Les enjeux des élections municipales dans le Nord – Pas-de-Calais
En France, le monde politique est projeté vers les élections municipales de mars 2020. Outre les maires des communes, les présidents des intercommunalités, dont la puissante Métropole européenne de Lille, seront désignés. Plusieurs enjeux se télescopent dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais : l’implantation du parti présidentiel d’Emmanuel Macron (LREM), l’enracinement du Rassemblement National (ex-Front National) de Marine Le Pen, et les derniers soubresauts ou non du Parti socialiste dans son ex-bastion historique.
Les vendredis 13 ne sont pas synonymes que de mauvaises nouvelles. La preuve en ce mois de décembre avec Martine Aubry, maire sortante à Lille, qui a pu se délecter d’un sondage IPSOS-Voix du Nord-France Bleu, la donnant largement en tête au premier tour des prochaines municipales avec 30% des voix. De quoi remettre les points sur les I alors que depuis des mois, une petite musique semblait s’installer : Lille pourrait bien quitter le giron socialiste après quasiment cent années de gestion de gauche ininterrompue (seul René Gaifié, sous les couleurs gaullistes, a brisé cette hégémonie entre 1947 et 1955)… Une possibilité d’autant moins incongrue qu’à l’origine, Martine Aubry, qui avait annoncé ne pas vouloir dépasser les trois mandats – elle est élue depuis 2001 -, n’aurait donc pas dû se représenter devant les électeurs pour un quatrième round en 2020… Mais avait-t-elle vraiment le choix si le parti à la rose veut conserver Lille ? Tous ses dauphins putatifs sont hors-jeu : Pierre de Saintignon, fidèle compagnon de route et premier adjoint, est décédé en début d’année ; François Lamy, ex-ministre de la Ville, n’a pas réussi son parachutage à Lille (parlementaire issu de l’Essonne, au sud de Paris, il a tenté de se faire élire député dans le Nord en 2017, sans succès) ; Audrey Linkenheld, ex-députée battue en 2017 et proche de Martine Aubry, n’en a pas envie. Dans la catégorie socialiste d’envergure, il y aurait bien eu Patrick Kanner, lui tout à fait ouvert à cette opportunité. Mais Martine Aubry n’a pas supporté que cet ancien élu lillois – il a été son adjoint – accepte un poste de Ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports sous François Hollande, président de la République de son propre camp… dont elle ne goûtait guère la politique. Résultat, entre défections plus ou moins forcées et inimitiés, la fille de Jacques Delors, l’ancien président de la Commission européenne, se retrouve obligée de croiser le fer alors qu’elle en avait peu envie, consciente du risque du combat de trop.
Logiquement, parmi ses concurrents, certains se sont donc senti pousser des ailes. C’est notamment le cas des Verts, représentés par le binôme Stéphane Baly-Stéphanie Bocquet. Les écologistes, traditionnels alliés au second tour du parti socialiste, mettent la pression, forts de leurs 21% aux dernières européennes. Objectif : virer en tête pour contraindre le PS à négocier dans leur sens. Autre force qui espère créer la surprise : LREM, le parti présidentiel, dont la candidate est une certaine Violette Spillebout, qui fut pendant quatre années la directrice de cabinet de Martine Aubry ! La voici représentante d’un parti honni par son ancienne patronne, en bénéficiant de l’appui de plusieurs figures ex-socialistes locales : Gilles Pargneaux, Bernard Charles, Dominique Bailly, Frédéric Marchand, Laurent Guyot… Reste qu’au moment-clé, le récent sondage ne sert pas les challengers : quand Martine Aubry obtiendrait 30% des suffrages au premier tour, les écologistes ne sont qu’à 18%, Violette Spillebout à 15% (la France Insoumise est à 11%, comme le Rassemblement National – extrême-droite – et la liste Les Républicains – droite traditionnelle -). Il reste trois mois pour inverser ou confirmer les tendances.
Macron-compatibles
Si le résultat de la capitale des Flandres est observé, c’est qu’il impactera forcément la Métropole européenne de Lille, l’intercommunalité aux 90 communes et 1,2 million d’habitants, qui prend de plus en plus de pouvoir – développement économique, transport, logement, etc – au fil des années. En 2014, elle avait été remportée par Damien Castelain, maire de la modeste Péronne-en-Mélantois (900 habitants). L’élu à la tête d’un groupe de maires et conseillers des petites communes, plutôt centre-droit, avait été désigné avec les voix de la gauche… En 2020, ils sont plusieurs à vouloir le renverser. Dont Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes Publics. L’ex-maire de Tourcoing (élu en 2014, il a dû démissionner lorsqu’il a été nommé ministre, mais en reste toujours le maire officieux), est aux manettes de toutes les investitures LREM pour se ménager le plus de voix possibles au moment du vote crucial.
© Nicolas Montard
En France, l’implantation de LREM est un des grands enjeux de ces élections municipales, qui se dérouleront les 15 et 22 mars. Pour le parti présidentiel, seulement trois ans d’existence, obtenir un maximum de conseillers municipaux, voire de villes, permettra de préparer les prochaines échéances électorales : sénatoriales en septembre 2020 (d’autant que le mode de désignation des sénateurs repose en partie sur les conseillers municipaux…), puis départementales et régionales en 2021 avant l’élection présidentielle de 2022. Dans ce contexte, l’ex-région Nord – Pas-de-Calais, particulièrement peuplée (4 millions d’habitants), comptera.
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Mais les ambitions présidentielles se confrontent à un principe de réalité. LREM n’a aujourd’hui que peu de personnel politique en mesure de gagner des villes dans la région. À défaut d’avoir les troupes, il faut des idées. Comme celle de soutenir plus ou moins ouvertement des maires sortants réputés Macron-compatibles. Ainsi, à Dunkerque, Patrice Vergriete n’aura pas de concurrence au centre. Même traitement à Roubaix pour Guillaume Delbar et à Valenciennes pour Laurent Degallaix. Ce devrait être aussi le cas pour Dominique Baert à Wattrelos, Bernard Gérard à Marcq-en-Barœul, Frédéric Leturque à Arras, François Decoster à Saint-Omer… Ces maires sont essentiellement centristes (ils ont fait ou font généralement encore partie de l’UDI, du Modem, de l’aile droite du PS, de l’aile gauche des Républicains…). Pour eux, ce soutien, même s’il n’est pas affiché en grand, est du pain béni : tout en bénéficiant de la prime au sortant, ils s’évitent des concurrents qui leur prendraient forcément quelques précieuses voix. Pour LREM, c’est un moyen de s’acheter un soutien à moindre frais lors des prochaines échéances électorales et de donner l’illusion d’être implanté dans les grandes villes. Car ces maires devront aussi accepter de prendre quelques Marcheurs sur leur liste pour donner le change…
La descente aux enfers du PS
Le Parti socialiste, lui, est dans une situation bien moins enviable. Naguère majoritaire, il n’en finit plus de dégringoler depuis 2014. Lors des précédentes élections municipales il y six ans, la gauche avait perdu Dunkerque, Tourcoing, Roubaix, Maubeuge, Saint-Omer, Hazebrouck, Hénin-Beaumont, Béthune… En 2015, c’était le département du Nord et la Région Hauts-de-France (où elle n’est même plus représentée). En 2017, la berezina continuait avec la disparition de l’intégralité des circonscriptions législatives dont le parti à la rose disposait (soit 18 !).
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La saignée continuera-t-elle en 2020 ? La donne semble compliquée. À Lille, on l’a vu, Martine Aubry semble en bonne voie. En dehors de la métropole, seul Frédéric Cuvillier à Boulogne-sur-Mer affiche une relative sérénité. Douai, ravie à la droite par Frédéric Chéreau en 2014, s’annonce un challenge difficile. Ce sera encore plus compliqué pour un quatuor de maires à Lens, Liévin, Bruay-la-Buissière et Denain, au cœur de l’ex-bassin minier : Sylvain Robert, Laurent Duporge, Olivier Switaj et Anne-Lise Dufour-Tonini sont là confrontés aux grandes ambitions du Rassemblement National.
Les grandes ambitions de l’extrême-droite dans l’ex-Bassin Minier et le Pas-de-Calais
Dans ce secteur rongé par la crise, l’ex-Front National prospère d’élections en élections. En 2014, Hénin-Beaumont devenait la première commune du Nord – Pas-de-Calais à être dirigée par un maire d’extrême-droite, Steeve Briois. Le FN faisait aussi son entrée dans de nombreux conseils municipaux. En 2017, cinq des huit députés FN élus à l’Assemblée Nationale provenaient de la région : Sébastien Chenu à Denain, Marine Le Pen à Hénin-Beaumont, Bruno Bilde à Liévin, Ludovic Pajot à Bruay-la-Buissière, José Évrard à Lens (ce dernier est depuis passé aux Patriotes, un autre parti d’extrême-droite).
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Logiquement, dans la liste des villes visées par le Rassemblement National, on trouve nombre de communes de cet ex-bassin minier : Wingles, Carvin, Grenay, Mazingarbe, Beuvry et Noyelles-Godault, etc. Mais les plus belles prises consisteraient bien en Bruay-la-Buissière, Denain, Lens et Liévin. Dans la première, la candidature du député Ludovic Pajot accrédite la thèse du basculement, vu les résultats du RN aux dernières élections. Le médiatique député Sébastien Chenu, fortement présent sur les plateaux télé parisiens, a annoncé sa candidature aux municipales à Denain. À Liévin et Lens, les choix interrogent tout de même sur les réelles ambitions du parti de Marine Le Pen : Louis Mompeu et Bruno Clavet sont arrivés récemment dans le paysage et souffrent d’un ancrage local très réduit, pourtant essentiel dans des élections de ce type. La même question se pose à Calais, certes hors du Bassin Minier, mais au contexte présumé porteur pour le RN : c’est l’une des cités les plus pauvres du pays, confrontée à la crise migratoire depuis des années. Ici, le parti a parachuté il y a quelques semaines Marc de Fleurian, un ancien militaire, collaborateur politique au Parlement européen. Suffisant pour déloger la LR Natacha Bouchart ? Pas sûr, d’autant que le RN local se déchire… Des hésitations et désignations qui symbolisent la difficulté du Rassemblement national à s’implanter localement via des candidats solides et identifiés. Rappelons qu’en 2014, le RN avait certes envoyé un nombre record d’élus dans les conseils municipaux, mais que depuis, au niveau national, un tiers de ces mêmes élus ont démissionné de leur poste ou rendu leur carte au parti.