Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

Leonore Spee – Sommeil de parade
© Marianne Hommersom / Rijksmuseum, Amsterdam
© Marianne Hommersom / Rijksmuseum, Amsterdam © Marianne Hommersom / Rijksmuseum, Amsterdam
Eurêka?
Littérature

Leonore Spee – Sommeil de parade

Dix-huit jeunes auteurs et autrices de Flandre et des Pays-Bas donnent la parole à un objet du XVIIe siècle exposé au Rijksmuseum. Ils et elles ont écrit un texte à partir de la question suivante: quelles illuminations ressentez-vous en regardant ces objets? Leonore Spee a tiré l’inspiration de sa nouvelle dans une statue de marbre grandeur nature de Guillaume d’Orange sur son lit de parade, réalisée par Hendrick de Keyser (I). «à son grand dam, il s’aperçoit qu’il porte encore son bonnet de nuit.»

Sommeil de parade

Il s’est allongé un instant. Sur ce lit. À ses pieds dort une chienne qui est à lui. La chienne respire lentement, en cadence, le ventre de l’animal caresse la plante de ses pieds à chaque inspiration. Ça l’endort. Il observe ses pensées, les voit progressivement changer de forme: une foule hurlante sous sa fenêtre – se pétrifie – des statues – se brisent – un amas de débris – des parties de corps – des silhouettes dansantes dans des vitraux. En arrière-plan, il entend sonner la cloche de l’église; de plus en plus sourd, le bruit de sa respiration qui ralentit et l’emmène dans un autre lieu.

Dans la pièce où il entre, il fait nuageux. Il regarde en bas, reconnaît ses pieds dans le brouillard. Ils paraissent rétrécis. Il doit absolument couper ses ongles de pied. Tel un funambule, il se dirige de l’autre côté de la pièce, où une porte au chambranle en bois s’ouvre sur une vaste vallée.

Il ignore comment il est descendu, mais il est là, au bord d’un ruisseau qui semble se jeter dans un lac au loin. Une nuée d’oiseaux passe en rase-mottes au-dessus de sa tête. Il se baisse instinctivement et se rend compte qu’il ne s’est jamais senti aussi libre. À part peut-être ce lointain dimanche, à l’âge de cinq ans, alors qu’il était en proie à une forte fièvre. Il avait pu rester seul à la maison pendant la messe. En rentrant, son père avait vidé avec un sourire effronté le contenu de ses poches sur une assiette en porcelaine, et ils s’étaient imaginés comme deux saints au déjeuner, capables de donner aux hosties des saveurs de beurre, de fromage, de gaufres, d’huîtres et de pâté en croûte.

Il se tient au bord du lac. Devant ses yeux, un massif rocheux s’élève hors de l’eau, un corps d’homme nu l’escalade comme un escalier. Arrivé au sommet, l’homme s’étire, bande les muscles de son buste, ce qui a pour effet de tendre sa peau. Les pieds dans l’eau, il regarde l’homme se frapper la poitrine et faire résonner d’une voix forte son nom dans la vallée: Álvarez! Álvarez! Il jette un bref coup d’œil à son reflet dans l’eau; à son grand dam, il s’aperçoit qu’il porte encore son bonnet de nuit. Il l’enlève, laisse glisser son tabard, arrache son justaucorps et entame l’ascension.

Quelque part sur une colline herbeuse au bord de l’eau se trouve une chapelle. La cloche de l’église annonce le soir en sonnant six fois ding dong. À l’endroit où deux corps d’hommes tendrement enlacés se mêlaient lentement à la terre, il y a maintenant un petit tas de pierres. Une marcheuse s’arrête, boit deux grandes gorgées à la gourde qui pend à son sac à dos. Derrière la chapelle, le soleil couchant colore le ciel. Orange sur rouge profond, éclairé d’un violet flamboyant.

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