L’Union de langue néerlandaise (Taalunie) a estimé qu’il fallait interroger les élèves de néerlandais langue étrangère des régions voisines de la Flandre et des Pays-Bas. Environ 3 000 élèves ont donné leur opinion sur l’enseignement du néerlandais, sur la culture de la Belgique et des Pays-Bas et sur l’actualité. Ici, Ruud Halink donne surtout la parole aux élèves du Nord et du Pas-de-Calais.
L’élève occupe une place centrale
La mesure de la qualité d’un enseignement peut s’effectuer de nombreuses manières. Très couramment c’est l’inspection de l’enseignement qui s’en charge, à moins qu’on ne fasse appel à un organisme spécialisé dans l’élaboration d’évaluations.
Il est moins fréquent de demander aux élèves leur avis sur l’enseignement. La Taalunie, qui met depuis longtemps les usagers du néerlandais au centre de sa politique, a jugé nécessaire de le faire pour une fois auprès des élèves qui apprennent le néerlandais comme langue étrangère dans une des régions voisines de la Flandre et des Pays-Bas. De plus en plus, le monde enseignant considère que l’élève occupe une place centrale dans le processus d’apprentissage et recherche les moyens d’orienter l’enseignement vers les besoins individuels des élèves. Dans la mesure du possible, les enseignants tiennent de plus en plus compte des différences de niveau entre les élèves, leurs styles d’apprentissage, leurs intérêts et, parfois même, leurs objectifs d’apprentissage personnels.
Environ 3 000 élèves ont été interrogés individuellement sur leur appréciation de l’enseignement du néerlandais, leur opinion et leur connaissance de la culture flamande et néerlandaise, l’actualité, la langue néerlandaise. Cette enquête a concerné les élèves de l’enseignement secondaire dans le Nord et le Pas-de-Calais, en Wallonie et à Bruxelles, en Rhénanie du Nord-Westphalie, en Basse-Saxe et en Belgique de l’Est.
Les élèves de néerlandais dans le nord de la France étaient tous des collégiens, âgés de 14 à 16 ans. Pour interroger les élèves, la Taalunie a travaillé en étroite collaboration avec l’inspection académique de Lille. L’inspecteur d’académie, M. Jean-Yves BESSOL, a contacté par courrier les différents établissements. Leur participation était facultative. Il ne s’agissait donc pas d’un sondage purement arbitraire, mais le nombre d’élèves ayant répondu est suffisamment important (177 au total) pour parvenir à des conclusions probantes.
Connaissance des régions néerlandophones
Une part importante des élèves (38 %) a de la famille, des amis ou des connaissances en Flandre belge. Les élèves viennent aussi régulièrement en Flandre : 41 % y sont venus plus de 10 fois. Ils visitent la Flandre pour différentes raisons (séjour, achats, etc.). 30 % des élèves français estiment que la culture néerlandaise est assez intéressante. Une proportion équivalente trouve la culture flamande intéressante. Il faut noter que l’intérêt de ces élèves est supérieur, de loin, à celui de leurs homologues wallons et bruxellois ou originaires des régions frontalières germanophones. L’enquête comportait aussi une série de questions portant sur la connaissance pratique des Pays-Bas et de la Flandre (nombre d’habitants, capitale, etc.). Le faible taux de réponses à ces questions amène à la conclusion que les élèves ne connaissent qu’un nombre très restreint d’écrivains, de films, de musiques ou de personnalités des Pays-Bas. Cela vaut aussi pour les représentants de la culture des jeunes (rappeurs ou vlogueurs). Anne Frank, le chœur d’enfants Kinderen voor Kinderen, les footballeurs néerlandais et le roi Willem-Alexander sont ce que les élèves connaissent le mieux. Il s’avère aussi qu’ils ne peuvent citer pratiquement aucun nom d’artiste ou de livre flamand, par exemple.
Pourquoi le néerlandais ?
En comparaison d’autres langues, le néerlandais est jugé difficile et pas très beau. L’allemand est jugé de la même manière. Le français et l’anglais, pour leur part, sont surtout considérés comme des matières utiles pour la vie quotidienne et un travail ou des études plus tard. L’espagnol est vu par les élèves comme une langue vivante, belle et intéressante.
Les principales raisons ayant amené les élèves à choisir le néerlandais au collège sont la décision de leurs parents (33 %), la qualité de l’enseignant(e) (29 %) et les excursions organisées par celui-ci ou celle-ci (26 %). Les autres motivations invoquées sont l’intérêt porté par les élèves à la matière (24 %), son utilité (21 %) et/ou sa capacité à faciliter l’obtention d’un emploi (20 %). Finalement, 43 % des élèves sont satisfaits de leur choix, mais un pourcentage élevé (37 %) n’a pas répondu à cette question.
Le néerlandais facilite l’insertion professionnelle
50 % des élèves du Nord et du Pas-de-Calais estiment qu’ils ont de plus grandes chances de trouver un emploi s’ils maîtrisent bien le néerlandais. Ils ne veulent pas dire vraiment qu’ils comptent utiliser leurs connaissances sur le marché du travail aux Pays-Bas ou en Flandre. Les élèves pensent que le néerlandais leur sera utile sur le marché français lui-même. Il est frappant de constater que les élèves du nord de la France sont beaucoup plus enclins à venir étudier ou travailler dans une région néerlandophone que les élèves de Wallonie-Bruxelles. L’utilité joue un grand rôle dans leur motivation.
Peu de culture et d’actualité dans les cours
Les élèves sont dans l’ensemble satisfaits du contenu des cours. Ils trouvent que la plupart des parties du programme sont suffisamment enseignées. 47 % des élèves tiennent le néerlandais pour une matière agréable et 52 % le considèrent comme une matière variée. Les avis sont partagés sur la question de savoir si c’est une matière difficile. Une petite majorité (37 %) estime que oui, mais une proportion presque aussi importante d’élèves (34 %) pense que le néerlandais est une matière facile.
Malgré la satisfaction exprimée à l’égard des différentes parties du programme, il ressort des réponses que l’actualité est traitée en parent pauvre dans les cours. Parallèlement, 56 % des élèves trouveraient intéressant d’en savoir plus sur les Pays-Bas et 44 % d’en savoir plus sur la Flandre. Davantage d’actualité et de culture dans les cours permettrait de répondre à l’attente des élèves.
Il faut davantage d’activités extra-scolaires
L’enquête auprès des élèves révèle que l’essentiel du travail s’effectue à partir des manuels. Les enseignants utilisent différents manuels. Certains choisissent la méthode Kompas, mais d’autres créent leur propre matériel pédagogique. Les activités hors manuel sont l’utilisation de films, de musique et de livres (43 %), l’examen du Certificat de néerlandais langue étrangère (28 %) et les voyages scolaires aux Pays-Bas ou en Flandre (26 %). Les élèves aimeraient davantage de voyages (33 %), d’excursions (30 %) et d’échanges (29 %) aux Pays-Bas et en Flandre.
Le néerlandais suffisamment parlé ?
Près de 60 % des élèves indiquent qu’ils parlent néerlandais moins de la moitié du temps. En d’autres termes, on parle bien plus français que néerlandais pendant les cours. Les élèves indiquent aussi que près de 30 % des enseignants parlent aussi néerlandais moins de la moitié du temps. Ces résultats suscitent l’inquiétude des experts tels que les inspecteurs et les spécialistes qui en ont pris connaissance.
Il a aussi été demandé aux élèves s’ils aimeraient parler davantage néerlandais. Dans tous les pays voisins où les élèves ont participé à l’enquête, plus de la moitié sinon les trois quarts des élèves ont répondu oui. Le nord de la France fait exception, car seulement 37 % des élèves le souhaitent. Ils invoquent souvent comme raisons avoir l’impression que la prononciation du néerlandais est difficile, qu’ils ont du mal à comprendre des conversations, qu’ils maîtrisent insuffisamment le vocabulaire ou la construction des phrases. Du point de vue didactique, ce sont justement des raisons pour mieux préparer les élèves à parler néerlandais.
Satisfaction envers les enseignants
54 % des élèves sont satisfaits de leur professeur(e) et estiment avoir un bon enseignant ou une bonne enseignante. 58 % trouvent aussi qu’il ou elle corrige bien leurs fautes.
Selon les élèves, l’enseignant(e) idéal(e) est celui ou celle qui est à leur écoute, qui prend le temps de fournir des explications, qui les aide à progresser, qui leur parle beaucoup de culture et d’actualité, à travers notamment la projection de films ou l’organisation d’excursions. Un bon enseignant ou une bonne enseignante est aussi celui ou celle qui sait être sévère quand il le faut. Certains élèves indiquent que l’enseignant ou l’enseignante qu’ils ont correspond à cet idéal.
Interprétation des résultats
L’objectif final de cette enquête est de répondre à la question de savoir comment la Taalunie peut, avec ses partenaires, apporter un meilleur soutien à l’enseignement du néerlandais dans les pays voisins au cours des prochaines années. Pour formuler les activités, mais aussi interpréter les résultats, la Taalunie a fait appel à deux groupes de professionnels, représentatifs de l’échiquier de l’enseignement. En leur sein, diverses catégories étaient représentées (enseignants, formateurs, professeurs conseillers pédagogiques, spécialistes de la formation continue, représentants des autorités en charge de l’enseignement, inspecteurs). L’un de ces « groupes de résonance » venait du nord de la France et de Wallonie-Bruxelles et l’autre des régions germanophones. Un certain nombre d’interprétations ont déjà été données plus haut.
Le nord de la France se distingue par l’emploi limité du néerlandais en classe. D’autres régions sont touchées par ce phénomène, mais le cas français montre qu’il faut y accorder une attention particulière. La Taalunie s’est déjà entretenue à ce sujet avec l’inspection académique de Lille. L’explication semble être que les enseignants prennent souvent la voie de la facilité et ne veulent pas rendre leur enseignement trop rébarbatif. Comme nous l’avons indiqué plus haut, les élèves font également le choix de la facilité : les élèves du nord de la France sont moins enclins à parler que ceux des autres régions, parce que cela leur est trop difficile.
Politique et activités menées
• Il est nécessaire de stimuler l’expression orale et d’aider les enseignants dans cet effort à travers la formation continue pédagogique et didactique et les cours de mise à niveau pour leurs propres compétences linguistiques (ou une combinaison des deux). Il faut davantage de matériel pédagogique pour l’expression orale. La Taalunie contribuera à sa collecte, son développement et sa diffusion. Elle réunira des experts pour assurer le support de l’opération.
• La compréhension orale mérite aussi d’occuper une place plus importante dans l’enseignement au quotidien. La Taalunie mènera aussi une action dans ce sens, notamment pour fournir aux apprenants débutants davantage de matériel pédagogique. La promotion du principe « langue cible = langue véhiculaire », doit retenir davantage l’attention, et assurément dans les régions francophones.
• L’actualité et la vie quotidienne en Flandre et aux Pays-Bas devraient jouer un plus grand rôle, à travers des thèmes qui parlent aux jeunes. Autant que possible en combinaison avec la culture (des jeunes). La Taalunie réalisera un kit hebdomadaire de matériel pédagogique sur des thèmes d’actualité.
• Par le biais de formations, les enseignants pourront se familiariser davantage avec la culture des jeunes (rap, slam, blogueurs, youtubeurs, etc.) existant aux Pays-Bas et en Flandre. Des suggestions seront faites pour intégrer dans l’enseignement de néerlandais des formes de la culture jeune.
• Un support (numérique), à définir ultérieurement, permettra d’obtenir des informations objectives sur les Pays-Bas et la Flandre, afin de tordre le cou à certains clichés sur ces régions linguistiques. La Taalunie orchestrera la mise au point d’un module d’apprentissage permettant aux élèves de voir la manière de se forger une opinion sur les cultures, les langues et les populations.
• La Taalunie apportera un soutien fonctionnel aux enseignants dans la mise en place de projets de coopération avec des établissements d’enseignement flamands et néerlandais, vraisemblablement sous la forme d’un guide pour les partenariats scolaires. Elle soutiendra également la labellisation d’établissements d’enseignement (« écoles à profil eurorégional » et « école eurorégionale ») dans toute la zone frontalière.
• La Taalunie organisera le retour d’information des résultats de cette enquête à l’attention des partenaires concernés et surtout des élèves. Elle y procédera vraisemblablement à travers une courte vidéo accompagnée d’un document qui permettra aux enseignants de discuter les résultats en classe. La Taalunie souhaite garder le contact avec les enseignants et leurs classes, et créera à cet fin une page interactive sur son site Internet.
• L’attention accrue à l’expression orale et aux autres thèmes mentionnés ne doit pas se faire au détriment de la compréhension et expression écrite. Une approche intégrée a tout son intérêt, car elle permet justement de combiner à bon escient, par exemple, l’actualité à la compréhension et expression orale.
Coopération
Pour les actions mentionnées plus haut, la coopération de la Taalunie et des cinq régions voisines représentera une grande valeur ajoutée. Pour autant, la coopération interrégionale est importante également. Ces régions peuvent en effet apprendre les unes des autres, échanger leur expertise et leurs expériences. La Taalunie assurera le lien dans ces échanges. Les groupes de résonance continueront de jouer un rôle majeur dans ces échanges.
A l’occasion d’entretiens intermédiaires avec les autorités du nord de la France, celles-ci ont relevé que le point de vue des élèves constituait un grand apport à l’évaluation de l’enseignement. Elles aimeraient que ce type d’enquête de perception puisse être organisé pour d’autres langues. De plus, les élèves pourraient ainsi s’habituer à donner leur opinion sur l’enseignement. Le seul fait de prendre conscience que leur opinion est prise au sérieux permettrait aux élèves de s’impliquer davantage dans le processus d’apprentissage.
Spécificité du nord de la France
Pour le nord de la France, la Taalunie se concerte régulièrement avec l’académie de Lille, et va renforcer cette concertation dans un avenir très proche. L’académie a l’intention d’apporter un soutien substantiel au néerlandais, et l’exemple de l’allemand dans la région frontalière avec l’Allemagne pourrait constituer une bonne source d’inspiration, même si les situations ne sont pas exactement comparables.
Dans la zone frontalière avec l’Allemagne, l’allemand standard est fortement encouragé, mais pas la langue régionale. Les résultats de cette enquête incitent aussi à adopter une telle approche. Les élèves indiquent clairement que le néerlandais est utile pour les études et, plus tard, pour l’obtention d’un emploi. Dans le passé, A. Vanneste, D. Cumps et H. Ryckeboer ont aussi plaidé pour une telle approche. Une synergie doit être trouvée entre le néerlandais standard et la langue régionale de la Flandre française. Cette enquête fournit aussi une piste : l’attention accordée à la culture et aux modes de vie occupe une place importante dans l’enseignement français des langues. Il semble tout à fait approprié pour l’avenir de renforcer le néerlandais et d’accorder au passage une grande attention à la présence du flamand de France comme dans les toponymes ou les noms de famille, par exemple. On pourra aussi s’intéresser davantage aux traditions de la Flandre française. Cela cadre parfaitement avec la marque d’attention accrue pour le pays et la culture que la Taalunie préconise. Dans son article, Dorian Cumps a déjà donné des conseils pratiques très intéressants à ce sujet. Les élèves indiquent aussi qu’ils aimeraient mieux connaître la Flandre et les Pays-Bas.
Hugo Ryckeboer a remarqué que le néerlandais est (devenu) une véritable langue étrangère pour les élèves. Peut-être faut-il nuancer ce propos en faisant observer que le néerlandais est devenu la « langue du voisin ». Une langue moins lointaine que l’espagnol, par exemple, qui a les faveurs des élèves. Le néerlandais est la langue d’une région dans laquelle les élèves viennent régulièrement, comme le fait ressortir cette enquête. Et comme dit le proverbe : Mieux vaut un bon voisin qu’un ami lointain…