Les mathématiques et le monde actuel: «Un café avec Archimède» de Stefan Buijsman
Le jeune philosophe des mathématiques Stefan Buijsman est d’avis que nous avons tous besoin d’une connaissance basique des principes des mathématiques pour avoir une emprise sur le monde qui nous entoure. Dans cet esprit, il s’adresse aux adultes pas forcément matheux dans son premier livre intitulé Un café avec Archimède. Pour que le texte soit accessible, il a fait le choix judicieux de faire précéder d’une partie historique et anthropologique la présentation des domaines de mathématiques qui, actuellement, déterminent la société à travers leurs nombreuses applications.
Selon Buijsman, il est essentiel que chacun, même sans savoir faire les calculs, ait une idée des principes et de l’emploi de la théorie de l’infinitésimal, des sciences des probabilités et statistiques et du système des graphes. La seule évocation de ces trois grands domaines des mathématiques pourrait s’avérer légèrement anxiogène pour des lecteurs et lectrices qui, comme moi, n’ont plus jamais résolu d’équation après le bac.
© Merlijn Doomernik
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, l’auteur nous rassure en nous invitant à nous mettre à la place de ceux qui ignorent les nombres, à savoir les jeunes enfants et les membres de certaines communautés tribales. En pensant l’absence des nombres, le lecteur obtient une idée plus précise de la nature abstraite de ceux-ci, et se rend compte de l’importance cruciale de leur utilisation. Par la suite, il ne suffit plus que d’un pas pour arriver aux premières unités de calculs et à la notation des nombres en chiffres. Toutes deux ont été nécessaires à l’organisation des villes-États de l’Antiquité, dont l’essor n’aurait pas été possible sans l’invention de l’arithmétique et de la géométrie.
Buijsman parvient à nous enthousiasmer pour des phénomènes évocateurs tels les premiers «calculi» des Sumériens, la solidité des pyramides, le génie des théorèmes grecs, la finesse des calculs chinois et la notion de l’infiniment petit. La démonstration est claire: depuis des milliers d’années, les représentations abstraites de la réalité ont été utiles à l’organisation de la vie quotidienne des citadins.
Sur un autre plan, l’auteur attire notre attention sur les théorèmes d’un Pythagore, Copernic, Newton, Leibniz ou Euler, pour conclure que l’activité purement théorique – trouver la formule la plus belle et la plus simple – n’a pas forcément été moins utile au progrès de l’humanité que la résolution de problèmes concrets liés à l’architecture, l’infrastructure et la comptabilité.
Malgré mes souvenirs d’équations ennuyeuses et, à mes yeux, inutiles datant du temps du lycée, je me suis accrochée, grâce à ce livre, à la raison d’être des intégrales et différentielles – aussi nommé calcul infinitésimal – et leurs applications. Sensible au fait que l’existence de nombres ni entiers, ni exprimables en fractions ne soit pas évident pour ses lecteurs et lectrices, Buijsman explique dans des termes simples l’utilité de la notion de l’infini tel qu’exprimé par le nombre π (= pi). Parmi les applications du calcul différentiel et intégral Buijsman cite le régulateur de vitesse devant calculer l’ampleur de l’accélération, le calcul de la flexion des poutres en acier d’un pont et la prédiction de la météo, tributaire à de nombreuses masses différentes bougeant sur une grande surface.
Au fil du temps, les spécialistes de la probabilité et des statistiques se sont rendu compte qu’il faut un maximum de données pour obtenir des estimations fiables. Mais attention, les statistiques, dit Buijsman, font souvent intervenir des moyennes et peuvent ainsi déformer la réalité ou suggérer à tort des liens de cause à effet. La précaution est donc de mise dans l’interprétation des résultats de sondages et de graphiques bien que les statistiques soient utiles pour fournir un aperçu général, une position géographique ou une amélioration de la netteté des photos. En outre, les scientifiques les utilisent pour vérifier à quel point les résultats de leurs recherches sont le fruit du hasard.
La théorie des graphes, qui a pour origine la simplification d’un plan de ville, a résulté en une modélisation de la réalité en cercles et traits, appelés «sommets» et «arêtes», qui est actuellement capable de recouper un très grand nombre de données. Google, entre autres, s’en sert en octroyant des notes aux «arêtes» et «sommets» en fonction de la fréquence d’utilisation des sites à partir d’autres sites. C’est la hiérarchie de sites qui détermine ce qui est proposé à ses utilisateurs. Selon le même principe, on peut hiérarchiser des milliers de gènes et leurs éventuels changements pour connaître l’efficacité d’un médicament contre le cancer.
Les graphes d’un système dynamique récent – les «réseaux neuronaux artificiels» – dont les sommets sont appelés les «nœuds», miment le fonctionnement de nos neurones. C’est grâce à ce système qu’un ordinateur peut devenir champion du monde de Go ou qu’on peut détecter de futurs terroristes. La quantité monstrueuse de données de Facebook est traitée par ces «réseaux neuronaux» afin de sélectionner les produits pour lesquels des publicités nous seront envoyées. Qu’on le sache.
L’enthousiasme du jeune Stefan Buijsman est palpable à travers les lignes d’Un café avec Archimède, devenu un best-seller aux Pays-Bas et traduit en treize langues. Sa sélection des domaines des mathématiques les moins abstraits est pertinente et les thèmes sont présentés dans un ordre logique. Il est clair qu’une telle approche est profitable au grand public – y compris aux lycéens. Oui, c’est ainsi qu’il faut enseigner les mathématiques! Eh oui, la compréhension du fonctionnement des applications tant utilisées nous incite à avoir l’esprit critique. De ce point de vue, ce premier livre est convaincant.
Cependant, il est regrettable que le style et la rédaction finale laissent à désirer. Le point faible consiste notamment en une introduction un peu confuse et trop longue. Le cœur du texte, tout en étant plus cohérent, contient malheureusement aussi quelques répétitions et phrases floues. Quant à la clarté des présentations, je constate une certaine inégalité. La notion de l’infinitésimal et la pratique des graphes sont clairement exposées, tandis que l’explication de la théorie de la probabilité est susceptible d’être améliorée.
Par bonheur, Stefan Buijsman, né en 1995 et en possession d’un doctorat en philosophie des mathématiques depuis ses vingt et un ans, a la vie devant lui pour aiguiser sa plume. Et sa motivation à partager ses connaissances avec le plus grand nombre est toujours là, comme le prouve son livre sur l’intelligence artificielle, récemment publié en néerlandais (Stefan Buijsman, AI. Alsmaar intelligenter, De Bezige Bij, juni 2020.)
Stephan Buijsman, Un café avec Archimède. Comprendre les maths pour mieux comprendre le monde, éditions La Librairie Vuibert, 2020. Traduit du néerlandais (Pays-Bas) par Guillaume Deneufbourg. Titre original: Plussen en minnen, De Bezige Bij, 2018.