influence de nos téléphones portables sur notre vie quotidienne. Tout est présenté avec des textes attrayants, presque aguichants, et dans une forme soignée qui ne dénoterait pas dans un spot publicitaire.

Le moteur créatif derrière cette production littéraire est Mieke Gerritzen, l’ancienne directrice du MOTI (Museum of the Image), qui n’est autre que la compagne de Van Mensvoort. Ce dernier ne manque lui non plus pas de charisme, qu’il exhibe allègrement dans les conférences qu’il donne et les projets dans lesquels il s’investit extra muros. Dans une publication dans le cadre du projet d’artiste en résidence mené par la Rabobank, il s’autoproclame funambule: «Je veux être au milieu. Avec la tête dans les nuages, les jambes au sol et les mains dans la boue.»

Sur le plan idéologique, en revanche, Van Mensvoort n’est absolument pas «au milieu». C’est un indécrottable techno-optimiste qui a une foi inébranlable en la capacité d’innovation de la raison humaine pour reconstruire sur le champ de ruines que nous avons nous-mêmes créé avec cette même confiance dans le progrès.

Embrassons la technologie et un avenir radieux nous tendra les bras, professe Koert van Mensvoort à la manière d’un grand prêtre

Alors que les prophètes de malheur considèrent l’Anthropocène comme l’antichambre de l’Apocalypse, Van Mensvoort y voit au contraire le début d’une nouvelle ère. Embrassons la technologie et un avenir radieux nous tendra les bras, professe-t-il à la manière d’un grand prêtre. Un message dont le retentissement atteint des sommets dans le cœur high-tech des Pays-Bas qu’est Brainport Eindhoven, le temple ultime du modernisme.

L’organisation Next Nature n’est certes pas totalement inconsciente des aspects potentiellement négatifs de la technologie, mais les réserves éthiques sont généralement étouffées par des perspectives incontestablement impressionnantes. Dans un paysage muséal où la tonalité de couleurs est plutôt sombre, cette approche peut avoir un côté très rafraîchissant. La prochaine exposition, en 2025, fera office de test ultime pour le sens de l’équilibre de Van Mensvoort. Dans Enter Spaceship Earth, Next Nature nous montre comment nous comporter au mieux en tant qu’astronautes de notre planète, alors que nous aurions toujours besoin d’en avoir trois comme la nôtre pour continuer à produire et consommer autant que nous le faisons actuellement!

Le Next Nature Museum accueille en ce moment deux expositions: RetroFuture et Spacefarming. Toutes les informations à ce propos sont disponibles sur le site du musée.

Edo Dijksterhuis

Edo Dijksterhuis

journaliste intéressé par les arts, le design, le cinéma et la littérature

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