Les 225 ans du MSK: de petit musée municipal à institution d’envergure internationale
À l’heure où tous les projecteurs de la Belgique sont braqués sur la réouverture du KMSKA (Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers), il serait dommage d’oublier son digne pendant à Gand. En 2023, le MSK soufflera ses 225 bougies. Les festivités ont commencé dès septembre dernier, car les Amis du musée célèbrent, eux, leurs 125 ans cette année.
Le musée des Beaux-Arts de Gand (MSK) ouvrit ses portes au grand public en 1802, devenant ainsi le premier musée public de Belgique et l’un des plus anciens d’Europe. Mais cette initiative visant à proposer une collection variée et de premier plan au sein d’un bâtiment historique remontait encore à quelques années plus tôt. Le MSK fut officiellement fondé en 1798, sur les modèles de la Galerij Prins Willem V (Galerie Prince Guillaume V, aujourd’hui la Mauritshuis) et du Louvre, respectivement inaugurés en 1774 et en 1793.
© Martin Corlazzoli
Sous les dominations autrichienne et française, la suppression d’un grand nombre d’églises et de monastères priva un vaste patrimoine culturel de sa destination initiale. En 1797, les autorités françaises créèrent le musée du Département de l’Escaut en vue de préserver ces trésors artistiques et de les rendre accessibles au public. D’abord installée dans l’abbaye désaffectée de Baudelo, la collection fut ensuite exposée en l’église Saint-Pierre, fermée au culte à l’époque. En 1811, le musée déménagea à la Stedelijke Academie (Académie des Beaux-Arts de Gand). Tout au long du XIXe siècle, la collection s’enrichit progressivement grâce à des acquisitions par la ville, des dons et des legs. L’expérience muséale s’élargit à de nouveaux publics et à de nouvelles activités.
Les Amis du MSK
L’Association des amis du musée fut fondée en décembre 1897 et est l’une des plus anciennes de ce genre en Europe. Cet organisme indépendant doté de son propre comité directeur œuvra à accroître constamment la collection. Depuis 1904, le musée est établi dans un bâtiment imposant, érigé en bordure du parc de la Citadelle. Il fut spécialement conçu pour abriter la collection du musée, à l’initiative de l’Association des amis. Bon nombre des pièces les plus prestigieuses de la collection furent achetées par l’association ou acquises à la suite de dons dans la première moitié du XXe siècle. Il s’agit d’œuvres de premier plan telles que Le Portement de Croix de Jérôme Bosch, Le Monomane du vol de Théodore Géricault ou la sculpture en plâtre La Douleur d’Auguste Rodin.
© Martin Corlazzoli
L’association acquérait principalement des maîtres anciens, tandis que la ville axait sa politique d’achat sur l’art contemporain. Les achats d’œuvres modernes avaient lieu à un rythme moins soutenu et se bornaient, à quelques exceptions près, aux artistes nationaux. Les principaux dons et legs provenaient aussi essentiellement de particuliers belges. L’esprit et le style de Fernand Scribe, qui légua toute sa collection à la ville en 1913, imprimèrent leur marque sur le musée. Aujourd’hui, l’Association continue à accroître la notoriété et l’expertise du MSK en soutenant et cofinançant des expositions, publications, conférences et voyages culturels. Elle invite cordialement tous les passionnés d’art à devenir amis du musée pour renforcer ce sentiment de «communauté».
De nos jours, la collection ne croît plus aussi rapidement qu’aux alentours de 1900, lorsque la générosité des donateurs et les efforts financiers des pouvoirs publics semblaient créer une émulation réciproque. Le MSK détient actuellement près de 20 000 œuvres d’art européennes allant du Moyen Âge à l’époque contemporaine. Il accorde une place de choix aux artistes (belges) du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. À première vue, sa politique s’apparente à celle adoptée par la plupart des musées de villes historiques européennes. Mais le MSK reflète également les goûts artistiques de la bourgeoisie gantoise, nettement teintés d’éclectisme et influencés par la France. En ce sens, il restitue aussi l’esprit d’une époque, en parfaite adéquation avec l’atmosphère très fin du XIXe siècle du parc de la Citadelle. Aux abords immédiats de celui-ci a vu le jour un quartier muséal qui englobe aussi le SMAK et le GUM (musée de l’Université de Gand) et perpétue l’histoire de la ville.
Juste avant l’entrée en fonction du nouveau directeur Manfred Sellink en 2021, l’équipe du MSK a réorganisé sa collection permanente, en sortant des dépôts des tableaux et des objets rarement exposés jusqu’alors. Les visiteurs peuvent désormais admirer quelque six cents œuvres. Qui plus est, le musée a organisé «Jan van Eyck, une révolution optique», la plus grande rétrospective jamais consacrée au grand maître. Ce projet prestigieux a eu un grand retentissement international, mais le coronavirus est venu tout gâcher, obligeant les organisateurs à poursuivre l’exposition en ligne. La restauration exceptionnelle de l’Agneau mystique a également eu lieu au MSK, qui a développé une mission active de médiation culturelle. La célébration du 225e anniversaire a offert une nouvelle occasion de revoir la présentation de la collection.
Médiation culturelle
Chaque salle présente désormais un fil thématique particulier, qui va de l’identité ou communauté au portrait en passant par la chasse, les tableaux historiques ou les relations sociales. Cette démarche peut sembler contradictoire: d’une part, on présente l’ensemble de la collection et, d’autre part, on limite celle-ci à du sur-mesure pour le visiteur, en rendant son expérience «digeste» et marquante. Le besoin de ralentir le rythme, de privilégier l’approfondissement et l’expérience individuels l’emporte sur la consommation d’œuvres «incontournables». La devise Less is more peut laisser dubitatif, mais une initiative commerciale telle que le slow art prouve que cela fonctionne. L’expérience immersive qui incite le visiteur à examiner chaque œuvre attentivement et à laisser son regard s’accrocher à ce qui éveille son intérêt… Voilà une nouvelle façon d’aborder l’art qui séduit le public. Les musées britanniques – toujours à la pointe du progrès – appliquent ce concept depuis un certain temps déjà.
L’expérience immersive «slow art» incite le visiteur à examiner chaque œuvre attentivement et à laisser son regard s’accrocher à ce qui éveille son intérêt
Le MSK ne va pas aussi loin que la National Gallery, qui propose à ses visiteurs un mood test (test d’humeur) pour leur présenter ensuite une œuvre d’art en phase avec leur état d’esprit. Mais le musée gantois organise après les heures d’ouverture des visites de groupe «silencieuses». Il a créé un parcours LGBTQ+ qui se concentre sur une douzaine d’œuvres ayant un lien plus ou moins direct avec l’identité de genre et l’orientation sexuelle. Les familles bénéficient d’un itinéraire incluant des activités pour les enfants. À cela s’ajoutent différentes visites guidées thématiques et une foule d’ateliers. Cette approche axée sur la présentation d’un nombre réduit d’œuvres permet au visiteur de ne pas s’égarer dans la masse. La médiation culturelle vise des groupes spécifiques en prenant en compte leurs intérêts, besoins et attentes. Cela peut sembler restrictif, mais cela permet d’actualiser sans cesse la collection, ou du moins le regard que l’on porte sur celle-ci.
© Martin Corlazzoli
Ce travail de médiation sort aussi du musée pour partir à la rencontre des Gantois grâce au projet participatif Collectie naar Buiten. Abattre les barrières en associant les habitants des différents quartiers et les étudiants, proposer des promenades en ville pour découvrir notamment les cimetières Westerbegraafplaats et Campo Santo ou offrir un programme adapté dans le cadre des Gentse Feesten (Fêtes de Gand), ce sont là d’excellentes initiatives. Reste à voir si ces échanges auront un caractère durable et procureront une réelle valeur ajoutée au musée. Les résultats tangibles, tels que cet oiseau coloré qui trône dans la salle E hémisphérique («E» pour éducation, expression et expérimentation) sont pour l’instant considérés principalement comme une «preuve» des interactions entre la ville, le musée et les habitants.
La mission de proposer un survol chronologique tout en conviant le public à un «voyage de découverte de soi-même» semble un peu grandiloquente, ou du moins ambitieuse. Au fond, l’intention du MSK est d’être, après 225 ans d’existence, un musée ouvert sur le monde, qui reflète la diversité de notre société multiculturelle et l’évolution constante du langage visuel. Il veut tisser des liens entre les arts « ancien » et « contemporain », en regardant non seulement vers le passé, mais aussi vers l’avenir.
Au fond, l’intention du MSK est d’être un musée ouvert sur le monde, qui reflète la diversité de notre société multiculturelle
Pour l’heure, l’institution a renoncé à commander de nouvelles œuvres et à mettre l’accent sur la confrontation entre arts classique et contemporain. Son attention se porte davantage sur les interactions, la participation et la cohésion, des concepts à interpréter au sens large. En parcourant la collection, le visiteur peut en outre jeter un coup d’œil dans les coulisses du MSK et découvrir le parcours fascinant qu’il a accompli en ces 225 années: le petit musée municipal des origines s’est converti en une institution résolument moderne et d’envergure internationale.