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L’expérience immersive de «Foreign nature» par Julius Horsthuis

26 avril 2024 6 min. temps de lecture Chronique parisienne

Les expositions d’art immersif ne se sont jamais aussi bien portées. En témoignent les légions de visiteurs de l’Atelier des Lumières, ce temple parisien qui connaît des émules en province, mais aussi en Allemagne, en Corée du Sud, à New York ou à Amsterdam. Cette nouvelle pratique ne se limite pas à la projection de reproductions de chefs-d’œuvre de l’art animé grâce au prodige des hautes technologies, elle s’attache aussi à la création ainsi que l’illustre Foreign Nature du Néerlandais Julius Horsthuis sur une musique de l’Allemand Ben Lukas Boysen. Le duo nous convie à un voyage immersif en une terre inconnue où la «nature» est transposée en de captivantes abstractions.

Les nouvelles technologies ont fait naître un profil inédit d’artistes qui ne sont pas forcément issus d’écoles d’art.

Né en 1980 à Amsterdam, Julius Horsthuis se distingue du cliché de l’artiste. Le cinéma, plus que tout autre art, a déterminé sa vocation et continue à ce jour de l’influencer. Il ambitionne très jeune de devenir cinéaste et à douze ans, il réalise ses premiers films pour lesquels il met ses camarades à contribution. Ses trois échecs au concours d’entrée de l’école de cinéma d’Amsterdam n’entament pas sa détermination. Formé sur le tas, il devient tour à tour assistant cameraman, chef opérateur et ingénieur du son.

Horsthuis se familiarise ainsi aux techniques cinématographiques avant de collaborer pendant quinze ans avec une entreprise d’effets spéciaux. Les projets pour la publicité et le cinéma se multiplient, ayant souvent pour fil rouge la réalité virtuelle. Julius Horsthuis accédait à la fabrique de l’œuvre avant de faire œuvre d’une toute autre manière.

Le monde infini des fractales

La découverte des fractales survient par hasard quand Julius Horsthuis cherche à associer pour un de ses films réalité et monde virtuel. Une vidéo sur YouTube du pionnier Krzysztof Marczak lui révèle les fractales, ces formes géométriques strictement identiques dont les différences d’échelle invisibilisent la gémellité. Le principe est comparable à celui des poupées russes ou dans la nature, à celui du chou romanesco.

Le vidéaste en explore dès lors les possibles dans ses propres créations où il met également en application son expérience du cinéma. Il échappait ainsi à la contrainte des budgets colossaux qu’implique le genre. Celui qui avait œuvré dans les coulisses du cinéma est maintenant sollicité par cinéastes et metteurs en scène en quête d’images hors normes. En 2021, les effets visuels de Julius Horsthuis apparaissent dans Upload, opéra du compositeur néerlandais Michel van der Aa.

La culture savante lui octroyait légitimité et reconnaissance. Désireux d’introduire des séquences de son univers, le réalisateur David Prior le charge de traduire visuellement l’enfermement d’un personnage sourd et aveugle dans The Autopsy, troisième épisode du Cabinet of Curiosities (2022) de Guillermo del Toro. Il concevra aussi un passage de Ant-Man 3 (2024) pour lequel Marvel cherchait à donner une apparence visuelle à l’abstraction du monde quantique.

La fabrique de l’œuvre

Le programme Mandelbulb 3D, outil essentiel de conception des fractales, offre des possibilités quasi illimitées. Le vidéaste souligne à cet égard la nécessité de se canaliser en adoptant rigoureusement un axe. «Quand on travaille avec un ordinateur, on peut multiplier à l’envi les couleurs et les sources de lumière, ce qui peut aboutir à des sortes de mandalas très kitchs. Plus j’avance dans le temps, plus je m’en tiens à une palette de couleur et à une lumière proche de la nature. Je cherche parfois à suggérer, voire à reproduire la lumière du soleil. Je consacre aujourd’hui beaucoup plus de temps à ces composantes, peut-être plus qu’à la conception de nouvelles formes».

Julius Horsthuis cultive volontiers l’ambiguïté avec le réel. Il reconnaît forcer sciemment les ressemblances avec, par exemple, un paysage de montagnes comme dans Not Bound inspiré de son voyage en 2017 dans le Morvan et dans la vallée du Rhin en Allemagne.

De la musique avant toute chose

L’immersion est aussi musicale. Ce fils de compositeur se livre à des centaines d’heures d’écoute afin de trouver la bande-son idéale. Il prête à la musique des couleurs autant qu’une dimension spatiale. Pour Not Bound, l’auteur s’était enthousiasmé pour la reprise d’Enya par Mimi Page. Quant à Recombination en 2023, l’une de ses œuvres les plus ambitieuses, il prête voix à sept compositeurs différents. Enfin, dans Emptyset, la bande-son est du très convoité Max Cooper, hélas trop peu disponible pour créer une composition spécifiquement pour Julius Horsthuis.

L’autre influence revendiquée demeure celle du cinéma, particulièrement de David Fincher, Gaspar Noé, Lars von Trier ou Richard Linklater. Il reconnaît que certaines scènes de son tout premier film, Geiger’s nightmare réalisé il y a près de dix ans, renvoyaient à Avatar de James Cameron et d’autres plus récemment à Inception et Interstellar
de Christopher Nolan. Aucune de ses créations n’aurait été possible sans l’amour et sa culture du cinéma. Julius Horsthuis est l’héritier de toute une génération de rêveurs fous qui continuent de merveilleusement le hanter.

«Foreign Nature»

Initialement conçu en 2022 pour le Nxt Museum d’Amsterdam, Foreign Nature ne connaîtra de visibilité qu’en 2023 à Paris à l’Atelier des Lumières. Le compositeur allemand Ben Lukas Boysen qui avait été proposé au vidéaste par l’institution amstellodamoise, rejoignait la tonalité électro des films de Julius Horsthuis.

Créée conjointement à la faveur de nombreux échanges entre les deux auteurs, la bande-son tisse un dialogue ininterrompu avec les images. Boysen réalise une parfaite adéquation avec des images dont la puissance est véritablement décuplée par la musique dotée d’une réelle dimension immersive.

L’abstraction relative des images interroge la question du sens. Julius Horsthuis y répond en reprenant la phrase d’un des films du réalisateur culte Darren Aronofsky: «Les mathématiques sont le langage de la nature». C’est peut-être la seule intention vraiment reconnue par l’artiste qui veut mettre en lumière la complexité de la nature et ses similarités avec la géométrie fractale. Le cinéaste tient à laisser toute latitude à l’imagination des spectateurs et se réjouit des interprétations auxquelles peuvent se prêter ses créations.

Chacun peut voir ce qu’il veut trouver, planètes extraterrestres ou vaisseaux spatiaux issus de la SF, influence de 2001: A Space Odyssey de Stanley Kubrick, architectures visionnaires de Boullée ou d’Antonio Sant Elia, cités médiévales et intérieurs d’églises romanes dignes de l’heroic fantasy ou paysages de montagnes de Caspar David Friedrich, à la fois inquiétants et grandioses.

Les œuvres de Julius Horsthuis se prêtent à l’équation, peut-être parce que les fractales existent dans toutes les formes du vivant. Julius Horsthuis réconcilie art et science et démontre que de leur osmose peut naître une beauté familière propre à dissiper nos peurs face au progrès des nouvelles technologies.

Foreign Nature, création contemporaine de Julius Horsthuis, Atelier des Lumières, à Paris, jusqu’au 5 janvier 2025.

Foreign Nature: Julius Horsthuis / musique: Ben Lukas Boysen / production: Culturespaces Studio ® / conception et animation: Julius Horsthuis / musique: Ben Lukas Boysen
Geneviève-Nevejan

Geneviève Nevejan

critique d'art

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