Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

Les terres inondées du delta
© Rijkswaterstaat
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Le long du littoral néerlandais
Société

Les terres inondées du delta

Dans cette série estivale, nous vous emmenons en voyage le long des côtes néerlandaises. Pour ce dernier épisode, nous quittons la région autour de l’ex-Zuiderzee, où l’humain a asséché non seulement une mer, mais des lacs, et poursuivons notre route vers le sud et le delta, où plusieurs grands fleuves d’Europe se jettent dans la mer du Nord. Une configuration géographique source de grandes opportunités, mais qui génère également son lot de problèmes.

Je loge chez des amis qui vivent à Beemster, dans un vieux monastère qui a été divisé en appartements. Une situation originale non seulement parce que l’immeuble impressionne par la grandeur qu’il dégage, mais également parce que les monastères sont plutôt rares dans les Pays-Bas protestants. Je suis convaincu que ce protestantisme est l’une des raisons pour lesquelles les Pays-Bas paraissent plus «scandinaves» et nordiques que la Belgique, avec cette simplicité, cette rigueur et cette transparence de la religion réformée qui contrastent avec la lourdeur et l’extravagance baroques du catholicisme. J’irai même jusqu’à attribuer à ce contexte religieux différent le fait que les Belges protègent leurs intérieurs avec des rideaux et des volets là où leurs voisins du Nord ne font rien pour empêcher les yeux de la rue de pénétrer leur intimité. Personnellement, j’apprécie cette transparence.

Beemster est une commune verte, paisible et rurale. Une commune qui compte de beaux villages, champs et pâtures et où les routes sont bordées d’arbres et d’écluses. L’agitation d’Amsterdam paraît bien loin et pourtant, elle est géographiquement si proche. Beemster est également une localité typiquement hollandaise en ce sens que si l’on remonte quelques siècles en arrière, il n’y avait encore ici rien d’autre que –on vous le donne en mille – de l’eau. Pas de mer cette fois-ci, mais un grand lac. Avant les vagues de poldérisations, la vieille Hollande doit avoir été çà et là un territoire humide dans un enchevêtrement de lacs, de mares et de bras de mer.

Dès le début du XVIIe siècle, ce lac a été asséché, préfigurant à échelle réduite les vastes poldérisations du Zuiderzee et du lac d’Yssel (Ijsselmeer): des routes ont été construites selon un schéma épuré et rectiligne et de nouveaux villages ont vu le jour, auxquels des noms quelque peu prosaïques ont été donnés: Noordbeemster, Westbeemster, Middenbeemster et Zuidoostbeemster. À quoi bon se compliquer la vie, n’est-ce pas? Ce «polder» est aujourd’hui reconnu au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Icônes hollandaises

Nous arrivons au carrefour entre deux icônes hollandaises: les moulins à vent et le fromage. Deux icônes qui, étonnamment, ont beaucoup en commun. Le fromage est une évidence: en Belgique également, on trouve du fromage de Beemster dans les rayons des supermarchés, entre le gouda et l’édam. Le caractère iconique des moulins à vent coule moins de source, car ils ont aujourd’hui presque tous disparu ici. Il faut savoir, cependant, que Beemster en comptait à une certaine époque une cinquantaine, qui asséchaient le territoire en «aspirant» l’eau. Entretemps, cette fonction a été reprise partout par les stations de pompage, qui ressemblent davantage à de petites usines qu’à des moulins, mais l’image du moulin à vent comme symbole des Pays-Bas est restée.

Souvent, les zones asséchées ne se prêtaient pas très bien à l’agriculture, mais étaient idéales pour les pâturages. Elles ont donc accueilli beaucoup de vaches, et qui dit beaucoup de vaches, dit beaucoup de lait et, partant, beaucoup de fromage. Ce qui nous ramène aux deux icônes néerlandaises évoquées ci-dessus: les moulins à vent et le fromage.

On trouve davantage de moulins encore dans le polder voisin de Schermer. Un ancien lac, à l’instar du polder de Beemster, et l’espace entre les deux était occupé par une île, l’île de Schermer, avec comme fleuron touristique le village de De Rijp. Pendant des siècles, ce lieu a connu une grande prospérité liée à la pêche au hareng et à la chasse à la baleine (à l’époque, De Rijp possédait encore un accès au Zuiderzee via le lac de Beemster). Les robustes marins d’alors, qui partaient chasser la baleine durant des semaines, voire des mois, dans les eaux glaciales de l’Arctique, ne pourraient sans doute pas cacher leur étonnement s’ils voyaient l’endroit où ils vivaient à l’époque aujourd’hui encerclé par des kilomètres de terres.

Avant de quitter cette ancienne région riche en lacs de Hollande-Septentrionale, il nous incombe toutefois de dissiper un malentendu. Sur ma carte, je constate que Beemster est située entre deux endroits dont le nom ne manque pas d’attirer mon attention: Egmond aan Zee le long du littoral de la mer du Nord, d’une part, et la ville de Hoorn baignée par le lac de Marken (Markermeer), l’ex-Zuiderzee, d’autre part. Egmont et Hoorn, cela ne vous rappelle rien? N’était-ce pas les deux comtes qui furent décapités par le duc d’Albe sur la Grand-Place de Bruxelles en 1568?

Un récit empreint d’héroïsme: deux nobles originaires de Hollande-Septentrionale, des jeunes du coin pourrait-on presque dire, qui ont péri ensemble dans leur combat contre la tyrannie du roi d’Espagne. Hélas, si Egmont était bel et bien originaire de cette région, Hoorn, lui, était en réalité comte de Horn, un village situé dans l’actuelle province du Limbourg néerlandais, et n’avait donc aucun lien avec la ville de Hoorn. Le mythe a donc vécu, mais l’exécution des deux comtes n’en constitue pas moins un événement historique majeur dès lors qu’elle a accentué la révolte contre le roi d’Espagne, qui allait finalement aboutir à la scission des Pays-Bas.

Porte de l’Europe

Le port d’Amsterdam a beau être évoqué dans tant et tant de chansons –avec le thème récurrent des marins ivres qui se bagarrent ou cherchent du réconfort auprès des prostituées du quartier rouge–, c’est celui de Rotterdam qui constitue le principal port des Pays-Bas. Longtemps le plus grand port du monde, il est toujours le plus grand d’Europe, et de loin car il y transite plus du double du fret par rapport au numéro deux, le port d’Anvers.

En plus d’occuper tous les deux une place au sommet du classement européen, les ports de Rotterdam et d’Anvers ont également en commun d’être tous deux situés dans le delta par lequel de grands fleuves européens tels que le Rhin, la Meuse et l’Escaut se jettent dans la mer du Nord. Grâce à cette situation privilégiée, les grands navires peuvent naviguer et transporter leur cargaison loin à l’intérieur des terres, et inversement, et c’est un avantage qui a été déterminant dans le développement de plusieurs régions industrielles en Allemagne, en Belgique et dans le nord de la France.

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Le delta profite également à quelques ports plus modestes, tel celui de Moerdijk aux Pays-Bas ou encore le North Sea Port, une collaboration internationale entre les ports de Vlissingen (Flessingue), Terneuzen (Terneuse) et Gand. Le transport par bateau de toutes ces marchandises assure depuis des siècles une grande prospérité à nos régions, mais on se rend compte aujourd’hui qu’il y a un lourd tribut à payer.

Les documentaires consacrés à la pollution environnementale causée par les navires sont en effet consternants. De plus, les grands navires porte-conteneurs tiennent toujours compte d’une perte de chargement, de sorte que même si une partie de leurs conteneurs remplis de marchandises neuves et n’ayant jamais été utilisées se retrouve projetée par-dessus bord à cause du mauvais temps, ces mastodontes poursuivent leur route comme si de rien n’était. À titre d’exemple, quelque 250 000 chaussures ont ainsi échoué sur les plages de l’île Terschelling de l’archipel des Wadden il y a quelques années. C’est l’un des côtés sombres d’une société de consommation débridée. Il n’empêche que le secteur du transport maritime devra lui aussi faire des efforts en matière de durabilité car s’il évoluait encore voici peu dans un cadre peu réglementé, l’UE a décidé en début d’année que les navires devront réduire leurs émissions de CO2 de 80 pour cent à l’horizon 2050.

Une nuit en Zélande

Sur les plages de Zélande, il est peu probable que beaucoup s’émeuvent d’une telle mesure. Pour les vacanciers et les adeptes de la bronzette, les mastodontes qui naviguent en mer du Nord font tout bonnement partie du décor. Au cours des dernières années, la Zélande a fortement gagné en popularité auprès des touristes, belges et allemands surtout, qui ont appris à apprécier les atouts de la région: de vastes plages encore (relativement) peu fréquentées et un arrière-pays vert et paisible. Qu’ils paraissent loin, le ballet incessant des buildings en construction et le brouhaha de la côte belge!

Cependant, l’histoire nous rappelle que le tableau n’a pas toujours été aussi idyllique. En janvier 1953, une tempête hivernale d’une rare intensité se forme dans les environs de la lointaine Islande, avant de déferler sur l’océan Atlantique et de s’abattre sur l’Écosse, où le vent atteint une vitesse record. La tempête se dirige ensuite vers la mer du Nord, déclenchant des vagues qui s’érigent en «montagne d’eau» (waterberg). L’expression naît dans les bureaux du KNMI, l’institut royal météorologique des Pays-Bas, où les météorologues scrutent les cartes météorologiques l’estomac noué.

Ces derniers voient comment l’eau remonte vers nos régions, où la mer du Nord forme un entonnoir d’où l’eau peut difficilement s’échapper. Qui plus est, ces météorologues n’ignorent pas que la tempête coïncide avec une marée montante et supplient donc Hilversum de diffuser pour une fois des programmes radio pendant la nuit du 31 janvier au 1er février, afin que les personnes confrontées à une situation d’urgence puissent se tenir informées des événements. Leur appel ne sera toutefois pas entendu et à minuit, les radios cessent d’émettre, comme d’habitude.

Quatre heures plus tard, les premières digues cèdent et la mer commence à envahir tout le pays. Des personnes meurent noyées dans leur propre maison, parfois même leur propre lit, ou sauvent leur peau in extremis en se réfugiant sur le toit de leur habitation. Des automobilistes se laissent surprendre et se font emporter par les flots déchaînés. Des écuries sont rasées, des maisons s’effondrent. Rien ne semble pouvoir apaiser la tempête. Il faudra attendre le 3 février pour que celle-ci daigne enfin se calmer et pour que l’on puisse commencer à faire le bilan de cette catastrophe. Un bilan terriblement lourd, avec 1 836 personnes décédées et 8 000 maisons détruites. Le film De Storm (La tempête) sorti en 2009 et le musée des inondations (Watersnoodmuseum) d’Ouwerkerk offrent un regard saisissant sur la tragédie qui s’est jouée ici à l’époque.

Entretemps, me voilà arrivé à Hoofdplaat, en Flandre zélandaise. Hoofdplaat, c’est typiquement le genre de village où j’aimerais habiter, avec sa belle nature verdoyante qui contraste avec l’agitation des grandes villes. Je gravis la digue de l’Escaut occidental (Westerschelde) et ne manque pas de constater sa robustesse. C’est l’un des enseignements que les Néerlandais ont tirés des inondations de 1953. Dans le cadre des travaux du plan Delta, les digues ont été rehaussées et renforcées partout et des barrages antitempête ont été construits. Des travaux une nouvelle fois impressionnants, qui ont fait d’un des pays situés le plus bas par rapport au niveau de la mer l’un de ceux qui sont peut-être le plus en sécurité par rapport à la montée des mers et des océans.

Je regarde la surface de l’eau, qui n’est plus tout à fait courante, mais commence déjà à se muer en mer. En face, j’aperçois une tour de refroidissement: c’est la centrale nucléaire de Borssele, la seule des Pays-Bas, qui fera prochainement l’objet de travaux d’extension. Si l’on continue en suivant le courant, on arrive à Doel, en Belgique, où il y a également une centrale nucléaire. Qui dit delta, dit présence d’eau garantie: une situation idéale pour une centrale nucléaire, qui a constamment besoin d’eau de refroidissement. J’espère quand même que la centrale ne déménagera pas à Hoofdplaat, me dis-je en roulant de nouveau vers l’intérieur du pays.

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