Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Les Nits: cinquante ans de carrière et toujours l’envie d’aller de l’avant
© Wim van de Hulst
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Arts

Les Nits: cinquante ans de carrière et toujours l’envie d’aller de l’avant

Le trio pop amstellodamois Nits fête son demi-siècle avec une tournée européenne et un mini-album aussi intrigant qu’intemporel. Un miracle, quand on sait que le groupe et son chanteur Henk Hofstede ont dû composer avec un incendie et de sérieux soucis de santé. «Nous ressentons toujours le besoin de faire quelque chose de nouveau.»

«Si notre répertoire a si bien résisté aux assauts du temps, c’est sans doute parce que nous n’avons jamais opté pour le dernier producteur à la mode», explique le chanteur, auteur, compositeur et multi-instrumentiste Henk Hofstede (°1951). Les Nits proposent une musique pop à la fois riche et intelligente que certains n’hésitent pas à qualifier d’«artistique», même si Hofstede n’est pas tout à fait convaincu. «Je suis un ancien ado des années soixante et, pour moi, le but n’a jamais été de faire de la pop une forme d’art. Nous voulons juste être un groupe qui fait des chansons.»

Pourtant, l’artiste a étudié à l’académie Gerrit Rietveld, et les arts plastiques sont loin de lui être étrangers. En attestent des morceaux tels que «A Touch of Henry Moore», «Soap Bubble Box» (qui parle de l’artiste et réalisateur américain Joseph Cornell) ou encore «Bauhaus Chair», mais aussi des pochettes d’album aux allures de Magritte ou de Mondrian. Tels des peintres, les Nits brossent, à l’aide de mots et de sons, des tableaux dont certains laissent également transparaître une influence littéraire. Ainsi, «Nescio» est une ode à l’écrivain éponyme, tandis que «In the Dutch Mountains», l’une des chansons les plus populaires de groupe, est inspirée du roman Dans les montagnes des Pays-Bas, de Cees Nooteboom.

«J’ai lu pas mal de poésie, mais je ne suis pas un dévoreur de livres», précise Hofstede. «Je m’inspire rarement de ce que je trouve beau, car l’admiration peut être mauvaise conseillère. Traduire un roman ou une œuvre d’art en chanson n’est pas si aisé. Je m’y suis déjà essayé, donc je suis bien placé pour savoir qu’on peut facilement s’égarer. Et dans le meilleur des cas, on se retrouve à illustrer quelque chose qui existe déjà.»

Incommensurable curiosité

À leurs débuts, les Nits versaient dans la new wave, marchant dans les traces de XTC et compagnie. Par la suite, ils se sont toutefois défaits de ces influences anglo-saxonnes au profit d’un style plus européen. D’après Henk Hofstede, le groupe n’a trouvé sa vraie voix qu’en 1983, avec l’album Omsk. «Quand Robert Jan Stips nous a rejoints comme claviériste, il nous a apporté un lyrisme qui a transformé notre musique», explique-t-il. «Les guitares sont passées au second plan, Rob Kloet a commencé à manier les percussions de manière moins conventionnelle. Bref, le studio est devenu lieu d’expérimentation où nous laissions libre cours à une incommensurable curiosité

Leurs textes aussi ont évolué. Même si leur langue de prédilection reste l’anglais, les Nits ont chanté en italien («Tutti Ragazzi»), en turc («Vah Hollanda Seni Seni») et en français (« Les Nuits »), et se sont même essayés à mélanger les idiomes, comme dans «Adieu Sweet Bahnhof». Certaines de leurs chansons contiennent en outre des mots étrangers tels que «Alankomaat» (Pays-Bas, en finnois). Les Nits essaieraient-ils de créer leur propre vocabulaire européen ?

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«Ces langues reflètent notre univers», répond Hofstede. «En tant que groupe, nous avons toujours été attirés par l’inconnu et tentés par l’aventure. C’est ce qui explique notre soif de voyages. Nos tournées nous ont emmenés en France, en Suisse et en Grèce. Nous nous sommes produits à Moscou et à Tokyo. Chaque contact avec une culture étrangère a laissé sa marque et nous a ouvert de nouvelles perspectives. Nous avons atterri dans un monde où les gens nous regardaient autrement, où on nous jugeait autrement qu’aux Pays-Bas.»

En 1982, les Nits se sont rendus pour la première fois en Finlande, un pays que Hofstede avait déjà exploré avec quelques camarades d’école dans les années 1970. Bien qu’il n’en comprenne pas un mot, il a trouvé que le finnois dégageait une immense beauté. Cette langue a tant enflammé son imagination que quelques mots se sont spontanément glissés dans ses textes. Certaines chansons des Nits, qui évoquent des villes ou d’autres lieux géographiques, ont de véritables airs de carte postale. «Si nous n’avions jamais quitté Amsterdam, nous serions passés à côté d’énormément de belles choses. Les paysages des États-Unis ne me laissent pas insensible, mais il y manque les couleurs et la diversité qu’offrent les pays d’Europe. L’Amérique n’a pas de Venise, de Berlin ou de Barcelone.»

Tintin

En cinquante ans, les Nits ont vu passer pas mal de musiciens. Le seul qui accompagne Hofstede depuis le tout début est le batteur et percussionniste Rob Kloet. «Le secret de notre collaboration? C’est surtout une grande amitié», confie le chanteur. «Certains batteurs se prennent pour les rois de la basse-cour, mais Rob est un modèle de modestie. Vous n’êtes pas près de le voir exécuter un solo à la batterie. Il esquissera tout au plus un semblant de solo, et encore, ce sera juste pour dire de jouer le jeu.»

On peut dire que le monde a bien changé depuis la première scène des Nits, en 1974. Interrogé sur son évolution artistique de ces débuts à aujourd’hui, Henk Hofstede répond qu’il ose à présent une écriture plus «dépouillée», et qu’il maîtrise mieux l’art de l’épuration. «Je réfléchis davantage à ce que je veux réellement dire, et j’ai appris à faire l’impasse sur les fioritures. La capacité de distinguer l’essentiel de l’accessoire est la plus grande force d’un auteur. Et c’est encore plus vrai à l’heure actuelle, où les technologies offrent tant de possibilités qu’il en devient facile de se disperser. Parfois, il faut travailler comme Giacometti, le sculpteur suisse qui dégraissait tellement ses sculptures qu’il n’en restait au final qu’une sorte… d’aiguille

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Il arrive que Henk Hofstede imagine un texte en partant de simples sonorités. Pendant les répétitions, il chante tout ce qui lui passe par la tête. Il ne fait le point qu’après coup, et choisit alors les parties qui intégreront la version finale. «Certaines histoires naissent dans notre inconscient. Les paroles qu’on lance sans réfléchir ont alors un sens plus profond qu’on l’aurait cru au départ. Évidemment, il y a aussi tout un processus de rédaction, un peu comme quand on monte un film. Parfois, je veux en dire trop, je ne suis pas assez clair ou je m’éloigne trop de mon sujet. Au final, j’essaie toujours de trouver la ligne claire. Un peu comme si je dessinais un album de Tintin

Henk Hofstede: Je réfléchis davantage à ce que je veux réellement dire, et j’ai appris à faire l’impasse sur les fioritures. La capacité de distinguer l’essentiel de l’accessoire est la plus grande force d’un auteur

Si Henk Hofstede devait choisir, parmi les nombreux albums des Nits, celui qui est le plus cher à son cœur, son choix se porterait sur Giant Normal Dwarf (1990), une réaction au succès et aux retombées de In The Dutch Mountains, sorti trois ans plus tôt.

«Avec l’enregistrement live Urk (1989), une sorte de best of, nous avions bouclé une boucle. Avec Giant Normal Dwarf, nous avons changé de cap. Nous n’avons pas vraiment remis les compteurs à zéro, parce qu’on n’oublie jamais les expériences qu’on a vécues et les compétences qu’on a acquises. Mais alors que notre entourage nous encourageait à poursuivre sur notre lancée, nous nous sommes demandé ce que nous voulions réellement. Devenir des superstars, ou continuer à nous étonner nous-mêmes et à prendre du plaisir avec des projets plus exaltants? Nous avons choisi la liberté et l’expérimentation, le défi et l’imprévisibilité. Giant Normal Dwarf a marqué un grand tournant pour le groupe. Pour moi, c’était aussi une période unique sur le plan personnel, car je suis devenu père pour la première fois.»

Détours poétiques

Le répertoire des Nits mélange légèreté et mélancolie, rêverie et surréalisme. Cette dernière tendance se retrouve par exemple dans la logique inversée de «With Used Furniture We Make A Tree». Mais de temps en temps, la réalité reprend le dessus. «Crime and Punishment» parle par exemple de l’attentat à la bombe dans lequel l’artiste Rob Scholte a perdu ses deux jambes. Trois titres de l’album Les Nuits font quant à eux référence à l’assassinat du réalisateur Theo van Gogh. Ces évènements ont-ils marqué Hofstede au point de le pousser à les évoquer dans ses textes?

«Je connaissais Rob personnellement. C’était un musicien et un ancien de l’académie Rietveld, tout comme moi. L’attentat qui a touché Van Gogh s’est pour ainsi dire produit sur le pas de notre porte. C’est un évènement qui a eu énormément d’impact sur mon entourage. À cette époque, nous travaillions sur Les Nuits, qui dégage une atmosphère plus lourde, plus sombre. Ce sentiment de danger et de pauvreté dans les rues d’Amsterdam s’est donc logiquement ajouté au mélange.»

Si les Nits ne sont pas connus pour leurs prises de position politiques, ils n’ont pas hésité à exprimer leur colère et leur indignation à travers les paroles de «Bad Government and Its Effect on Town and Country» : «Bankers and robbers / Are partners in crime / Politicians / Lying all the time». «Un jour, en visitant le Palazzo Pubblico de Sienne, j’ai vu trois grandes fresques d’Ambrogio Lorenzetti intitulées “Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement”», se rappelle Henk Hofstede. «Tout est parti de là. Quand un pays bascule vers la droite ou devient moins social, je suis automatiquement pris d’incompréhension. Je suis issu d’une famille rouge: mon père, mes oncles et mes grands-pères étaient des ouvriers, et ils votaient tous pour le PvdA Parti travailliste des Pays-Bas. Mais je trouve qu’il est très difficile d’écrire des chansons sur la politique. J’ai l’impression qu’il faut toujours prendre des détours poétiques, comme Ray Davies dans “Dead End Street” ou Elvis Costello dans “Shipbuiding”. Si on se fait trop insistant ou partial, on perd vite le public.»

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Au fil des ans, les chansons des Nits sont devenues de plus en plus impressionnistes. Les musiciens y laissent des trous qu’il revient à l’auditeur de combler. «Vous façonnez votre propre paysage, vos propres souvenirs. Et vous les chérissez. C’est ce que je faisais à dix-huit ans, par exemple avec John Wesley Harding. Pour moi, le message de Bob Dylan était moins important que mon interprétation.»

Traumatismes

Pour Hofstede, la route vers le cinquantième anniversaire du groupe fut semée de sérieuses embûches. Le 16 mai 2022, De Werf, le quartier général et studio des Nits depuis quarante ans, est parti en fumée. Un évènement pour le moins traumatisant, car les flammes ont englouti l’ensemble des instruments, archives et enregistrements originaux du groupe. Ce revers est d’ailleurs au cœur de leur mini-album Tree House Fire. Une tentative de transformer ce drame en quelque chose de positif ?

«Spinvis nous a immédiatement envoyé un message disant: c’est terrible, ce qui est arrivé, mais il faut faire avec et se remettre au boulot. Tirez-en quelque chose! Nous étions secoués, mais nous nous étions fait la même réflexion. Tout avait été détruit, c’était la fin d’une époque. J’ai immédiatement commencé à noter mon ressenti, à faire des croquis des instruments perdus dans l’incendie. Cela m’a été très thérapeutique. Cela m’a aidé à conjurer la catastrophe, à ramener le bâtiment et son contenu à la vie sous une forme quasi onirique. Avec des couleurs festives, pour montrer que le feu n’avait pas eu raison de nous. Quand un peintre perd toutes ses toiles, le désastre est irréversible. Mais notre musique est toujours là, et elle peut continuer à exister n’importe où.»

Peu après l’incendie, Henk Hofstede a appris qu’il souffrait d’une maladie auto-immune rare, qu’un traitement lui permet pour l’instant de garder plus ou moins sous contrôle. «Je me heurte encore à mes limites, mais je vais chaque jour un peu mieux, et je récupère progressivement un peu d’énergie. Je vais devoir apprendre à vivre avec mes limitations, mais je suis extrêmement soulagé que nous ayons réussi à sortir un nouvel album. J’espère retrouver rapidement la forme et être suffisamment d’attaque pour assurer tout un concert à fond.»

Au cours de l’année écoulée, Hofstede s’est attelé à la création d’un journal de bord visuel qui retrace le parcours du groupe à l’étranger. Les photos, extraites de vidéos enregistrées par Henk pendant d’anciennes tournées, montrent les Nits sur des autoroutes interminables ou dans des trains, mais aussi dans des aéroports, des loges ou encore des studios. Un retour en arrière empli de nostalgie, mais aussi de bonnes surprises pour le chanteur, qui avait oublié une bonne partie de ce qu’il avait filmé dans les années 1970 et 1980.

Mais pour Henk Hofstede, regarder vers le passé n’est pas aussi passionnant que d’aller de l’avant. Il a donc également travaillé à un nouvel album des Nits. «Nous ne voulons pas jouer In the Dutch Mountains à chaque représentation. Nous ressentons toujours le besoin de faire quelque chose de nouveau. Ne serait-il pas exceptionnel de nous voir fêter notre soixantième anniversaire dans dix ans?»

Tree House Fire est disponible chez Werf Records. La tournée européenne des Nits s’arrête entre autres à Anvers, Bruxelles et Soignies en Belgique et à Paris en France.
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