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Le nouveau musée de l’Holocauste d’Amsterdam jette un regard clair sur la persécution des Juifs

1 mars 2024 13 min. temps de lecture

La mémoire de ce qu’a été l’Holocauste et de la manière dont les Néerlandais y ont participé est en déclin, en particulier chez les jeunes. Le nouveau Musée national de l’Holocauste, dont l’ouverture est prévue à Amsterdam le 11 mars 2024, arrive donc à point nommé. Mais qu’amènera-t-il de plus que les dizaines de musées et mémoriaux des Pays-Bas déjà consacrés à l’histoire juive et à la persécution des Juifs? Quoi qu’il en soit, ne vous attendez pas à des couleurs sombres, car le musée opte pour un intérieur résolument lumineux: «La persécution et la déportation des Juifs se sont déroulées en plein jour.»

Le Musée national de l’Holocauste ouvre ses portes à Amsterdam le 11 mars 2024. L’emplacement, sur l’avenue Plantage Middenlaan, a été choisi pour une raison précise: c’est là que se situe le Hollandsche Schouwburg (Théâtre hollandais), rebaptisé Joodsche Schouwburg (Théâtre juif) par l’occupant allemand, qui en avait fait l’un des centres de rassemblement les plus importants pour les hommes, les femmes et les enfants juifs en 1942 et 1943. Du théâtre, ils étaient transportés vers Westerbork et Vught, puis vers les camps de la mort, plus loin à l’est.

Sur les plus de cent mille Juifs néerlandais qui ont été assassinés, pour la plupart à Auschwitz, un peu moins de la moitié sont passés par le théâtre. De toutes les victimes transportées hors des Pays-Bas qui ont transité par là ou par d’autres centres, environ cinq mille sont revenues vivantes –un faible taux de survie selon les recherches internationales comparatives, qui s’explique en partie par l’«efficacité» de la fonction publique néerlandaise et le comportement ambivalent de nombreux citoyens ordinaires.

En face de l’ancien théâtre, toujours sur la Plantage Middenlaan, se trouve un autre bâtiment où la Shoah a laissé des traces: l’ancienne école maternelle réformée, qui jouxtait une crèche aujourd’hui disparue. Cette crèche accueillait des enfants jusqu’à l’âge de 12 ans, avant qu’ils ne soient eux aussi déportés. Grâce à la résistance courageuse, entre autres, de la directrice de la crèche Henriëtte Pimentel, 600 bébés et enfants en bas âge y ont pu être clandestinement mis à l’abri via l’école voisine, et sauvés.

Des pieds bancals

C’est dans le quartier que l’on appelle aujourd’hui le quartier culturel juif, entre le Hollandsche Schouwburg et l’ancienne école maternelle, que le musée national de l’Holocauste trouvera sa place.

«Le théâtre, qui est en réalité un lieu vide puisqu’il n’en reste qu’une partie, est un monument depuis les années 1960», explique Annemiek Gringold, conservatrice du musée. «Les survivants, leurs enfants et leurs petits-enfants viennent y commémorer le souvenir des membres de leur famille qui ont été déportés. Au cours des deux dernières décennies, le théâtre a attiré de plus en plus de visiteurs. On y ressent l’absence d’une communauté, et c’est ce que nous voulions préserver dans nos projets. Le théâtre fait partie du musée de l’Holocauste, mais il reste avant tout un lieu de réflexion et de souvenir.»

«Pour commémorer les victimes de la Shoah, il faut d’abord savoir ce qui leur est arrivé», insiste Gringold. C’est pourquoi un film d’introduction sera projeté dans le théâtre. Il y aura également des installations en forme de gouttes de verre dans lesquelles seront lus des fragments de lettres d’adieu, de télégrammes d’urgence et de journaux intimes. Une maquette du théâtre tel qu’il se présentait à l’époque sera aussi installée, et dans le jardin, derrière l’ancienne cage de scène, une œuvre d’art visuel invitera à la contemplation.

Annemiek Gringold: notre musée vise une décoration claire dans laquelle nous raconterons de manière très directe comment les nazis et les fonctionnaires néerlandais ont participé à la persécution

C’est de l’autre côté de la Plantage Middenlaan, dans l’ancienne école normale, que se trouvera le musée proprement dit. «Là, dans la dignité et la discrétion, nous raconterons comment s’est déroulée la persécution des Juifs», précise Annemiek Gringold. «Digne et discret, parce que nous ne voulons pas montrer ce que les nazis leur ont fait, mais bien plus qui étaient les victimes: des enfants en bas âge, des enfants, des adolescents, des hommes adultes, des femmes, des personnes âgées. Beaucoup de musées consacrés à l’Holocauste fonctionnent comme une expérience avec des couleurs sombres et des reconstitutions. Nous ne partons pas vers cela, notre musée vise une décoration claire dans laquelle nous raconterons également de manière très directe comment les nazis et les fonctionnaires néerlandais ont participé à la persécution. Nous tapisserons donc certains murs de mesures décrétées à l’époque: celle de la déclaration aryenne, par exemple, les interdictions de pêche ou le port obligatoire de l’étoile jaune.»

Dans une série d’installations en bois, toutes avec leur propre forme et type de bois, Mme Gringold et son équipe incluront également un objet faisant référence à une personne déportée. Certaines structures auront des pieds bancals –une référence à la vulnérabilité des humains. Sur les deux mille objets du Musée national de l’Holocauste, dix-neuf seront présentés comme des «myosotis» – «des choses que nous pensons que tout visiteur devrait voir». Puis des salles séparées feront place aux expositions temporaires, aux conférences et aux activités scolaires.

Fuir le kitsch

Une chose est certaine: le Musée national de l’Holocauste a fait l’objet d’une réflexion approfondie. Par exemple sur la question de savoir ce qu’un tel musée pourrait ajouter à tout ce qu’Amsterdam avait déjà. Car force est de constater qu’avec la Synagogue portugaise, le musée de la Résistance, le Musée juif et la Maison d’Anne Frank, la ville possède de nombreux repères qui rappellent son histoire juive.

Cet argument a également été repris lors de la préparation de la construction Holocaust Namenmonument, ou Monument des noms, sur lequel peuvent être lus les noms et prénoms de 102 000 victimes juives, sinti et roms. Les objections sont venues de plusieurs parts: en premier lieu des riverains du parc Wertheim qui craignaient de voir disparaître leur court de tennis, puis, de ceux qui ont suggéré qu’après Ground Zero à New York et le Musée juif de Berlin, l’architecte styliste Daniel Libeskind avait déjà construit suffisamment de monuments commémoratifs. Ensuite, d’autres encore pensaient que son design était trop grand, ou que le concept de murs remplis de noms était quelque peu dépassé.

Le célèbre sociologue et professeur émérite Abram de Swaan (université d’Amsterdam) avait, lui aussi, peu de sympathie pour le Monument des noms à l’époque. De Swaan craignait un «monstre tapageur et bruyant» et a compilé un livre d’objections intitulé Se rappeler avant de se souvenir. Lorsque le monument a été érigé en 2021, De Swaan a changé d’avis et a admis qu’il avait commis une erreur. Mais quand même: deux ans plus tard, quel regard porte-t-il sur ce nouveau venu qu’est le Musée national de l’Holocauste?

«C’est une très bonne idée», affirme l’universitaire avec fermeté. « La reconversion d’un site historique est toujours sensible, et il est vrai que nous en avons déjà beaucoup –on peut passer une journée entière à se promener devant les monuments juifs du quartier culturel juif– mais un musée sur l’Holocauste, où les faits sont documentés pour la première fois et visualisés? Non, ça n’existait pas encore.»

«Cela ne change rien au fait que le résultat final dépend beaucoup de la manière dont les choses sont présentées», explique De Swaan. «Il vaut mieux être sobre, de bon goût et informatif. Un musée de la Shoah doit éviter le kitsch et ne doit pas avoir un budget trop important, sinon vous vous retrouverez avec des absurdités. À cet égard, le Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines à Washington est une vraie réussite. C’est l’un des plus beaux musées que j’ai jamais vu.»

Annemiek Gringold convient que quiconque cherche des traces de la vie juive à Amsterdam trouvera quelque chose pouvant l’intéresser, mais rappelle également le contenu différent de chaque lieu. «Par exemple, la synagogue et le Musée juif mettent en valeur la vie juive traditionnelle, le musée de la Résistance s’intéresse aux options d’action de l’individu et la Maison d’Anne Frank raconte l’histoire des huit résidents de l’annexe secrète. Les camps d’Amersfoort, de Westerbork et de Vught, en revanche, sont plus centrés sur leurs propres lieux. En fait, il y a beaucoup de choses à montrer, notamment dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, mais le récit aux Pays-Bas reste encore fragmenté. Si nous ne voyons les événements que par morceaux, notre connaissance de ceux-ci restera stagnante. Le Musée national de l’Holocauste présentera une histoire certes compacte, mais intégrale: sur la période avant, pendant et après la Shoah, avec une attention particulière à la perspective de la société non juive.»

Une réalité en couleur

Non intrusif, clair et transparent: voilà la manière dont Annemiek Gringold souhaite créer son musée. Pour sa construction, les autorités concernées se sont tournées vers le cabinet d’architectes Office Winhov, spécialisé dans la réutilisation de bâtiments et de monuments existants.

«Nous ne voulions pas y apposer une balise d’ego, il ne s’agissait pas d’en faire un nouveau point de repère», explique l’architecte Uri Gilad, qui a lui-même perdu des membres de sa famille durant l’Holocauste. «Notre seul objectif est d’héberger et de rendre visible une partie importante et tragique du passé. En fait, notre architecture est assez secondaire, non pas dans le sens d’être soumise, mais d’être aussi proche que possible de l’histoire.»

«Dans notre conception, nous avons choisi de conserver intacte la façade de l’école maternelle de la fin du XIXe siècle », ajoute Inez Tan, collègue d’Uri Gilad, «afin que les visiteurs puissent voir qu’il s’agissait autrefois d’une école, d’un lieu où venaient de nombreux enfants. Nous avons également conservé le carrelage intérieur typique des écoles.»

Pour Office Winhov, il était important aussi d’inclure la tradition des architectes juifs du quartier –Abraham Salm (1857-1915) pour ce qui est de l’école maternelle– dans le nouveau concept. À côté de la façade, les confrères Tan et Gilad ont construit une entrée, surmontée de maçonnerie à mailles fines, qui offre une vue sur l’autre côté de la rue et sur le Hollandsche Schouwburg.

Le choix s’est porté sur des briques claires, car les architectes ont pensé qu’il était important de ne pas travailler avec des tons sombres. «Dans quatre-vingts pour cent des musées de l’Holocauste, la couleur prédominante semble être le gris anthracite ou le noir. Pourtant, la persécution et la déportation des Juifs se sont déroulées en plein jour, sous le soleil, dans une réalité en couleur. Nous voulions rendre justice à cette idée dans le musée.»

Extrémisme accru

Assembler un récit fragmentaire, ajouter ce qui n’a pas encore été dit: voilà ce que vise le Musée national de l’Holocauste. Et puis, enfin et surtout, il se donne pour but des missions pédagogiques. C’est un besoin primordial: la récente étude Dutch Holocaust Knowledge and Awareness Survey (Claims Conference, New York, 2023) montre que cinquante-trois pour cent des personnes interrogées n’identifient pas les Pays-Bas comme un pays ayant participé à l’Holocauste, un chiffre qui monte à soixante pour cent dans le cas des millennials ou des jeunes de la génération Z. Douze pour cent pensent également que l’Holocauste est un mythe ou est largement exagéré, une proportion qui atteint un quart parmi les quadragénaires, dont beaucoup ne peuvent même pas nommer de camp d’extermination. Peu de pays étudiés s’en sortent moins bien que les Pays-Bas, selon Claims. Plus encore: il semble que l’ignorance et l’antisémitisme augmentent à mesure que s’ajoutent les initiatives de commémoration et d’information.

«Au tournant du siècle, quand ont eu lieu les attentats du 11 septembre, nous avons constaté une montée des extrémismes, avec l’islamisme d’un côté et l’extrême droite de l’autre», explique l’historien Christophe Busch, ancien directeur-général de la Caserne Dossin à Malines et actuel directeur de l’Institut Hannah Arendt dans cette même ville. «En réponse à ce nouvel extrémisme, un boom de la mémoire a vu le jour, destiné à rappeler le passé et à traduire les leçons de la violence collective du passé jusqu’à aujourd’hui, en accordant une attention particulière aux victimes, aux auteurs et aux spectateurs.»

Christophe Busch: Si vous dites que les nazis sont les pires personnes qui n'aient jamais existé, vous gardez une distance de sécurité et vous n'apprenez pas grand-chose en tant que visiteur de musée

Pour Christophe Busch, qui a obtenu son doctorat à l’université d’Amsterdam avec une thèse sur l’Holocauste, il va de soi que les musées comme celui de Plantage Middenlaan ont une mission éducative extrêmement importante. «Mais cela reste difficile, car il faut élever l’histoire au-delà de la simplification symbolique», dit-il.

«Prenez les camps: les camps de réfugiés sont très différents des camps d’internement, eux-mêmes différents des camps de concentration ou d’extermination. Les camps sont des espaces dynamiques et ne peuvent être simplifiés. Ou regardez le passage d’un état d’exception à la normalisation, qui est lui aussi dynamique, sans même parler des effets de la dynamique de groupe et de la polarisation. En tant que musée, vous devez démontrer qu’il existe un mal potentiel chez chaque personne et qu’un certain nombre de facteurs et de contextes peuvent déclencher et activer ce mal. À cet égard, la formation aux dilemmes moraux est, elle aussi, très importante. Si vous dites que les nazis sont les pires personnes qui n’aient jamais existé, vous gardez une distance de sécurité et vous n’apprenez pas grand-chose en tant que visiteur de musée.»

En outre, les musées doivent prendre en compte le cadre de vie des jeunes d’aujourd’hui. Les jeunes issus de l’immigration en particulier sont beaucoup moins préoccupés par l’Holocauste que par la situation au Moyen-Orient. «Une traduction possible que vous pouvez faire concerne le traumatisme», suggère Christophe Busch. Chaque famille a ses propres stratégies d’adaptation, de la honte à la culpabilité en passant par le silence et le témoignage, etc. Ou prenez l’épigénétique, qui nous apprend que les traumatismes peuvent se transmettre de génération en génération. Cela se produit non seulement dans les familles touchées par l’Holocauste, mais aussi dans de nombreuses familles issues d’un contexte migratoire difficile.»

Nos victimes d’abord?

Un défi supplémentaire pour les musées de l’Holocauste, et donc pour le nouveau musée d’Amsterdam, est celui de la «concurrence victimaire». «En effet, aujourd’hui, il y a parfois une atmosphère de “qui a le plus souffert”», confirme Abram De Swaan. «Il est donc crucial que les musées cherchent le dénominateur commun. Certains groupes sociaux doivent, encore et toujours, lutter pour l’attention et la reconnaissance, qu’il s’agisse de l’esclavage, du racisme ou de l’orientation sexuelle. Mais cela aussi est en train de changer: regardez comment chez nous le mouvement anti-black face contre Zwarte Piet (le père fouettard) s’est battu ces dernières années, c’est génial –tout comme il est bon de voir que les Pays-Bas auront bientôt leur Musée national de l’esclavage.» Son ouverture est prévue pour 2028.

Non, il ne faut pas craindre que le musée sur la Plantage Middenlaan ne tombe dans le piège de la «victimisation», assure De Swaan. «Au contraire, il s’intégrera parfaitement dans le quartier culturel juif, et quand je regarde ce quartier dans son ensemble, je n’y vois aucune vulgarité ou sensationnalisme. Que beaucoup de gens ne savent pas de quoi il s’agit, notamment les jeunes? Eh bien, l’ignorance peut être en partie liée à leur jeune âge. Les jeunes qui minimisent l’Holocauste peuvent aussi bien dire que le monde est plat, ou qu’ils n’aiment pas ces matières de toute façon. Déclarations provocatrices et déni obstiné, le tout multiplié par des sentiments négatifs sur la situation au Moyen-Orient: il faut aussi oser voir certaines réactions dans leur contexte.»

Pendant ce temps, Annemiek Gringold est la dernière à sous-estimer le poids de sa tâche. «Émotions, préjugés et manque de connaissances: c’est un mélange difficile. C’est pourquoi nous avons opté pour une présentation muséale dans laquelle les programmes éducatifs permettront d’aborder facilement l’importance de la démocratie et de l’État de droit, l’éducation aux médias et les mécanismes d’exclusion. Nous disposerons également d’espaces neutres, séparés de l’exposition et offrant un environnement de conversation sécurisé. Mais une baguette magique pour relever tous les défis? Le Musée national de l’Holocauste n’en a pas non plus.»

Le site web du Nationaal Holocaust museum d’Amsterdam
Lode delputte

Lode Delputte

journaliste indépendant

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