Lemuël de Graav – Allez ma belle viens danser
Dix-huit jeunes écrivain·es de Flandre et des Pays-Bas donnent la parole à un objet du XIXe siècle exposé au Rijksmuseum. Ils et elles ont écrit une histoire en se posant la question suivante: que voit-on lorsqu’on regarde ces objets dans la perspective d’une catastrophe imminente? Lemuël de Graav
s’est inspiré du tableau Le Raampoortje à Amsterdam de Wouter Johannes van Troostwijk. «Le chant du mendiant lui vide les poumons et remplit les rues.»
© Rijksmuseum Collection, Amsterdam
Allez ma belle viens danser
Les briques du Raampoortje se recroquevillent les unes contre les autres
quand une couverture de flocons de neige s’étend sur elles. Les eaux du
canal de la fleur bâillent sur de profonds abysses, et l’accordéon
local souffle à pleins soufflets à travers la rue.
Secouant les dernières gouttes dorées de sa verge, un mendiant
fait glisser des sons souples sur ses cordes vocales rouillées.
De son accent coloré, il lance par-dessus la rue un hymne
tout droit sorti de l’équateur.
«Alonki kon dansi,
Alonki kon dansi,
kon dansi Mek granman si
kon dansi Mek kownu si»
Le chant du mendiant lui vide les poumons et remplit les rues. Ouvriers et
notables bras dessus bras dessous interdisent au canal
de laisser la nuit l’accabler aujourd’hui.
Kon dansi, hurlent-ils.
Kon dansi, se répand dans les rues.
Lentement, lourdes de questions, les vibrations de la fête fouettent
à présent jusqu’au béton du Raampoortje.
Pourquoi il n’en sort ni chant ni réponse.
Les briques solidement se taisent.
Elles emmagasinent les vibrations,
qu’elles relâchent en échos.
Des échos qui se propagent seulement dans les espaces vides
et n’oublient jamais le chemin de la maison.
Des échos qui se sont transformés en comptines.
mais que nous devons encore apprendre à comprendre
Des échos qui ne s’éteignent
que quand tout le monde a entendu
d’où le mendiant tirait son chant
et ce qu’il y a fait