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arts, histoire compte rendu

Derrière la beauté sereine des «Enfants de la Renaissance» se trament des jeux politiques

Par Virginie Platteau, traduit par Pierre Lambert
12 mai 2021 7 min. temps de lecture

Que nous apprennent les portraits des jeunes princes et princesses habsbourgeois-bourguignons sur l’exercice du pouvoir dans l’Europe du XVIe
siècle? Vous pourrez le découvrir jusqu’au 4 juillet au musée Hof van Busleyden de Malines. L’exposition Enfants de la Renaissance présente notamment des portraits d’enfants qui furent des pions sur l’échiquier politique dès leur plus jeune âge, un monument funéraire émouvant et un Charles Quint très relax.

Pendant plus d’un demi-siècle, les voix d’enfants qui allaient devenir des protagonistes de la politique européenne au XVIe siècle retentirent derrière les murs du palais «Cour de Cambrai» (Hof van Kamerijk), qui héberge aujourd’hui le théâtre de la ville de Malines. Trois générations successives de jeunes princes et princesses habsbourgeois-bourguignons y grandirent, dont le futur Charles Quint. Pour les souverains bourguignons et les premiers Habsbourg, Malines n’était pas seulement un important pivot politique et culturel, mais aussi un centre éducatif.

Jusqu’au 4 juillet, le musée Hof van Busleyden vous invite à découvrir la vie de ces Enfants de la Renaissance au gré des œuvres d’art qui mirent en images leur éducation. En effet, presque tous les enfants habsbourgeois-bourguignons ayant vécu dans ce palais malinois eurent droit à leur portrait.

Marguerite d’York et Marguerite d’Autriche veillaient sur l’éducation des princes. Ce sont elles qui commandèrent ces portraits saisissants à des peintres renommés tels que le Maître de la Légende de sainte Marie-Madeleine, Pieter van Coninxloo, le Maître de la Guilde de Saint-Georges à Malines, Juan de Flandes et Jean Gossart. Les œuvres qui subsistent aujourd’hui offrent un aperçu exceptionnel de l’évolution du portrait d’enfant entre la fin du XVe siècle et les premières décennies du XVIe siècle.

Idéal humaniste

Lorsque, en 1501, Philippe le Beau et Jeanne de Castille partent pour l’Espagne en tant qu’héritiers du trône, une vaste cour est établie à Malines pour leurs jeunes enfants Éléonore, Charles et Isabelle. Charles est accompagné lors de tous ses déplacements par une garde du corps composée de cinquante archers. À l’âge de trois ans, le jeune noble a également à son service un luthiste, un tambour, des cuisiniers et des portiers. Plus tard s’y ajouteront des hérauts d’armes, des sommeliers et un bouffon.

Les parents ne voient presque jamais leurs enfants, qui sont allaités et pris en charge par des nourrices, puis instruits par les meilleurs professeurs de l’époque

Le riche cérémonial de la cour bourguignonne est scrupuleusement respecté. En tant que membres proches de la famille, Marguerite d’York et ensuite Marguerite d’Autriche, toutes deux sans enfants, jouent sans doute un important rôle affectif dans l’éducation, qui est intégralement confiée à des tiers. Les parents ne voient presque jamais leurs enfants, qui sont allaités et pris en charge par des nourrices, puis instruits par les meilleurs professeurs de l’époque. Leur éducation est entièrement organisée en prévision de la position sociale éminente qu’ils sont appelés à occuper.

À cette époque charnière entre le Moyen Âge et la Renaissance, les conceptions humanistes telles que définies par un Érasme ou un Juan Vives acquièrent un rôle central dans l’enseignement, qui englobe la musique et la danse, les arts, les langues et la littérature, les mathématiques et diverses activités récréatives. Les enfants royaux – en majorité des filles – reçoivent donc une éducation très complète et variée.

L’influence de la culture courtoise du Moyen Âge est encore clairement palpable: l’équitation, les tournois et la fauconnerie font partie de l’éducation physique. On en trouve également des allusions dans les portraits et jouets exposés. L’armure inachevée du jeune archiduc Charles, futur Charles Quint, constitue une pièce maîtresse tout à fait singulière. Elle a été spécialement conçue et fabriquée sur mesure en acier léger précieux, mais il ne l’a jamais portée. Avant même que l’armure ne soit terminée, le jeune Charles ne rentrait déjà plus dedans. Car les petits princes grandissent aussi.

Les princes et princesses ne sont pas élevés seuls à Malines. À l’époque de Charles et de ses sœurs, une vingtaine d’autres enfants vivent avec eux à la cour de Cambrai et suivent le même enseignement. Ils doivent constituer la hiérarchie sociale dans laquelle les jeunes courtisans évolueront plus tard et renforcer en même temps leur réseau européen.

Ces enfants d’honneur provenaient principalement des régions relevant de la sphère d’influence des Habsbourg. La plus célèbre est probablement Anne Boleyn. Pour la jeune fille de diplomate anglais, l’instruction reçue à Malines, où elle apprit à danser et à parler français, représentait une opportunité d’ascension sociale. Elle devint reine d’Angleterre, en tant que deuxième des six épouses d’Henri VIII.

Des pions sur l’échiquier politique

Ces enfants bénéficiaient de l’éducation la plus soignée, des plus beaux vêtements, des jouets les plus précieux et des meilleurs livres de leur époque. Mais étaient-ils heureux? Au spectateur d’en juger par lui-même. Vous ne trouverez pas de regards heureux et candides dans ces portraits d’enfants, parfois d’une beauté poignante. Cela devait être une véritable épreuve pour beaucoup d’entre eux (parfois âgés d’à peine deux ans) de garder la pose pendant si longtemps. Sans parler de la lourde pression qui reposait sur leurs frêles épaules et du détachement émotionnel qu’on leur inculquait.

Dès leur plus jeune âge, ces enfants étaient les pions d’un jeu politique sur lequel ils n’avaient aucune emprise

Les portraits dégagent une force intemporelle par le raffinement avec lequel la fragilité et le regard énigmatique de ces enfants ont été immortalisés sur la toile. Mais ils ne servaient pas uniquement de souvenirs ou de présents pour les membres de la famille. Dès leur plus jeune âge, ces enfants étaient les pions d’un jeu politique sur lequel ils n’avaient aucune emprise.

Les portraits étaient utilisés au cours des négociations d’alliance par leur envoi à des partis intéressants. Quel était l’aspect physique du candidat au mariage, était-il en bonne santé et sans tare? La représentation des armoiries sur les portraits indiquait subtilement les domaines que l’enfant en question apporterait en dot.

Presque tous les princes et princesses Habsbourg furent fiancés pendant leur séjour à Malines, souvent à plusieurs reprises et à un très jeune âge, même si le mariage définitif ne devait avoir lieu que des années plus tard. Grâce à des unions stratégiques, les filles en particulier jetèrent les bases de la domination politique de la maison de Habsbourg en Europe et dans une grande partie du monde, et ce jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale.

Muets, ces portraits en disent toutefois long à ceux qui savent en déchiffrer la symbolique, notamment à travers les vêtements. Ainsi, beaucoup de ces enfants portent un tablier blanc qui couvre une grande partie de leurs habits. Le tablier est souvent utilisé dans les portraits pour indiquer les différences d’âge entre les enfants. Les plus jeunes portent un tablier blanc et un bonnet de même couleur. Ils sont également souvent représentés avec un jouet. Les enfants un peu plus âgés, les garçons d’âge scolaire, portent un pantalon et un manteau court.

Un délicat portrait en buste montre une infante (enfant royale) au regard impénétrable qui tient en main une rose, symbole de pureté. L’image qui fait la promotion de l’exposition représente une princesse Habsbourg, Éléonore ou Isabelle, on ne sait pas exactement. La jeune fille porte autour du cou un ruban noir auquel pendent une dent de loup et un morceau de corail rouge. Ils étaient destinés à être sucés lors de la percée des dents de lait, mais avaient également une fonction d’amulette: ils protégeaient contre la maladie et la mort subite.

La mortalité infantile est une réalité courante qui se reflète dans l’art du XVIe siècle dans des tableaux et des gisants d’enfants. Le fragment de tombe en marbre représentant un bébé emmailloté émeut par sa beauté sereine.

Des princes de leur temps

Au XIXe siècle, les peintres d’histoire puisèrent leur inspiration dans les périodes glorieuses de l’histoire nationale: les héros devaient conférer grandeur et légitimité au jeune État belge. La figure de Charles Quint s’y prêtait particulièrement bien. Son portrait réalisé par Jan Van Beers en 1879 surprend par l’éclairage et la composition, mais surtout par la manière dont le jeune Charles est représenté. Sa posture traduit-elle une désinvolture toute pubertaire, l’indifférence ou plutôt la tristesse? Lit-on dans son regard une certaine distance hautaine, annonciatrice de son glorieux avenir? Nul doute que ce portrait intrigue à plus d’un titre.

La scénographie à la fois sobre et raffinée met magnifiquement en valeur toutes les œuvres de cette exposition compacte. Le parcours s’achève sur un rapprochement entre les enfants d’alors et ceux de notre époque. Une série de photographies, de vidéos et de collages s’inspirant des portraits du XVIe siècle joue sur la fascination de la jeunesse actuelle pour des phénomènes tels que les selfies et TikTok. Un livret d’activités et une exposition de portraits d’enfants contemporains dans les vitrines de commerçants vous aideront à persuader vos petits princes ou princesses d’aller admirer les magnifiques portraits de leurs camarades d’il y a un demi-millénaire.

Site de l’exposition Les enfants de la Renaissance
Virginie-platteau

Virginie Platteau

journaliste culturelle

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