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Les archives de Flandre française et le flamand: «ik, Bonaparte, eerste consul»

27 avril 2023 7 min. temps de lecture Nord de la France et Flandre en dialogue

Si vous fouinez dans les archives du nord de la France, vous ne pourrez pas l’éviter. De nombreux documents anciens seront en flamand. Le présent article vous donne une idée de ce à quoi vous devez vous attendre.

Certains l’appellent Nederduutsch, d’autres l’appellent thiois, la langue qui était parlée, écrite et enseignée dans cette province méridionale des anciens Pays-Bas, qu’aujourd’hui une frontière divise en Flandre française et Flandre belge. Je l’appellerai simplement le flamand.

C’est à la fin du XVIIe siècle que les châtellenies de Bailleul, Cassel, Bourbourg, Bergues furent progressivement annexées par la France. Mais qu’a changé cette annexion au niveau de l’usage de la langue, notamment dans les archives?

Je connais particulièrement bien les archives de Cassel. L’analyse que je fais porte donc particulièrement sur celles-ci, mais, pour avoir fréquenté les archives de Bergues, Hondschoote, Wormhout et autres lieux dans le nord de la France, je sais que cette analyse y est également valable.

En flamand ou en français

Cassel a conservé l’essentiel de ses archives pour la période 1580-1790: archives de la ville de Cassel, archives de la châtellenie, tabellion, comptes de paroisse, comptes de la table des Pauvres.

Premier constat important: les archives du XVIIe siècle sont en flamand. Pour ce qui est du XVIIIe, les documents à usage local sont en flamand, tandis que les documents destinés aux autres administrations sont rédigés en français. Ainsi, les actes judiciaires sont en flamand jusqu’en 1700. En cas d’appel, ils partaient à Gand ou à Malines. À partir de 1700, les actes sont en français et, en cas d’appel, sont désormais transmis à Douai. Toutefois, une précision s’impose: les attendus et le prononcé sont bien en français, mais toutes les annexes peuvent être en flamand.

Les actes passés devant les échevins (ventes, baux, successions, rentes, gestion des biens des orphelins, …) à usage local restent en flamand jusqu’à la Révolution. Avec les comptes de la ville ou de la châtellenie, destinés à être transmis ou contrôlés par la chambre des comptes, c’est un peu différent. Ils restent bien en flamand au XVIIe (la chambre des comptes étant à Bruxelles), mais seront rédigés en français au XVIIIe (la chambre des comptes se trouvant alors à Lille).

Le tabellion et les comptes des paroisses et de la table des Pauvres sont toujours en flamand. Il s’agit là, bien entendu, de la tendance générale. Dans les comptes, l’ordonnance qui en prescrit la tenue et le fonctionnement, rendue par les archiducs Albert et Isabelle (souverains des Pays-Bas méridionaux de 1598 à 1621), est en français.

Jetons enfin un coup d’œil sur les actes passés devant les notaires ou les échevins: certains sont en français. À première vue cela peut paraître un peu surprenant, mais le choix du français est très probablement lié à la langue usuelle des personnes concernées (vendeurs, acheteurs, …). Dans la châtellenie de Cassel, beaucoup de propriétaires, rentiers et autres demeurant à Saint Omer ou à Aire-sur-la-Lys, donc de langue française, interviennent dans ces actes.

La facture du bourreau

Entrons un peu plus dans les détails. Quelles données et histoires intéressantes les archives de Cassel cachent-elles? Que peut-on y trouver? Ne vous laissez surtout pas rebuter par le classement sec de séries A à G, que je reproduis ici pour garder une certaine vue d’ensemble!

Une partie de la série A contient des relevés de fiefs et de terriers qui s’avèrent être bien intéressants. Dans la série BB, les premiers registres concernent la bourgeoisie et le généalogiste y trouvera grand intérêt. La deuxième partie, contenant les résolutions des échevins de la ville et des échevins de la châtellenie, intéressera surtout l’historien local.

La série CC est souvent négligée par les chercheurs, à tort. Elle est, c’est vrai, très répétitive et fastidieuse. D’année en année, les recettes sont les mêmes et la plupart des dépenses aussi. Cependant, il faut regarder avec attention les dépenses de fonctionnement et les dépenses extraordinaires. On trouve là entre autres les frais de construction et d’entretien des bâtiments publics.

Dans cette série, la châtellenie s’approprie un rôle important. Ainsi, elle paye les destructeurs de nuisibles (corbeaux, loups, …), ce qui nous permet de retrouver par qui, à quelles dates et dans quels bois des loups ont été abattus, en précisant s’il s’agit de loups, de louves ou de jeunes. Elle indemnise aussi les aubergistes qui hébergent des soldats (on retrouve ainsi les noms des auberges et des aubergistes) et paye les frais d’exécution des décisions de justice. Quand une personne est condamnée à être pendue sur la place publique, on voit la facture du menuisier qui a monté l’échafaud, la facture de l’aubergiste qui a hébergé le bourreau, celle du bourreau et celle du fermier qui est venu avec ses chevaux traîner le cadavre du pendu jusqu’aux fourches patibulaires. Pour avoir une meilleure vue d’ensemble sur la châtellenie, on peut utiliser des documents de la série DD. Ceux-ci permettent de mieux connaître le découpage de la châtellenie en seigneuries et fiefs.

Dans la série FF, qui n’est pas non plus sans importance, nous trouvons les affaires judiciaires, tant criminelles (assorties de condamnations au bannissement, aux galères, à la peine de mort, etc.) que civiles, mais aussi tous les actes passés devant les échevins (ventes, baux, rentes, contrats de mariage, successions, gestion des orphelins, …).

Dans la série GG, les comptes de la paroisse nous permettent notamment de suivre les travaux concernant l’église. Ceux de la table des Pauvres nous donnent le statut social des personnes, mais aussi le coût d’une pension alimentaire, celui des chaussures, vêtements, etc.

Le flamand disparaît

Qu’en est-il dans l’enseignement? On dispose de peu d’informations sur ce qui est enseigné dans les écoles. On sait que le Nieuwen Nederlandschen Voorschriftboek (Nouveau livre néerlandais de préceptes), réédité à treize reprises, y était régulièrement utilisé. Son auteur, Andries Steven, né à Bailleul en 1676, était instituteur à Cassel. L’ouvrage continua à être utilisé en Flandre belge, même jusqu’au XIXe siècle. On connaît mieux l’enseignement prodigué dans les collèges tenus par les Jésuites (à Cassel, repris par les Récollets en 1760). Si le latin y était intensément enseigné, la langue dite néerlandaise figurait aussi dans les programmes.

Le flamand continue d’être utilisé pendant la Révolution et donne alors des formules surprenantes telles den tweeden vendemiaire van t’jaer acht van de fransche republique, ou des directives du Consulat traduites en flamand et qui commencent par la formule ik, Bonaparte, eerste consul. Toutefois, l’Empire sera plus fatal aux langues régionales. Napoléon, considérant que pour qu’une armée manœuvre bien il fallait que tous les soldats comprennent les ordres, imposa la langue unique et, pour cela, nomma partout des fonctionnaires originaires d’autres régions, en assurant une rotation régulière de ceux-ci.

La langue flamande disparut alors de tous les documents officiels. Elle continua cependant d’être utilisée pour les pièces annexes aux décisions, les courriers, … J’ai ainsi constaté qu’un notaire steenvoordois annexait à l’acte officiel, rédigé en français, un exemplaire en flamand signé par lui et les parties à l’usage de son client, qui ne maîtrisait pas bien la langue française, et cela date de …1935.

Comment déchiffrer le flamand?

Les archives du nord de la France sont-elles accessibles aux francophones qui ne connaissent ni le néerlandais, ni l’allemand?

En ce qui me concerne, j’ai passé mon enfance en France, à Bailleul, mais à un endroit où j’étais plus proche des clochers de Loker et de Dranouter, juste au-delà de la frontière, que de celui de Bailleul. Par ailleurs, mes parents parlaient autant flamand que français, j’ai été bercé dans les deux langues. J’ai ensuite appris l’allemand comme deuxième langue de quatorze à dix-sept ans. Pour toutes ces raisons, je n’ai eu aucune difficulté quand j’ai découvert les archives en flamand. J’ai pris et je prends toujours un réel plaisir à les consulter.

Pour celui qui découvre ces archives sans connaissances en langues germaniques, la syntaxe tend, hélas!, à déstabiliser: les sujets, verbes et compléments ne sont pas dans le même ordre qu’en français. Toutefois, il y a bien des outils utiles. Ainsi, le Fransche Spraekkunste (Grammaire du français), ouvrage du linguiste néerlandais Jan des Roches (1740-1787), constitue une bonne approche pour les non-initiés. En ce qui concerne le vocabulaire, un bon dictionnaire tel le Callewaerts, le Richelet ou l’Olinger nous en donne l’essentiel. Ils utilisent d’ailleurs une orthographe beaucoup plus proche que celle qu’une certaine «Académie pour notre langue flamande» nous propose en réécrivant le flamand sans se référer à celui qui était écrit.

Cet article a initialement paru dans Septentrion n° 7, 2023.
Etienne Schryve

Etienne Schryve

Gestionnaire des archives anciennes de Cassel.

eschryve@yahoo.fr

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