L’étoffe des Flamands au XVIIe siècle
Comme l’annonce Stéphane Le Foll dans l’introduction de L’Étoffe des Flamands, rien n’est moins «futile» que le vêtement. En témoigne l’ouvrage publié par les éditions Snoeck de Gand, ainsi que les expositions qui se dérouleront successivement à Tours puis Angers. Significatif d’un rang social, le vestiaire dans les Plats Pays au XVIIe siècle renvoie aussi à l’art, à la culture, à la société dans son entièreté ainsi qu’à une économie à l’échelle de l’Europe.
Au croisement des mondes, les Flamands en font un emblème de leurs goûts, de leur richesse et de leur emprise sur les mers, voire sur le monde. Situation géopolitique, réseaux commerciaux, portraits peints, techniques et conventions sociales sont quelques-uns des domaines évoqués par L’Étoffe des Flamands.
À l’assaut des idées reçues
Ce sont les clichés qui l’emportent: ceux des dentelles arachnéennes et du gigantisme des fraises somptueuses, parfois faites de 17 mètres de tissu, comme l’indique Alexandra Bosc, conservatrice et commissaire de l’exposition et co-autrice du catalogue. Il est tout aussi banal d’opposer à la riche polychromie des catholiques, l’austérité des protestants.
© RMN - Grand Palais (musée du Louvre) / Christian Jean
Nombre de portraits hollandais ont alimenté notre mémoire collective. La réalité est toujours plus complexe. Le noir domine parce qu’il distingue socialement, ou plus précisément le «bon noir» qui ne déteint pas et dans la composition duquel interviennent la garance et le meilleur bleu, à savoir l’indigo en provenance des Indes. Le prix s’en trouvait inévitablement augmenté.
Le coût tient surtout à l’étoffe elle-même, cela jusqu’en 1950. Les procès-verbaux attestent d’ailleurs que parmi tous les types de vols, ceux de vêtements sont les plus nombreux. La baptiste de la chemise portée sous l’habit est coûteuse comme l’est la toile de Hollande. Le vestiaire était pour cette raison très restreint. Enfin, leur entretien nécessitait le savoir-faire des lingères qu’il fallait pouvoir rémunérer. Dans les portraits, on arbore donc presque toujours le noir et le blanc car ce sont des marqueurs sociaux. Cela n’excluait pas les couleurs ainsi que l’illustre le Portrait de la famille Beresteyn (vers 1630) de Pieter Soutman.
La fraise, un attribut du statut social
Elles sont à nos yeux le motif remarquable des peintures et pas uniquement des portraits par leurs dimensions extravagantes auxquelles elles doivent leur surnom de «meules de moulins». Elles résultent d’un processus long et complexe. Soutenue à l’aide d’une structure métallique, l’encolure passe par l’empesage, la vapeur et le godronnage. Leur raideur forçait le maintien qui confortait le rang.
© musée des Beaux-Arts de Tours / Dominique Couineau
Avant de tomber en désuétude, la fraise conquiert l’Europe du XVIe Siècle. Chacun veut paraître fortuné. Des lois vont du reste interdire le port de certains effets à certaines classes sociales afin d’assurer la distinction de l’aristocratie. «Dans une société hiérarchisée», écrit Alexandra Bosc, «on attend de tout à chacun qu’il s’habille suivant son rang. On est ce que l’on paraît». On se situe loin de la frugalité protestante, cela en dépit des critiques suscitées par les prédicateurs moralistes contre le goût du luxe.
La fraise devient un véritable emblème politique quand Philippe IV d’Espagne l’interdit en 1623 et la remplace par un simple col de lin tombant, non empesé nommé «col wallon». D’une grande virtuosité dans les peintures, les dentelles sont la dernière production textile des Pays-Bas et des Flandres qui s’attachent à rivaliser, voire surpasser la production française ou italienne.
L'objet du commerce florissant
L’habit manifeste à bien des égards un pays leader du commerce européen. En 1602, les Pays-Bas créent la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC). Ils exercent le monopole de la traite des esclaves, sombre toile de fonds de leur prospérité. Les textiles et, en particulier, les toiles de Hollande étaient très prisés pour la qualité des filatures capables de blanchir le fil naturellement gris.
© musée De Lakenhal de Leyde
Leyde était la capitale incontestée de la laine, ce dont témoigne l’exposition au travers de plusieurs prêts du musée De Lakenhal à Leyde. Au XVIIe siècle, un processus commercial s’organise à la fois pour contrôler et garantir la qualité des lainages produits dans cette ville. Il y a un savoir-faire certes, mais aussi un entrepreneuriat doté de capitaux concentrés à Leyde.
À l'écoute des modes venues d'ailleurs
Les Plats Pays n’ont jamais été un parangon des modes en termes de coupes ou de silhouettes. En revanche, Paris était devenu le centre mondial d’une mode qui se diffuse très aisément dans les Plats Pays à la faveur de son réseau de canaux.
Les célèbres Poupées Pandore parées des dernières tendances étaient envoyées dans les Plats Pays et dans toute l’Europe, y compris pendant la guerre. Aux échanges épistolaires s’ajoutent les gravures, puis à partir de la fin du XVIIe siècle, les revues de mode tel le bien connu Mercure galant.
Entre 1658 et 1680, on est sensible aux influences françaises sous la forme de la rhingrave, ample jupe-culotte généreusement agrémentée de bouclettes de rubans appelées «petite oie» fabriquées en France par des marchands-rubaniers. Dans l’exposition, la garniture de ruban de chapeau commandée à un chapelier-rubanier parisien en est l’illustration. Elle témoigne qu’à cette date, les commandes à distance existaient déjà.
Un Orient fantasmé
La peinture est incontestablement le plus bel ornement de l’exposition. On y découvre un Rembrandt, peintre d’histoire recourant volontiers à un vestiaire vintage teinté d’orientalisme qu’il emprunte au siècle précédent. Cette pratique inédite fera école auprès de ses élèves, notamment Ferdinand Bol dans le Couple accoudé à une balustrade.
© musées du Mans / Dominique Couineau
Cet exotisme fait de damas, brocarts, lampas et velours est magnifiquement mis en lumière par les Sybilles, un cycle rare que l’atelier de Jan van den Hoecke destinait sans doute à un Anversois fortuné. Il est ici en adéquation avec la Sibylle de Perse dont la contrée évoquait un des lieux de fabrication de ces matériaux précieux parfois brodés d’or et d’argent. Ces étoffes contribuaient à recréer les origines bibliques du christianisme, tout en les auréolant d’une dimension et même d’une beauté quasi sacrée.
Les modes passent, la tradition demeure jusque chez notre contemporain, le photographe autodidacte Hendrik Kerstens. Tout y est dans Daily, de la profondeur des noirs à l’immaculée blancheur de la fraise composée de napperons en papier tout droit sortis d’une boulangerie.
© Hendrik Kerstens
Le portraitiste modernise les icônes de l’âge d’or de la peinture hollandaise dont il ne cache pas s’inspirer. Il repense la tradition qu’il assimile, dit-il, «à une volonté de décrire la vie quotidienne».
Le medium photographique et le génie des accessoires ordinaires, du sac plastique au papier toilette réactualisent le portrait flamand. L’accessoire n’est décidément jamais accessoire.