L’enseignement universitaire du français en péril aux Pays-Bas
Défis financiers et baisse alarmante des inscriptions: l’enseignement universitaire du français est en crise aux Pays-Bas. Outre l’avenir de la discipline, c’est aussi le lien culturel avec le monde francophone qui s’en trouve menacé.
En octobre, l’université d’Utrecht a annoncé qu’elle fermerait son département de Langue et culture françaises après la cohorte de 2025, invoquant des problèmes financiers. L’université de Leyde, de son côté, envisage de fusionner sa licence de français avec celles d’allemand et d’italien dans un programme élargi de Langues et cultures européennes. Que se passe-t-il dans ce pays reconnu pour sa maîtrise des langues et son ouverture culturelle?
Actuellement, cinq établissements néerlandais permettent l’étude universitaire du français, offrant une formation rigoureuse en linguistique, littérature, et culture francophone. Les universités de Nimègue, Amsterdam, Leyde et Utrecht proposent des licences en Langue et culture françaises, tandis que Groningue l’intègre dans un programme de Langues et cultures européennes. Ces formations mènent à diverses spécialisations de master, comme les sciences littéraires, la linguistique, et la communication interculturelle, aussi bien qu’à un master éducatif donnant accès à la profession d’enseignant à tous les niveaux du secondaire.
Un déclin
Dans les années 1990, plusieurs centaines d’étudiants s’inscrivaient chaque année en Langue et culture françaises, et pendant un certain temps, l’accès à la formation académique d’enseignant de français faisait l’objet d’un contingentement. Depuis, le nombre d’étudiants a diminué graduellement, incitant l’Université libre d’Amsterdam à fermer son programme de français, et l’université de Groningue à l’héberger d’abord dans un profil de Langues et cultures romanes, et ensuite dans Langues et cultures européennes.
Ensemble, les licences académiques en Langues et cultures françaises comptaient environ 140 inscriptions en 2007, tandis que les chiffres pour 2024 (pas encore définitifs) sont plus proches de 50. De ces dizaines d’étudiants, une minorité seulement choisit une carrière dans l’enseignement, la majorité préférant les secteurs diplomatique ou commercial où leurs compétences sont très recherchées.
Dans l’enseignement secondaire, le français est une matière obligatoire dans les premières années et optionnelle dans les autres, ce qui requiert un grand nombre d’enseignants. Or le déclin constant du nombre d’étudiants en Langue et culture françaises se traduit par un manque criant de professeurs qualifiés. De nombreuses écoles doivent recourir à des enseignants non certifiés ou remplacent le français par d’autres langues, comme l’espagnol ou le chinois. Bien que les hogescholen (instituts professionnels) d’Amsterdam, Leeuwarden, Nimègue, Rotterdam, Tilburg, Utrecht et Zwolle forment aussi des enseignants de français, ces formations, moins approfondies, sont principalement destinées à former des enseignants pour les premières années du secondaire.
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La diminution des effectifs étudiants affecte aussi les départements universitaires: les enseignants à temps plein par institution se comptent sur les doigts d’une main. En matière de recherche, la situation est alarmante. Il ne reste qu’un seul professeur titulaire en littérature française aux Pays-Bas (Nimègue), et deux en linguistique française (Leyde et Utrecht). Cette réduction drastique de l’expertise compromet l’avenir de la discipline.
Plusieurs facteurs expliquent la baisse du nombre d’étudiants de français: la valorisation croissante des sciences exactes et des disciplines menant à des carrières lucratives (droit, économie), la perception du français comme une langue belle mais difficile, un curriculum dans le secondaire qui ne réussit pas à inspirer les élèves, et l’idée erronée que l’anglais suffit à interagir sur la scène internationale. La méconnaissance de la présence mondiale croissante du français aggrave le problème, tout comme la pénurie d’enseignants capables de transmettre avec passion leur savoir.
Mesures prises
Pour pallier le manque d’étudiants et d’enseignants de français, des mesures ont été mises en place. Une campagne nationale de promotion des études de langues a été lancée en 2021. Des réformes ont également réduit le nombre de crédits requis pour accéder aux masters éducatifs (de 180 à 150 crédits en 2002, puis à 120 crédits en 2014, soit deux ans d’études). Actuellement, la possibilité de diminuer encore ce nombre est explorée. De plus, les universités offrent, de façon collaborative, des cours de requalification gratuits et largement numériques pour des professionnels qui souhaitent devenir professeurs de français. Cependant, ces dernières initiatives suscitent des craintes quant à la baisse de la qualité de l’enseignement, ajoutant au cercle vicieux qui veut qu’un professeur non spécialiste soit moins bien équipé pour enthousiasmer ses élèves.
En 2023, le ministère de l’Éducation a alloué des fonds supplémentaires aux universités néerlandaises (les Sectorplangelden), sous condition d’une collaboration accrue entre les départements de français du pays, dans le but de les rendre plus efficaces mais en même temps plus attrayants, partageant des cours et échangeant leurs expertises respectives. Les quatre départements offrant une licence en Langue et cultures françaises ont fait trois propositions consécutives, portant sur une forme de collaboration enrichissante qui donnait la possibilité aux étudiants de voyager dans une autre université pour profiter de son expertise, sans être obligés de le faire. Chacune de ces propositions a cependant été rejetée par le comité national des doyens, freinant les efforts de coopération, le dernier refus étant été annoncé avant l’été 2024.
Coupes budgétaires
C’est justement à ce moment-là, mi-2024, que les universités néerlandaises se sont rendu compte des graves problèmes financiers qui les menacent dans un avenir proche. Elles sont au cœur d’une parfaite tempête combinant la baisse du nombre total d’étudiants et de doctorants et du nombre de crédits obtenus par étudiant et l’augmentation des salaires de près de 10% suite à l’inflation. Les universités se sont retrouvées dans une spirale de déclin financier. À cela s’ajouteront les coupes budgétaires importantes dans l’enseignement annoncées par le gouvernement Schoof et une proposition de loi visant à réduire le nombre d’étudiants internationaux dont les universités dépendent, pourtant, pour leurs budgets.
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Le 25 novembre, environ 25 000 étudiants et enseignants ont participé à une manifestation à La Haye contre les coupes budgétaires, qui font l’objet d’une discussion vive au sein du gouvernement.
C’est dans ce contexte financier pénible que les deux universités attirant le plus grand nombre d’étudiants de français, celles de Leyde et d’Utrecht, ont décidé de reconsidérer leur offre éducative. Utrecht décidé que sa licence de français n’était plus rentable et devait être abolie, Leyde explore la possibilité de l’intégrer dans un programme plus large. Il est impossible de savoir si les plans de collaboration nationale seront encore concrétisés.
Un lien culturel précieux compromis
Qu’est-ce que cela veut dire pour le français aux Pays-Bas ? Des études ont montré que les étudiants néerlandais choisissent, le plus souvent, une université locale. Cela implique que la majorité des étudiants qui auraient choisi la licence à Utrecht, ne s’inscrira pas au programme de français à Nimègue ou Amsterdam mais choisira plutôt un autre programme à Utrecht. Tout semble indiquer que le manque d’enseignants de français ne cessera d’augmenter dans les années à venir, stimulant encore le cercle vicieux.
Il ne reste qu’un seul professeur titulaire en littérature française aux Pays-Bas et deux en linguistique française, cette réduction drastique de l’expertise compromet l’avenir de la discipline
Tous ces développements ont lieu dans le contexte d’un autre changement important: la grande réforme du curriculum français dans l’enseignement secondaire, devant être adoptée dans les années à venir. Cette réforme consiste en une approche de la matière plus ambitieuse, offrant des bases en linguistique et en sciences culturelles, rendant les cours de français plus intéressants. Il est espéré que cette nouvelle approche attirera plus d’écoliers vers les programmes universitaires de français, mais elle nécessite également un grand programme de formation des enseignants actuels pour les équiper à donner ces nouveaux cours. Mais qui le fera, si les universités ne prennent pas leur responsabilité?
L’avenir de l’enseignement du français aux Pays-Bas est en jeu. Si le gouvernement et les universités n’agissent pas rapidement pour soutenir ces programmes, la position du français dans le tout système éducatif néerlandais risque de s’effondrer, compromettant ainsi un lien culturel précieux avec le monde francophone.
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