Le saint des saints, extrait du roman «Stemvorken» de A. F. Th. van der Heijden
Dans de nombreuses représentations littéraires du sexe lesbien, la relation entre deux femmes a avant tout pour but de susciter le désir masculin. Aux Pays-Bas, de nouveaux romans viennent cependant changer la donne, ouvrant de nouveaux répertoires sexuels. Stemvorken de A. F. Th. van der Heijden fait partie de ceux-ci. Lisez-en un extrait ci-dessous.
Le saint des saints
Ma langue la travaillait à longs traits, remontant du dessous ruisselant de sa vulve en passant par le périnée jusqu’à son «œil de bronze», ainsi que je l’avais entendu nommer quelque part. J’essayais d’y faire pénétrer le bout de ma langue, en vain, comme si toute sa résistance initiale s’était concentrée dans cette étoile hermétiquement fermée. Inlassablement, ma bouche répétait ce trajet et je découvris que son «bronz’œil», car ce terme provenait d’un livre français, n’était pas forcément le plus sensible à l’intérieur. Les courts rayons se gonflaient et brillaient, et le tout saillait un peu. De petites contractions m’indiquaient que Corinne était en train de lâcher prise.
«Pas tout de suite… je ne suis pas encore prête pour ça.»
Une jambe passa à ras de ma tête et elle se retrouva à nouveau allongée sur le dos, les cuisses complètement écartées. J’ouvris son entrejambe de mes deux pouces, mais au lieu d’y frotter ma langue, je demeurai immobile à regarder la petite merveille qu’était son clitoris, ce petit saint dans sa châsse de peau plissée. J’étais tellement absorbée par cette vision que j’en oubliais le temps et négligeais de la lécher: m’y consacrer, c’était renoncer à repaître mes yeux, et je m’en serais voulu de m’infliger ça. Maintenant qu’il s’était ouvert, je pouvais adorer son saint des saints d’un long, très long regard… et le contempler jusqu’à la transe, dans une trouble ivresse. Entre mes propres jambes, quelque chose remuait, comme voulant se mouler à l’image que j’avais là devant moi.
«Tu peux me faire guili avec ta langue maintenant, dit-elle en reprenant sa petite voix mièvre et enfantine. Ririnne n’a plus peur d’être cracra ou de pas sentir très bon.»
Je me laissai envahir par son odeur forte et musquée. De ses entrailles remonta une granulosité blanche, que j’avalai de la même manière que tout à l’heure le noir entre ses orteils. Son goût m’enivrait et j’aurais voulu que ce jeu ne s’arrête jamais. À présent, oui, je prenais le temps de la taquiner en dessinant des cercles avec ma langue. De la pointe, je donnais de petits coups sur le sommet de son clitoris… j’accélérais, ralentissais… augmentais la pression, puis laissais une fine couche de salive poursuivre le travail, faisant aller et venir les fils comme un voile ténu mais solide, avec un effleurement minimal… une membrane argentée dans laquelle se reflétaient de vagues fragments de la chambre. Si j’avais pu étudier attentivement le reflet, j’y aurais peut-être décelé la poignée de la porte et le trou de la serrure… la brillance d’un œil… le scintillement d’une larme…
Elle jouit beaucoup plus librement et intensément qu’une demi-heure plus tôt. Elle pressa mon visage sur son humidité abondante, ses jambes contractées soulevées du matelas, serrant ma tête dans leur étau. L’une de mes oreilles se retrouva pliée en deux et douloureusement plaquée contre mon crâne.
A. F. Th. van der Heijden, Stemvorken (Diapasons), Querido, Amsterdam, 2021.
Cet article a initialement paru dans Septentrion n° 8, 2023.
