Le rôle essentiel des bibliothèques pendant la crise
En France et en Belgique, les salles de concert et de théâtre sont fermées depuis de nombreux mois. Les bibliothèques, en revanche, ont pu continuer à accueillir du public. Elles ont réussi à se maintenir tout au long de cette période difficile. Mais le travail des bibliothécaires a été chamboulé. C’est ce que nous apprennent Carol Vanhoutte (bibliothèque de Courtrai), Jean-Luc Duval et Amaël Dumoulin (B!B Dunkerque) et Alexander Declercq (bibliothèque d’Ypres).
Pas question de chômage dans les bibliothèques dans le Nord de la France et en Flandre-Occidentale. La plupart des bibliothèques ont pu garder leurs portes ouvertes. Bien que leur rôle de lieu de rencontre se soit vu considérablement réduit, le prêt de livres et le service d’information ont continué à fonctionner, augmentés d’une bonne dose de travail à cause des mesures sanitaires à respecter.
Mais tout cela n’a nullement entamé l’ardeur au travail. «On est surpris de voir que même les plus âgés des bénévoles, les plus fragiles face au virus, qui gèrent les bibliothèques des petites communes, répondent présents: on sent un vrai besoin de garder le lien social. Ce sont des lieux précieux aussi pour cela», dit Emmanuelle Kalfa dans La Voix du Nord. Elle est la directrice d’un réseau de 340 bibliothèques dans le département du Nord. Nous sommes allés enquêter sur le terrain pour voir si c’était aussi le vécu des bibliothèques de chez nous et c’est ainsi que nous avons rencontré Carol Vanhoutte (bibliothèque de Courtrai), Jean-Luc Duval et Amaël Dumoulin (B!B Dunkerque) et Alexander Declercq (bibliothèque d’Ypres).
Comment avez-vous traversé ces derniers mois?
Jean-Luc Duval et Amaël Dumoulin (B!B Dunkerque) : «Avec un sentiment partagé. D’un côté, les bibliothèques ont la chance d’être parmi les rares équipements à être autorisés à ouvrir en France, ce qui nous permet de continuer à travailler sur site et pas seulement en télétravail. Nous y voyons aussi la reconnaissance du rôle social des bibliothèques et c’est très important pour nous de ne plus être considérés uniquement comme des lieux culturels. D’un autre côté, les contraintes sanitaires nous forcent à supprimer des services qui faisaient l’attrait de la B!B: le café, les jeux vidéo, les espaces de détente…»
Alexander Declercq (bibliothèque d’Ypres): «Durant toute cette période de la pandémie, nous n’avons dû fermer qu’une seule semaine. Nous nous réjouissons que notre activité ait pu se poursuivre le mieux possible en tant que service essentiel. Nous avons lancé en 2020 Mijn leestipper, le paiement en ligne et une nouvelle offre de livres numériques. Quelques activités ont pu se dérouler en toute sécurité telles que les séances de cinéma en plein air CineCongé durant l’été, la journée de couverture de livres, la vente de livres, la Grande Dictée, des ateliers pour enfants, etc. Ce qui n’est malgré tout pas trop mal, n’est-ce pas? Par contre, nous avons dû annuler nos groupes de discussion hebdomadaires, tandis que le 25e anniversaire du groupe de lecture a été célébré en mineur. Les places destinées à la lecture de journaux ou à l’étude ont été condamnées plus souvent qu’elles n’ont été disponibles.
Alexander Declercq: «Si la bibliothèque en est réduite à sa fonction en quelque sorte la plus pure, nous observons que le public apprécie hautement qu’elle ait pu garder ses portes ouvertes.»
Nous avons actuellement en moyenne 385 visiteurs par jour. Bien que cela représente une baisse de 40% par rapport à l’époque avant l’épidémie, c’est un chiffre très honorable en ces temps de distanciation sociale et de restrictions sur la durée des visites. La baisse est essentiellement due à la fermeture des places de lecture de journaux et d’étude, à la condamnation des ordinateurs publics et à l’annulation des visites scolaires et d’une série d’autres activités. Si la bibliothèque en est réduite à sa fonction en quelque sorte la plus pure, nous observons que le public apprécie hautement qu’elle ait pu garder ses portes ouvertes.
Nous constatons évidemment aussi des différences dans le prêt des livres: la section jeunesse connaît une baisse de la moitié, les BD résistent mieux avec une baisse de “seulement” 30%. Chez les adultes, les prêts de littérature non fictionnelle ont diminué de 55 % alors que le fictionnel demeure plus populaire avec seulement 40% de prêts en moins. Remarquons encore que le prêt de jeux électroniques est resté stable, alors que celui de jouets a même légèrement augmenté. En ce qui nous concerne, nous sommes heureux de pouvoir encore présenter ces résultats – ce n’est pas le cas pour de nombreux autres organisateurs ou instances.»
Est-ce que le travail à la bibliothèque a changé?
Carol Vanhoutte (bibliothèque de Courtrai): «Le fonctionnement renouvelé de la bibliothèque a manifestement été freiné ces derniers mois: pas de contact avec les écoles, pas ou très peu de places de lecture ou d’étude, pas d’activités de rencontre… Beaucoup de bibliothèques interdisent aussi l’accès aux ordinateurs publics, ce qui n’est pas le cas à Courtrai parce que nous considérons cela comme un service de base. La bibliothèque a proposé davantage de contenu en ligne. On a organisé le festival littéraire Memento en ligne, on a proposé en ligne des sessions de lecture à haute voix, une plateforme d’étude, ainsi que d’autres services tels que des paiements, Gopress, des réservations, des questions sur le numérique et une plateforme de livres numériques. De nombreux visiteurs nous confient qu’ils attendent avec impatience de pouvoir de nouveau passer davantage de temps dans la bibliothèque.»
Jean-Luc Duval et Amaël Dumoulin (B!B Dunkerque): «Le rôle des bibliothécaires s’en est trouvé aussi modifié dans leur relation avec le public: là où nous étions devenus des médiateurs, voire des “gentils organisateurs”, nous avons été contraints de revenir essentiellement à un rôle d’agent d’accueil et de renseignement. La relation de guichet (derrière des vitres en plexiglas!) est malheureusement revenue au goût du jour. Heureusement, les services numériques sur place restent en fonction, nous prêtons beaucoup les ordinateurs à ceux qui en ont le plus besoin, de nombreux étudiants viennent travailler seuls. Les actions culturelles, éducatives et sociales ont été interrompues, et c’est toute une dynamique qu’il nous faudra remettre en œuvre au fur et à mesure de l’assouplissement des règles sanitaires.»
Quelle est votre plus belle expérience des derniers mois?
Carol Vanhoutte (bibliothèque de Courtrai): «Nous avons pu coopérer avec la section Devine (Design et Développement numérique) de l’enseignement supérieur Howest. Lors de notre festival littéraire Memento, ils ont ouvert notre contenu de diverses manières numériques. Ce fut pour les deux parties une belle pollinisation croisée et une découverte réciproque.»
Jean-Luc Duval et Amaël Dumoulin: «Ce que cette situation révèle, c'est l'importance du travail en équipe»
Jean-Luc Duval et Amaël Dumoulin (B!B Dunkerque): «Difficile de trouver une “plus belle expérience”, mais ce qui me plaît le plus et ce que cette situation révèle, c’est l’importance du travail en équipe, la nécessité d’accompagner encore plus les équipes dans cette période difficile et les réflexions que nous sommes en train d’engager pour l’avenir de nos bibliothèques. En tant que manager d’équipe et membre de l’équipe de direction, c’est vraiment ce qui nous stimule le plus en ce moment.»
Alexander Declercq (bibliothèque d’Ypres): «La plus belle expérience a été la venue des 49 cloches du carillon à la bibliothèque et aux archives. Douze tonnes d’histoire et d’instruments de musique en un ensemble. Pour cause de restauration du beffroi, le carillon a dû être évacué de la tour. Nous avons cherché une manière de mettre en évidence ces cloches que tout un chacun entend quotidiennement sans jamais les voir. La solution était une installation conforme aux mesures de sécurité du Covid-19 dans la bibliothèque et les archives. Avec les archives, nous avons élaboré une sorte d’exposition par le biais de grandes affiches aux fenêtres, visible pour tous à partir de l’extérieur. Il y a eu aussi un “jardin de Pâques” et il va de soi que les enfants n’ont pas été oubliés par les cloches!»
En ce moment, une enquête est en cours en Flandre sur l’impact du Covid-19 sur le fonctionnement des bibliothèques locales. Le rapport est attendu à la fin du mois de juin.