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Les photographies de Martine Franck: La sophistication de l’ordinaire

17 décembre 2020 5 min. temps de lecture

Le musée de la photographie d’Anvers (FOMU) présente une rétrospective d’environ 140 clichés de la regrettée photographe belge Martine Franck (1938-2012). L’exposition, dirigée par Agnès Sire, a d’abord été présentée à Paris en 2019 à la fondation Henri Cartier-Bresson, puis à Lausanne au musée de l’Élysée. Les plats pays y étaient et vous racontent.

Bien que Martine Franck ait fait l’objet de nombreuses expositions et de publications, la photographe est longtemps restée «à l’ombre d’un grand arbre». Ce «grand arbre» s’appelait Henri Cartier-Bresson (1908-2004). Il était son mari mais surtout l’un des photographes et des photojournalistes français les plus convoités.

C’est avec une certaine émotion que nous découvrons la sélection inédite de cette photographe, «des images qui, selon Franck, ne devaient pas être oubliées»

Martine Franck est âgée de septante-quatre ans quand elle s’éteint en 2012, à la suite d’une longue maladie. Les photographies exposées ici ont été sélectionnées de son vivant. «Des images qui, selon elle, ne devaient pas être oubliées», rapporte Agnès Sire, directrice de la fondation Henri Cartier-Bresson.

C’est donc avec une certaine émotion que nous découvrons la sélection inédite de cette photographe, réputée pour son empathie sur les fragments de vie qu’elle n’a cessé d’immortaliser avec clairvoyance et dignité. Les paysages, les scénettes du quotidien, les portraits – aussi bien d’artistes que d’anonymes – et les reportages sur des sujets sociétaux font partie de son langage artistique.

Giacometti, Renault et maison de repos

C’est la première fois qu’une de ses expositions combine tous ses thèmes de prédilections, auparavant toujours présentés de façon monographique. D’un point de vue formel, ses photographies ont en commun, mis à part le noir et le blanc, la sophistication de l’ordinaire. Peu importe qu’il s’agisse de la représentation de chaises longues au club Méditerranée d’Agadir (1976) ou d’une grève d’ouvriers à l’usine Renault, lors de mai 68 à Boulogne-Billancourt.

Ses paysages, eux, sont spectaculaires: a-t-on déjà vu une «Plantation de melons» (1976) aussi élégiaque? Composée de formes géométriques et de lignes qui nous emportent jusqu’à un ciel apocalyptique, l’œuvre est stupéfiante de beauté, influencée par la peinture indéniablement.

Dans chacun des clichés, on peut ressentir ce goût pour l’art, mais aussi pour l’histoire de l’art. Agnès Sire souligne que «l’exercice de photographier le paysage fut pour Martine Franck un exercice de méditation, loin des approches topographiques systématiques, un art de la forme et de la lumière, venu peut-être de sa profonde connaissance de la sculpture».

Ses portraits d’enfants, de la classe populaire, laissés à eux-mêmes et souriant malgré tout, font l’effet d’un couteau planté en plein cœur («Ballymun, quartier nord de Dublin, Irlande», 1993), tout comme sa série sur la précarité des personnages âgées, avec ces deux vieilles femmes aux visages marqués et aux regards désabusés, perdues dans une société qui les a oubliées («Foyer de l’Armée du Salut, New York», 1979).

L’aspect documentaire du travail de Martine Franck est évident sur les clichés pris dans différentes villes, mais il est éclatant à Paris, avec les événements de Mai 68, les manifestations d’ouvriers de l’industrie automobile mais aussi contre le racisme et l’extrême droite en 1992, la lutte du MLF (Mouvement de libération des femmes) marchant en soutien à la loi Veil pour l’avortement en 1979.

Ses reportages comptent, selon nous, parmi les images les plus émouvantes de son corpus photographique. Les portraits d’artistes et d’écrivains ont aussi la part belle, des hommes et des femmes avec qui elle crée un lien. Ne disait-elle pas que «prendre un portrait de quelqu’un commence par une conversation.» Ce dialogue lui permet d’obtenir la photo la plus spontanée et la plus réaliste.

Celle que l’on disait timide se dépasse et se retrouve face à des monstres sacrés du monde de l’art et de la littérature. Regardez l’immense écrivain Albert Cohen au regard si enfantin! Ou ce moment intime gracieusement capturé du peintre Balthus avec son chat. Enfin, ce besoin pour Martine Franck de voyager «au pays de la vieillesse» avec toute la délicatesse et la modestie qu’on lui connaît. Comme un leitmotiv, elle photographiera la détresse comme la joie de nos aînés en maison de retraite.

Bio

Martine Franck, issue d’une famille aisée d’Anvers, a grandi entre les États- Unis et l’Angleterre, qu’elle quittera pour aller étudier l’histoire de l’art à Paris, avec une fascination pour la sculpture en particulier.

En 1963, elle décide de tout arrêter pour voyager dans des contrées lointaines. Elle sillonne, durant six mois, nombre de pays d’Orient (la Chine, le Japon, le Népal, l’Inde, etc.). La rencontre de ces terres étrangères à son univers agit comme un déclic pour la jeune femme. Le hasard de la vie fait qu’un de ses cousins lui propose son Leica, pour qu’elle garde des souvenirs de son séjour, pendant lequel elle photographiera à peu près tout!

Tout au long de sa carrière, Martine Franck a saisi avec sobriété et élégance les mutations sociétales

Rien ne prédisait à ce moment-là que le destin de Martine Frank allait prendre un tout autre chemin. 1964. Retour à Paris. Les images prises au Népal retiennent l’attention du magazine Life Time, qui l’engage. Deux ans plus tard la jeune Martine rencontre Henri, de trente ans son aîné, avec qui elle se marie en 1970.

Grâce au soutien de son époux, mais aussi à l’expérience acquise au fil des années, la jeune femme au regard singulier et aguerri commence à travailler pour l’agence Vu. Deux ans plus tard, elle fonde l’agence de presse Viva. 1983 est l’année de sa consécration: Martine Franck rejoint la légendaire agence Magnum. Les mauvaises langues pourraient y voir une faveur de son mari – l’un des fondateurs de l’agence –, mais c’était sans compter sur la persévérance de la photographe, qui avait auparavant échoué à deux reprises, avant d’intégrer cette prestigieuse institution! Juste avant la mort de son mari, elle crée à Paris la fondation Henri Cartier-Bresson.

Tout au long de sa carrière, Martine Franck a saisi avec sobriété et élégance, aussi bien les mutations sociétales que la place fondamentale de la culture, de même que des paysages à la fois puissants et méditatifs.

Une exposition à découvrir d’urgence!

Martine Franck au FOMU jusqu’au 24 janvier 2021.
Mélanie Huchet c Haleh Chinikar

Mélanie Huchet

journaliste - critique d'art

photo © Haleh Chinikar

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