L’enseignement du néerlandais dans le Nord de la France en 2021
Tous âges confondus, vingt mille habitants du Nord-Pas-de-Calais apprenaient le néerlandais jusqu’à il y a peu. Malheureusement, leur nombre risque de subir une diminution significative.
L’enseignement primaire
À l’école primaire, l’Éducation nationale prévoit une initiation à une langue étrangère dès le CM1 au plus tard. En théorie, il s’agit d’une activité quotidienne de vingt minutes et les parents peuvent choisir parmi huit langues étrangères (l’arabe, le chinois, le russe, l’anglais, l’espagnol, l’italien, le portugais et l’allemand), voire six langues régionales (le breton, le basque, le corse, l’occitan, le catalan et l’alsacien-mosellan). Au moins à l’Académie de Lille s’y ajoutent le néerlandais et/ou le flamand. La grande majorité des écoles et parents choisissent l’anglais et, depuis peu, pour des raisons sociales, l’on fait également la promotion de l’arabe.
© Henri Vaassen
Depuis le début de ce siècle, il existe dans le Nord un combat plutôt stérile entre le flamand occidental régional promu par l’Institut pour la langue flamande d’une part et les tenants du néerlandais standard d’autre part. Le Vlaemsch est défendu bec et ongles par Jean-Paul Couché, qui y voit un symbole de la défense du patrimoine de la Flandre française. Cependant, il y a désormais moins de dix mille locuteurs, plutôt âgés, de ce dialecte français faisant partie du régiolecte qu’est le flamand occidental. Celui-ci est en outre parlé dans la seule province de la Flandre-Occidentale et connaît une multitude de dialectes et patois, de sorte que les utilisateurs ne se comprennent même pas entre eux.
À un certain moment, le Vlaemsch fut enseigné dans six écoles élémentaires en Flandre française, ce qui fut d’abord toléré, puis vivement déconseillé et enfin interdit par le rectorat de Lille
Et pourtant, Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, a choisi de soutenir le flamand occidental local, car créer et subventionner un Office régional pour la langue flamande lui a permis d’inaugurer également un Office régional pour la langue picarde. À un certain moment, le Vlaemsch fut enseigné dans six écoles élémentaires en Flandre française, ce qui fut d’abord toléré, puis vivement déconseillé et enfin interdit par le rectorat de Lille. Valérie Cabuil, rectrice de la région académique Hauts-de-France depuis 2018 avait en effet très vite compris l’intérêt de lui préférer le néerlandais, langue à part entière, écrite et parlée par plus de 23 millions de voisins en Flandre belge et aux Pays-Bas.
En 2017, Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Enseignement national, avait signé un accord-cadre avec son homologue Hilde Crevits du ministère de l’Enseignement flamand en Belgique. C’est pourquoi l’ambassade de France à Bruxelles invite actuellement de futur·es professeur·es des écoles flamand·es à passer une année scolaire quasi complète dans le Nord de la France pour y travailler comme assistant·es de langue néerlandaise et pour y perfectionner leur français, qu’ils et elles devront de toute façon enseigner une fois diplômé·es, puisque c’est la première langue vivante obligatoire dans le système éducatif flamand en Belgique.
Il y a d’ailleurs déjà une professeure des écoles d’origine néerlandaise titularisée par l’Éducation nationale française pour sillonner les routes de la Flandre française afin d’y enseigner le néerlandais dans les écoles primaires. D’autres professeur·es des écoles français·es se chargent eux-mêmes et elles-mêmes de cette tâche. Signalons cependant quatre initiatives intéressantes, l’une à Dunkerque, la deuxième à Bailleul, la troisième à Halluin et la quatrième dans différentes communes limitrophes de la frontière avec la Flandre belge.
En 2015, Patrice Vergriete, président de la Communauté urbaine de Dunkerque avait organisé dans le cadre des activités périscolaires une initiation au néerlandais d’une heure par semaine pendant un semestre au service de six mille jeunes enfants, essentiellement de grande section, de Bray-Dunes à Gravelines. En 2019, en tant que maire de Dunkerque, il a également inauguré un projet-pilote d’école bilingue de trois années à l’école maternelle Jérôme Savary à Rosendaël. Une enseignante belgo-flamande y enseigne en néerlandais deux jours par semaine selon les référentiels français… Un exemple que plusieurs villes aimeraient bien suivre au plus tôt, notamment Saint-Omer et Bailleul.
Justement, la ville de Bailleul enseigne depuis maintenant vingt ans le néerlandais dans toutes les classes de ses écoles primaires. Pour cela, elle fait appel à une enseignante d’origine néerlandaise via la Maison du néerlandais. Seulement, la ville a décidé au début de cette année scolaire de ne plus prendre en charge cet enseignement en CP, CE1 et CE2. L’Éducation nationale reste chargée du néerlandais en CM1 et CM2. Comprenant l’enjeu de ce dispositif, la Maison du néerlandais s’est donc résolue à payer l’enseignante elle-même pendant le premier trimestre. Trois mécènes financent l’initiation au néerlandais jusqu’à la fin de cette année scolaire.
L’Union de la langue néerlandaise, la fondation Noord & Zuid, l’Algemeen Nederlands Verbond et l’Association pour un enseignement bilingue dans le Nord de la France se répartissent cet investissement.
Par ailleurs, depuis cinq ans, cette dernière offre à une dizaine d’écoles, essentiellement en grande section, une heure hebdomadaire d’initiation au néerlandais. Cette heure est donnée par des professeur·es natifs et natives, en tant que tremplin à l’introduction d’un enseignement du néerlandais comme langue étrangère renforcée dans une école élémentaire du même bassin géographique. Un travail de lobbying de longue haleine, qui commence à porter ses fruits, puisque Sylvie Labadens, vice-présidente du Département du Nord, appuie cette initiative.
Enfin, la bien nommée école primaire Anne Frank-Jean Moulin à Halluin a ouvert une section internationale néerlandaise, où l’on enseigne le néerlandais pendant trois heures par semaine tout au long du cursus.
Les collèges et lycées
L’organisation Nederlandse Taalunie a récemment fait de la promotion du néerlandais en tant que langue des voisins l’une de ses priorités. L’année dernière, une opération de formation continue des professeur·es de néerlandais des régions limitrophes en Allemagne a connu un vif succès.
Cette année scolaire-ci, l’Union de la langue néerlandaise a jeté son dévolu sur la France. Et pour cause, car il y a peu, la liste des collèges et lycées du Nord-Pas-de-Calais offrant le néerlandais comme langue étrangère contenait pas moins de soixante-quinze établissements. Cette année, seuls cinquante établissements scolaires du second degré y offrent le néerlandais, principalement comme langue vivante 3 (LV3), parfois comme langue vivante 2 (LV2) et rarement comme langue vivante1 (LV1).
On y enseigne le néerlandais à raison de trois à quatre heures par semaine, mais l’Éducation nationale prévoit que l’on puisse opter pour un enseignement renforcé d’une langue étrangère, ce que nous aimerions voir amplifié pour le néerlandais dans le Nord de la France. S’y ajoutent alors deux heures de littérature et de civilisation néerlandophones et l’enseignement de l’histoire-géo (ou une autre discipline) en langue étrangère renforcée; ce qui porte le total à quelque huit heures par semaine. Nul doute que les élèves motivés qui suivent cette filière européenne sont de vrais bilingues en herbe.
© César Desoye
Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si le collège Robert Schuman à Halluin et le lycée Gambetta à Tourcoing ont ouvert il y a peu une section bilingue donnant lieu à un diplôme national du brevet ou un baccalauréat avec mention section internationale néerlandais. Le chômage est rude dans le Nord de la France et au moins jusqu’avant la crise du Covid, on était activement à la recherche de main-d’œuvre en échange d’un bon salaire au-delà de la frontière! Pouvoir se présenter à l’embauche dans la langue du recruteur et démontrer ainsi son intérêt pour sa culture est bien évidemment un atout non négligeable…
Les universités, l’enseignement supérieur et la formation continue
La fermeture du cours obligatoire de néerlandais dans la filière Langues étrangères appliquées de l’université du Littoral-Côte d’Opale à Dunkerque en septembre 2020 a bien entendu eu l’effet d’une bombe! Le seul cours d’initiation de fin d’été organisé à sa faculté à Boulogne-sur-Mer fut d’ailleurs laminé d’un même trait de plume par les responsables du Département de langues et langues appliquées. On peut toujours invoquer qu’il suffit de faire quatre-vingts kilomètres pour rejoindre l’Unité de formation et de recherche Langues étrangères appliquées (UFR LÉA) à l’université de Lille, où le néerlandais est encore offert comme langue principale à côté de l’anglais obligatoire…
Et c’est essentiellement là où le bât blesse… En pleine crise du coronavirus, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, a publié une loi restreignant fortement la possibilité d’enseigner les langues régionales et son collègue de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a rendu obligatoire une certification en anglais fût-elle délivrée par un organisme privé, pour tout candidat à un diplôme de licence (universitaire ou non). Comme l’écrasante majorité des filières de l’enseignement supérieur ne prévoient qu’une seule langue étrangère, quel intérêt y aurait-il à choisir une autre langue?
Toutefois, de nombreuses écoles du soir et organismes de formation continue offrent encore des cours de néerlandais. Serait-ce un hasard s’ils sont gérés ou conseillés par des chambres de commerce et d’industrie conscientes que le plus important partenaire commercial du Nord-Pas-de-Calais est le Benelux, dont deux tiers des habitants ont le néerlandais comme langue véhiculaire?