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Les Ports de Lille ambitionnent de devenir un outil transfrontalier

19 février 2024 6 min. temps de lecture

Troisième port fluvial intérieur de France, les Ports de Lille se veulent un acteur majeur de la transformation des mobilités aujourd’hui dans l’Eurométropole. Et encore plus demain avec le canal Seine-Nord. Entretien avec Ferenc Szilágyi, directeur de ce lieu méconnu du grand public.

«Ici, le contact visuel est essentiel». Pendant que nous réalisons quelques prises de vues sous la grisaille automnale, Ferenc Szilágyi a l’œil partout. Avec lui, la sécurité prime. Il y a de quoi faire attention. Ici, c’est un poids-lourd qui recule le long d’une ligne jaune, là, un train qui avance au pas, pendant qu’un chariot transporte un conteneur à plusieurs mètres du sol. Sur la Deûle, à proximité justement de l’un des deux immenses portiques à conteneurs, une barge (ou bateau fluvial, mais «ne dites surtout pas péniche!») attend d’être chargée. Le bruit de fond est logiquement permanent et l’ambiance dépaysante, alors que nous ne sommes qu’à trois petits kilomètres à pied de la Grand-Place de Lille…

Bienvenue au port de Lille. Enfin, l’un des sites des Ports de Lille, répartis à Lille, Santes, Haubourdin, Wambrechies, Halluin, Loos-Sequedin, Houplin-Ancoisne, Marquette, Douai, Arques et Harnes. Tous n’ont pas la même importance, Santes et Lille étant les plateformes majeures avec respectivement 112 et 57 hectares, tandis que l’un des deux sites d’Halluin se contente d’un modeste hectare.

Au total, ils occupent une surface de 310 hectares pour 7 kilomètres de quai et plus de 300 000 mètres carrés de bâti. Malgré leur importance, Ports de Lille (le nom officiel de l’entité, sans l’article) restent très méconnus du grand public, sourit son directeur général: «Ce n’est pas sûr que tous les Lillois sachent qu’il y a un port à Lille… J’entends encore “c’est juste une station de métro”!»

Des bateaux… et des trains

Pourtant, Ports de Lille, «outil au service du développement économique du territoire», ont une action concrète dans le quotidien des habitants de la métropole et des usagers de la route. Par exemple, les déchets ménagers des habitants du sud de la métropole partent vers l’incinérateur d’Halluin au nord, par voie fluviale. De quoi éviter 40 000 camions à l’année sur l’A22.

Ferenc Szilágyi: Sur une année, ce trafic fluvial permet d’éviter 300 000 mouvements de poids lourds sur les routes de la métropole

Dans le sens inverse, les déchets verts de Roubaix-Tourcoing vont jusqu’au Centre de valorisation des déchets organiques par barge. Les bateaux ne transportent évidemment pas que des déchets: il en vient de Dunkerque, d’Anvers, Rotterdam, Béthune.

Et tout ce qui transite par l’équipement géré par la chambre de commerce et d’industrie (CCI) Grand Lille n’emprunte pas forcément la voie fluviale: Ports de Lille, ce sont aussi des trains remplis de conteneurs qui arrivent quotidiennement de Marseille, Avignon, Toulouse, Bordeaux, «trois fois par semaine et bientôt plus depuis la Bretagne»… Les sites portuaires comptent 15 kilomètres de voies ferrées! «En totalité, sur une année, ces flux permettent d’éviter 300 000 mouvements de poids lourds sur les routes de la métropole.»

Résultat, avec tous ces mouvements, les Ports de Lille, avec leurs 90 salariés, mais 6 000 emplois directs et indirects induits, se situent à la troisième place des ports intérieurs français. «Derrière Paris et la Seine, Strasbourg et le Rhin», précise Ferenc Szilagyi, fier de placer la méconnue Deûle sur ce podium. Dans le détail, en 2022, 9 317 549 tonnes ont été manutentionnées par Ports de Lille, dont 2 374 565 pour le fluvial et 581 294 pour le ferroviaire. Des chiffres en constante progression.

Et pourtant, le trafic fluvial reste largement sous-exploité: «Postez-vous au-dessus du pont Léon-Jouhaux (entre Lille et Lambersart): vous voyez passer beaucoup de barges par jour? Le potentiel de croissance est énorme. Et d’autant plus intéressant avec les enjeux actuels.» Outre réduire le nombre de poids lourds sur les routes, un bateau, aussi puissant soit-il, émet moins de CO2 comparativement au transport routier. «Il a aussi un avantage par rapport au train. Il est certes plus lent, mais quand un train tombe en panne, on ne peut pas le doubler. En général, nos voies d’eau sont suffisamment larges pour que le bateau puisse passer».

Le canal Seine-Nord devrait décupler le trafic

Bonne nouvelle, tout ce potentiel devrait être fortement décuplé d’ici 2030. Le fameux canal Seine-Nord, serpent de mer parmi les serpents de mers des Hauts-de-France, devrait enfin sortir de terre et apporter une nouvelle ère aux Ports de Lille. Cela pour plusieurs raisons, dont la première vient de la structuration de la navigation. Aujourd’hui, les bateaux accueillis ne peuvent transporter que 1500 à 1700 tonnes. Demain, avec le creusement et aussi des aménagements d’écluses comme à Quesnoy-sur-Deule en ce moment, «nous pourrons accueillir des bateaux de 4000 tonnes! C’est une révolution».

Les Hauts-de-France pourraient devenir l’un des points de charge préférés des bateaux du nord de l’Europe

Autre point en découlant: les Ports de Lille se trouvent au point le plus au sud des bassins de la Lys et de l’Escaut, qui relient la capitale des Flandres naturellement à Anvers et Gand. Demain, avec le canal Seine-Nord qui fera la jonction entre les bassins de la Seine et de l’Escaut, Lille ne sera plus le point le plus au sud pour ces grands gabarits, mais à mi-chemin entre Rotterdam et Paris. De quoi changer complètement les perspectives… Mais attention à ne pas se reposer sur des lauriers acquis d’avance: «Il ne faut pas se contenter d’être la région que l’on traverse, mais capter la valeur ajoutée».

Une des pistes? Si demain l’énergie électrique s’avère être celle du fluvial, les Hauts-de-France pourraient devenir l’un des points de charge préférés des bateaux du nord de l’Europe, alors que le réseau électrique néerlandais – plus de la moitié de la flotte européenne bat pavillon néerlandais – est proche de la saturation. «Nous avons un vrai rôle à jouer», ajoute Ferenc Szilagyi.

Plateforme multimodale et transfrontalière

L’avenir de Ports de Lille passe aussi par son ambition de devenir l’une des portes d’entrées des marchandises dans la métropole, mais aussi celle de sa redistribution, en témoigne ce grand bâtiment au bardage blanc dentelé à deux pas de la Deûle. Dans le Centre multimodal de distribution urbain, inauguré en 2015, les commerçants de la métropole lilloise peuvent bénéficier de stockage, les transporteurs, grouper-dégrouper, et donc la livraison se faire ensuite par des engins moins polluants, encombrants ou bruyants: des triporteurs, véhicules électriques ou propulsés au gaz naturel comprimé, etc.

«Actuellement, nous avons aussi un projet de village des matériaux. Il y a énormément de projets de construction-rénovation, aujourd’hui, chaque artisan livre trois fenêtres de toits, une porte, du place-plâtre… » Avec ce hub, les matériaux de construction pourront être regroupés puis redistribués plus efficacement. «De nouvelles filières de distribution urbaine naissent, notre rôle est d’accompagner cela, c’est dans notre ADN. Aujourd’hui, 10% du chiffre de Ports de Lille provient des activités logistiques urbaines.»

Ferenc Szilagyi: Ici, on sait à quel point la coopération transfrontalière est essentielle

Ports de Lille, un acteur essentiel pour préparer les transports de demain à travers la multimodalité… et un outil éminemment transfrontalier, juge ce polyglotte qui a travaillé au port de Rotterdam. «Le transfrontalier est évident. Un fleuve, une rivière coule vers la mer, c’est naturel. Ici, l’eau coule vers la Flandre, Gand et Anvers… C’est une vraie richesse pour toute la région. Quand vous êtes en Ile-de-France, votre port exportateur ou importateur, c’est Le Havre. Quand vous êtes à Lyon, c’est Fos-sur-Mer. Quand vous êtes à Lille, vous avez le choix entre Dunkerque, Calais, Flessingue, Anvers et Rotterdam.» À entendre le directeur général, Ports de Lille travaille autant avec un côté ou l’autre de la frontière: «C’est sur le même plan pour nous. Ici, on sait à quel point la coopération transfrontalière est essentielle.» Demain, avec le canal Seine-Nord, cette collaboration sera décuplée et permettra d’asseoir la position de Lille comme hub européen majeur.

Montard

Nicolas Montard

Journaliste free-lance et cofondateur du magazine en ligne DailyNord.

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