L’émission télé bilingue et transfrontalière «PULS» aura-t-elle un successeur?
Fruit d’une collaboration Wallonie-Flandre-France, l’émission télé PULS a amené pendant huit ans le public à traverser la frontière franco-belge pour découvrir la culture du voisin. Chantal Notté, journaliste à Notélé et co-pilote de PULS, revient sur une période faste de la collaboration transfrontalière, laquelle a pris fin avec la disparition de la culture du programme Interreg. Heureusement, un nouveau média transfrontalier est en cours d’élaboration. Saura-t-il susciter le même mixage des langues et des idées?
Il y a 20 ans, en février 2003, l’émission Puls est diffusée pour la première fois sur trois chaînes de télévision régionale: Notélé (Wallonie picarde), C9 télévision (Lille-Roubaix-Tourcoing, désormais appelée WÉO) et WTV (Flandre-Occidentale). Cette émission de 23 minutes est un produit tout à fait original par rapport à ce qui se fait déjà dans chacune des chaînes télé régionales. C’est une émission totalement bilingue, qui se veut branchée sur tout ce qui bouge en matière culturelle et touristique dans la grande métropole franco-belge qui compte 1 300 000 habitants et réunit la Métropole européenne lilloise (Lille-Roubaix-Tourcoing), le Hainaut-Occidental (Tournai-Ath-Mouscron-Enghien) et la Flandre-Occidentale (Bruges-Courtrai-Ypres-Roulers). Elle est présentée par la pétillante Annabelle Van Nieuwenhuyse, une journaliste multilingue, bien connue comme présentatrice du festival Couleur Café.
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Pourquoi PULS? L’idée était de donner l’impulsion aux téléspectateu.trice.s afin qu’ils et elles aient envie de traverser les frontières pour découvrir des artistes, des événements culturels, des lieux touristiques près de chez eux. Le monde étant devenu un village, il semblait absurde que les initiatives les plus proches de nous nous soient inconnues, simplement parce qu’une frontière historique avait laissé une empreinte psychologique dans les mentalités. Ensemble, les trois télévisions vont s’adresser à 1 300 000 téléspectateurs, établis dans une centaine de communes ou municipalités: WTV: 600 000, C9: 380 000, Notélé: 320 000.
Extrait de la première émission de PULS
diffusée en février 2003. Interview menée par Annabelle Van Nieuwenhuyse avec les trois journalistes chargés du projet: Chantal Notté, Laurent Dereux, et Tom Christiaens. Il est possible de regarder l’émission complète sur le site de Notélé.
«Pas de deux» avant le trio
Depuis le début des années 1990, Notélé et C9 télévision produisaient déjà ensemble des émissions culturelles transfrontalières. Elles ont été soutenues d’abord par le PACTE, ensuite par les programmes européens Interreg 1 et Interreg 2. D’abord intitulée Pas de deux, l’émission change de forme en 1999 pour s’appeler D’ici et d’ailleurs. En été, elle sort de son studio et plante son canapé rouge dans les lieux touristiques et historiques de l’Eurométropole pour présenter les événements de l’été. À cette époque, l’équipe est constituée de Chantal Notté, Aniko Ozoraï et Dominique Rombaut, pour Notélé, et de Laurent Dereux, Anouk Winberg et du réalisateur Nicolas Bernard pour C9 télévision.
Sur le terrain, de nombreux échanges existent déjà entre des opérateurs culturels situés des deux côtés de la frontière: la maison de la culture de Tournai emmène régulièrement ses spectateurs au Prato à Lille ou à la Rose des vents à Villeneuve d’Ascq. De son côté, le centre culturel de Péruwelz travaille avec l’Espace Boris Vian à Vieux-Condé. Autre exemple encore, le très populaire festival tournaisien L’accordéon, moi j’aime s’est acoquiné avec Wazemmes l’accordéon tout aussi populaire dans ce quartier lillois.
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Beaucoup d’étudiant.e.s français.e.s viennent étudier à la faculté d’architecture de Tournai ou encore à l’académie des Beaux-Arts et les interactions sont nombreuses entre les artistes et les lieux d’exposition des deux régions. Ce contexte légitimise encore d’avantage les collaborations entre les deux télévisions régionales francophones. En 2002, D’ici et d’ailleurs reçoit d’ailleurs un «Lys d’or» décerné par la chambre de commerce franco-belge, pour sa contribution importante aux relations transfrontalière.
Le duo va rapidement se transformer en trio. L’envie taraude l’équipe de Notélé de travailler aussi avec ses proches voisins flamands car 11 communes du Hainaut-Occidental entretiennent des relations étroites avec la Flandre-Occidentale. Mouscron, Pecq, Celles, Mont de l’Enclus, Frasnes, Ellezelles, Flobecq, Lessines, Silly et Enghien sont accolées à la frontière linguistique tandis que Comines se trouve même enclavée entre la Flandre et la France.
L’occasion va se présenter de joindre West-Vlaamse Televisie (WTV) à la collaboration télévisuelle dans le cadre du programme Interreg 3. Le projet s’intitule «Vivre la métropole transfrontalière» et se décline en trois volets: culturel (PULS), socio-politique (Vie quotidienne) et économique (Transit). Ce programme transfrontalier bilingue remporte l’adhésion de l’Europe et débute en 2003. Il va durer huit ans.
«PULS», puis «TRANSART»: des échos transfrontaliers
En 2003, le projet bi-mensuel de l’émission PULS, qui sera suivi par TRANSART
en janvier 2009, est d’offrir un écho transfrontalier à tous les organisateur.trice.s d’événements culturels, dont l’information est très peu diffusée au-delà de la frontière. Quelques exemples: le Folk Festival International de Dranouter, le plus grand festival européen de musique folk, est très peu connu en Hainaut-Occidental et en France. Idem en Flandre et en France pour la Piste aux Espoirs, festival international des jeunes artistes de cirque qui se déroule à Tournai. Même méconnaissance, à l’époque, du public wallon et flamand par rapport aux nombreux événements qui se déroulent à Lille, Roubaix, Tourcoing. La volonté de l’émission est également de donner l’accès à l’antenne à des projets novateurs ainsi qu’à des créateur.trices qui méritent d’être connus par un public plus large que l’audience habituelle de trois télévisions.
PULS va mettre l’accent sur les particularités qui font l’identité de chacune des régions, mais aussi sur ce qui les relie. À l’analyse, les points communs sont nombreux, l’histoire textile, les traditions populaires, le tourisme fluvial ou encore les arts de la rue pour ne citer que quelques exemples.
2004, un élan pour la culture transfrontalière
L’émission s’inscrit également dans le formidable élan culturel que va constituer Lille 2004. Les trois régions vont se retrouver au cœur d’une année extraordinaire, avec le choix de Lille comme capitale européenne de la culture et ses 2500 manifestations culturelles, fêtes et exposition organisées dans l’Eurométropole. Pour la première fois dans l’histoire des capitales européennes de la culture, Lille 2004 ne concerne pas seulement la ville désignée mais l’ensemble du territoire régional, ceci incluant son versant transfrontalier. Le partenariat des trois télévisions prend tout son sens!
Extrait de PULS de mars 2004 portant sur la Maison Folie de Courtrai dans la dynamique de Lille 2004, capitale européenne de la culture. L’épisode complet est disponible sur le site de Notélé.
En 2007, NEXT voit le jour, un festival qui s’aventure audacieusement dans les nouvelles voies de la danse et du théâtre. Les spectateurs sont initiés à de nouveaux langages artistiques et à des formes hybrides au sein des arts internationaux du spectacle. Six co-organisateurs de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai portent le projet et quinze autres maisons d’art associées mettent en commun leur expertise, leurs ressources et leur savoir-faire. Ensemble, ils invitent une sélection pointue d’artistes d’envergure internationale pour proposer durant un mois une quarantaine de spectacles sur des scènes aussi diverses en taille qu’en genre. Des actions sont mises en place pour permettre aux publics de circuler plus aisément entre les pôles importants.
Extraits de PULS de novembre 2008. Annabelle Van Nieuwenhuyse rencontre Kristof Jonckheere et Philippe Deman dans le cadre du Next Festival depuis le Budascoop à Courtrai. Pour l’épisode complet, consultez le site de Notélé.
Le rôle crucial d’Interreg pour la culture transfrontalière
Philippe Deman, l’ancien directeur de la maison de la culture de Tournai, témoigne de l’évolution de la culture transfrontalière: «Les premiers programmes Interreg ne permettaient pas l’éligibilité des projets culturels et artistiques. La Rose des vents, scène nationale de Villeneuve d’Ascq et la maison de la culture de Tournai collaboraient depuis quelques années déjà. Ensemble, nos institutions tentaient toutefois de déposer un dossier sur la ligne de l’attractivité du territoire. Établir une programmation commune, faire circuler le public et constituer un parc de matériel commun furent les premiers objectifs poursuivis.»
«Par la suite, grâce à l’intégration de la culture dans le programme Interreg, des partenariats avec d’autres opérateurs français (l’Ara et le Prato) ont permis de développer des projets autour des arts du cirque et des pratiques musicales en amateur. Le point d’orgue de ces projets de coopération aura été l’organisation d’un festival de spectacles vivants sur le territoire de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, le festival Next.»
Extrait de TRANSART de février 2009: 20 ans de la Piste aux Espoirs et circulation des arts du cirque entre les trois régions. L’épisode est disponible en entier sur le site de Notélé.
«Conjuguer et apprendre de nos différences, travailler en synergie et renforcer les liens entre professionnels, soutenir la création artistique, faire circuler le public et renforcer le sentiment d’appartenance de la population à un territoire commun: autant d’objectifs qui auront pu être atteints grâce aux financements des programmes Interreg de la Commission européenne», continue Deman.
«Les émissions culturelles PULS et TRANSART ont été incontestablement des relais importants des projets développés par les opérateurs culturels. Devenue au fil du temps partie intégrante de la coopération, la réalisation de nombreuses séquences ont renforcé la cohésion des équipes professionnelles. Ces émissions ont contribué à valoriser la création artistique et l’originalité de la programmation. Leur diffusion dans les deux langues avec sous-titrage a surtout permis de sensibiliser un très large public et renforcer le sentiment d’appartenance de la population à un territoire commun, l’Eurométropole Lille-Kortrijk- Tournai.»
«PULS», une rédaction bilingue et tricéphale
Pour construire ces émissions bi-mensuelles, chaque télévision ne se contentait pas de faire traduire des sujets déjà réalisés pour ses propres émissions. Les équipes de Notélé, C9 et WTV ont constitué un comité de rédaction qui travaillait ensemble, croisait les regards avant de définir les invités, les séquences ou les lieux de tournage. Grâce au bilinguisme des partenaires flamands, les réunions se déroulaient sans difficultés pour les Français et également les Wallons qui maîtrisent peu ou prou la langue de Vondel. La bienveillance était de mise dans cette équipe recomposée.
L’une des grandes originalités de ces émissions était le mixage homogène des deux langues qui a permis au public de se familiariser avec la langue du voisin. S’il était déjà inhabituel pour les Wallons et les Flamands, ce mixage était tout à fait inédit pour le public français, peu réceptif à la langue néerlandaise. La présentatrice parfaitement bilingue jonglait aisément entre les langues, passant de l’une à l’autre entre deux phrases.
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Les invités étaient interrogés dans leur langue d’origine, toutes ces interventions étant sous-titrées dans l’autre langue. Par contre, dans les reportages, les commentaires des journalistes étaient réenregistrés dans l’autre langue. Ce mixage audacieux qui permettait une émission très digeste pour les téléspectateurs des trois régions fut un fameux défi!
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À la belle saison, PULS, et par la suite TRANSART, sort des studios de Notélé. Les équipes de tournage sont mixtes réunissant le réalisateur de C9, Stéphane Nota, la présentatrice flamande Annabelle Van Nieuwenhuyse, les journalistes Chantal Notté et Tom Christiaens pour les rédactions de Notélé et WTV, l’attachée de production Saskia van Rie (WTV) et des caméramen de Notélé, C9 ou WTV. Ces tournages collaboratifs laissent une impression extrêmement positive aux structures qui les accueillent. Mais plus encore, ils permettent à chacun de prendre conscience des richesses voisines, d’élargir sa propre culture et d’imaginer d’autres reportages encore plus transversaux, auxquels chacune des rédactions n’aurait pas pensé si elle n’avait croisé la vision des deux autres.
Extrait de PULS de juillet 2003, depuis l’événement Beaufort à La Panne. L’épisode complet se trouve ici.
L’émission fut aussi un incitant pour de nouvelles collaborations, sachant que l’écho se fera sur les trois régions. Prenons par exemple les festivités autour de l’accordéon: «Depuis 1993, notre manifestation a toujours été suivie par Notélé, indique Anne Bierna de la manifestation L’accordéon, moi j’aime. Outre les reportages sur la rencontre d’accordéonistes qui a lieu chaque année à Tournai au moment de l’Ascension, des interviews avec nos partenaires lillois, organisateurs du festival Wazemmes l’accordéon, ont eu lieu dans plusieurs émissions de PULS. Celles-ci ont permis d’officialiser notre partenariat auprès d’un public toujours plus large et surtout de montrer notre volonté de renforcer les échanges entre nos deux manifestations mais aussi d’élargir ce partenariat avec nos amis flamands d’Avelgem et de Bruges. Il est important pour nous, par ce genre d’émission, de montrer et de consolider le caractère transfrontalier de nos démarches. Aussi, il nous est plus facile d’interpeller un public qui a eu l’occasion de découvrir nos événements lors de ces émissions transfrontalières»
PULS (tout comme TRANSART) s’inscrit donc parfaitement dans le mouvement culturel à l’œuvre dans ces années-là. Plus encore, l’émission contribue à l’accentuer et le renforcer, en sensibilisant, notamment, certains opérateurs culturels ou muséaux à la nécessité de programmes ou expositions présentés dans les deux langues.
En décembre 2011, faute d’un nouveau programme européen ambitieux, l’émission dans cette forme aboutie s’arrête au grand dam des équipes des trois télévisions. Au total, ce sont 190 émissions qui ont été réalisées, main dans la main, une magnifique aventure humaine.
Extrait de TRANSART, émission de janvier 2009, avec le Vetex, orchestre qui réunit des musiciens des trois régions : Wallonie, Flandre et France. L’épisode complet est disponible sur le site de Notélé.
«Media Connect», le retour de la télé transfrontalière
Douze ans plus tard, un nouveau projet est sur les rails. Il est piloté par l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, financé par l’Europe et associe à nouveau les télés des trois versants. Le projet a reçu un premier aval sur la forme, en tout cas! Il se veut efficace et en phase avec l’évolution de la consommation d’information et du digital. Il s’agit de la création d’une plateforme en ligne, du nom de Media Connect.
Chacune des télévisions pourra venir y déposer des reportages. Ils seront informatifs sur l’actualité transfrontalière, axés sur l’économie, le développement durable, la société, la mobilité, le patrimoine, le tourisme et la culture pour une plus grande mobilité des publics. Ces reportages feront l’objet d’une traduction en français ou en néerlandais. Et chacun des médias pourra venir y piocher les sujets qui l’intéressent. Une offre complémentaire et enrichissante pour leurs propres programmes!
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Cette plateforme citoyenne transfrontalière, disponible sur les réseaux sociaux, a comme volonté de s’adresser aux jeunes en priorité. Ce projet devrait débuter en avril 2024, si tout va bien.
Sans préjuger de sa qualité et de la façon dont le projet va évoluer, il lui manquera sans doute la force des liens scellés entre les trois rédactions entre 2003 et 2011, la richesse des échanges et des interactions, et ces tournages réalisés, en équipe mixte, en France, en Wallonie ou en Flandre. Ils avaient dynamisé, soudé et apporté un grand PLUS à la belle équipe de PULS.