«Paris Impasse»: le Paris déserté de Karin Borghouts
Le travail de la photographe flamande Karin Borghouts (°1959) est marqué par sa fascination pour les espaces tant intérieurs qu’extérieurs. Ses photographies présentent différents lieux d’où est absent tout être humain. Dans son plus récent ouvrage, Paris Impasse, Borghouts poursuit son exploration de lieux désertés en fixant son objectif sur quelques-unes des 600 impasses que compte la ville de Paris. Elle y entraîne le promeneur dans un Paris inhabituel, abstrait.
© Karin Borghouts
Oserons-nous poser le pied sur les pavés muets du Paris de Karin Borghouts? Pénétrer à l’intérieur des îlots vides, immobiles et nus, déambuler d’une impasse à l’autre, hors du tumulte de la métropole? Il suffirait au promeneur de se glisser sans hésiter dans ces espaces parfois dérobés à l’œil, et bien souvent négligés – nous passons devant sans un regard, au mieux sans y prêter davantage attention…
La photographe flamande, elle, y a placé son trépied, elle a patienté, attendu qu’aucun remous ne vienne plus troubler l’espace dont elle restitue l’entièreté de la substance. Paris Impasse est une œuvre d’exposition. Karin Borghouts a reconstruit ces architectures, disséminées aux quatre coins de la ville, égrenant les vingt arrondissements de l’escargot qu’est Paris. Elle a gravé sur le papier le silence et l’étroitesse, l’intimité et la quiétude, murs de pierre, de plâtre, de brique, fenêtres aveugles à foison qui dévisagent le spectateur, façades impénétrables sous un ciel quasi blanc, végétaux envahissants ou minimalistes, portails, escaliers, grilles, cheminées.
© Karin Borghouts
Ici, Paris est différent, inhabituel, abstrait malgré des voitures stationnées de-ci de-là, des bicyclettes, plantes en pot, poubelles en plastique. Nulle âme qui vive nulle part. Irréel. Reposant, hallucinant, le tout baignant dans les couleurs typiques de la ville, camaïeux de gris, pierres blondes, pierres légèrement ocrées.
© Karin Borghouts
Parfois, un coude, un virage donnent l’illusion d’une issue à venir, d’un retour aux turbulences citadines. Mirage… les villas et les squares sont hermétiques, enserrés. La palette s’étale dans toute sa richesse: ici, un Paris populaire, de guingois, défraîchi, écaillé, tagué, un presque village romantique émaillé de jardinets, là un autre visage, épris de symétrie, aux perspectives classiques, classieuses, flirtant avec la monotonie, la fadeur, ou la majesté, le décorum pétrifié. La ville est hétéroclite, les photographies le prouvent.
Karin Borghouts nous fait aborder des microcontinents. Soudain surgit une maison individuelle: une porte et huit fenêtres, coincée entre deux immeubles, précédée de deux arbres. Maisonnette inattendue, saugrenue, inaltérable. Ailleurs, une marquise en verre et fer forgé nous émeut, vestige survivant d’une cité trop refaite, modernisée. Ailleurs encore une porte encastrée dans un haut mur de pierres noircies, surmontée d’un fronton triangulaire… Que se cache-t-il derrière? La photographe exacerbe le mystère, et notre curiosité.
© Karin Borghouts
Acheminé d’image en image, d’impasse en impasse, de mur en mur, le promeneur n’a plus qu’à faire son choix, un lieu où il aimerait planter ses pénates, installer son donjon, faire infuser son thé à l’aube, lorsque chantent encore les oiseaux, écouter le violoncelle de Bach les après-midis d’été, se plonger dans un roman d’aventures, recroquevillé dans son fauteuil crapaud. Arroser entre chien et loup trois ou quatre plantes en fleurs suspendues aux fenêtres, et se laisser aller à l’amour rassérénant de son havre de paix.