Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

L'extrême droite et son culte du loup
© Philipp Pilz / Unsplash
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L'extrême droite et son culte du loup

Dans nos contrées, le loup n’est plus un personnage légendaire terrorisant chèvres et agneaux. Le retour du chasseur au pelage gris a le don d’échauffer les esprits. Un groupe lui voue toutefois une admiration inconditionnelle: l’extrême droite. Celle-ci voit dans le prédateur son idéal de société: loyauté et bienveillance envers la meute, férocité et cruauté envers tout élément extérieur.

«Les lions et les tigres sont certes plus puissants, mais ce ne sont pas les loups qu’on trouve dans les cirques». Tels sont les propos d’une jeune femme membre de Schild & Vrienden (S&V, Bouclier et amis), mouvement de jeunesse d’extrême droite flamand. La jeune femme mène une vie à l’abri des médias, mais est généralement présente aux réunions de S&V. Elle fait allusion au proverbial lion indomptable, mais qui, pour le bon plaisir des humains, semble suivre docilement leurs ordres sans rugir. Approchez, approchez, le cirque va commencer. «Mais sans loup, car il ne se laisse pas apprivoiser.»

L’extrême droite aime le loup. Encore plus que le lion, du moins dans les cercles les plus obscurs. La «mignonitude» de ces deux animaux se situe largement au-dessous de zéro. Peu importe, puisque l’extrême droite ne cherche pas à incarner la tendresse, encore moins lorsqu’il s’agit du loup, comme le montre l’Histoire. Le «loup» était le nom de code de Hitler, pour qui les SS étaient une meute de loups. La Wolfsangel (le crampon, littéralement «crochet de loup») était le symbole de certains bataillons SS et la Wolfsschanze (litt. «tanière du loup») était l’un des quartiers généraux du führer. Les exemples de l’obsession de l’extrême droite pour le loup ne manquent pas.

Patriarcale et hypermasculine

Le loup est aussi le fidèle ami d’Odin, dieu scandinave incarnant la pureté du sang germain. Ce faisant, l’extrême droite s’empare goulûment de la symbolique du paganisme, voire des runes vikings. Elle sème ainsi la confusion sur l’orientation politique de ces sous-cultures, qui deviennent en quelque sorte coupables par association: d’office suspectes de sympathie avec l’extrême droite.

L’iconographie romaine du loup agit également comme une source d’inspiration bienvenue. Pensez aux jumeaux abandonnés Romulus et Remus, adoptés et allaités par une louve. L’extrême droite s’approprie des éléments de l’Antiquité classique pour se vautrer dans une société patriarcale. Cela trouve également un écho sur la scène musicale. Des groupes comme Hesperia, dans la mouvance du Roman Black Metal, font du loup leur emblème, malgré un blason plutôt pauvre: t-shirt en coton foncé ou quelques dessins stylisés sur du matériel promotionnel.

Dans un article sur le thème du loup, du métal et de l’extrême droite, le classiciste américain Jeremy Swist écrit: «Comme leurs prédécesseurs fascistes, ils donnent au loup et aux civilisations méditerranéennes antiques une connotation patriarcale et raciste. De telles constructions découlent des résonances du loup et de l’Antiquité classique, mélangées aux thèmes communs du métal: transgression, hypermasculinité, élitisme et nostalgie de la prémodernité».

L’ordre «naturel» doit être rétabli. C’est là que le loup se précipite à la rescousse de cette croyance. Les recherches de la professeure canadienne Stephanie Rutherford sur l’iconographie du loup chez les nationalistes blancs le confirment: «Les nazis ont pris le loup comme modèle pour les qualités qu’ils voulaient cultiver: loyauté, hiérarchie, férocité, courage, obéissance, et parfois cruauté». Selon Rutherford, la symbolique du loup revêt un attrait radical pour les branches de l’alt-right qui considèrent la genèse et l’évolution de ces symboles comme des codes à décrypter. «Leur langage est truffé de références au loup et leur formation identitaire aspire à une certaine liberté en marge du courant dominant de la société», poursuit-elle.

Ses recherches se concentrent sur deux groupes cultes spécifiques de la mouvance suprémaciste blanche: La Meute au Québec et le groupe américain The Wolves of Vinland. Ce dernier est un groupe néopaïen qui n’admet que des membres blancs, considérant la pureté raciale comme essentielle à l’unité de la tribu. La fraternité est l’idéal du groupe. Une fraternité renforcée sous l’impulsion de l’influenceur américain Jack Donovan, qui prône la suprématie masculine comme antidote au féminisme et à la faiblesse. The Wolves of Vinland possède également une branche féminine portant le nom de Project Shewolf.

«The Wolves of Vinland et La Meute se considèrent comme les seuls suffisamment courageux pour faire face à la vérité. Tous les autres sont considérés comme des moutons, domestiqués pour gober sans réfléchir l’herbe des pâturages du féminisme et du multiculturalisme. C’est alors que le loup est apparu comme le symbole idéal de nouvelles espèces de nationalisme et de tribalisme», indique Rutherford. Une espèce qui s’oppose au politiquement correct et, comme le précise la chercheuse canadienne, à la mondialisation envahissante.

«D’autres loups se joindront-ils à nous?»

Le paria incontrôlable, c’est le loup auquel s’identifie l’extrême droite. Le mouvement, à l’exemple de l’animal, refuse de rentrer dans le rang. Ce caractère contradictoire se développe surtout en ligne, dans les recoins virtuels obscurs de diverses plateformes sociales. Sur Facebook, on trouve par exemple le groupe fermé She-Wolves, exclusivement réservé aux femmes d’extrême droite des Pays-Bas. On y croise des aficionadas inconditionnelles du Parti néerlandais pour la Liberté (Partij voor de Vrijheid - PVV) de Geert Wilders et de son homologue encore plus extrême Thierry Baudet du Forum pour la Démocratie (Forum voor Democratie - FvD), ainsi que des sympathisantes et des mandataires du parti flamand d’extrême droite Vlaams Belang. Barbara Pas, cheffe de groupe à la Chambre pour le Vlaams Belang, était elle aussi une louve, par exemple.

She-Wolves a depuis partiellement fusionné avec l’association Project Thule, dont le fondateur est l’ancien militaire belge Tomas Boutens, déjà condamné pour avoir planifié un coup d’État armé avec le groupe néonazi Bloed Bodem Eer Trouw (BBET - Sang-Terre-Honneur-Fidélité). Project Thule exploite en outre la prétendue perte d’identité blanche des louves parmi les membres de leur groupe. Pour y remédier: un tribalisme ethnique. Une meute au sein d’une population qui partage une profonde camaraderie. Il en résulte un grand sens de la solidarité entre les louves, un lien sororal exclusif entre les femmes de «leur» peuple avant tout.

Le paria incontrôlable, c’est le loup auquel s’identifie l’extrême droite

À l’approche des élections nationales de 2019, le compteur des membres de She-Wolves a rapidement grimpé et elles ont codirigé la campagne électorale du Vlaams Belang. Elles ont envoyé des invitations à participer conjointement à des événements électoraux : «Ce soir, steak party du Vlaams Belang à Gand. J’y serai. D’autres loups se joindront-ils à nous?» Sanne Plancke, ancienne conseillère communale de Forza Ninove, a quant à elle partagé une liste de candidates aux élections : «D’autres candidates de Flandre-Orientale parmi les louves?»

Au-delà de cette campagne active, la teneur des messages partagés est larmoyante. La fin est proche. Victimisation éhontée: la Flandre et les Pays-Bas ploient sous le poids de l’immigration et du capitalisme. Ces deux phénomènes sont à l’origine de l’aliénation: telle est la conviction des membres virtuels de l’extrême droite. On craint même que l’Europe entière, pour ainsi dire parasitée par le multiculturalisme, soit menacée dans son essence la plus profonde.

Sauvage et féroce

Les biotopes d’extrême droite se sentent vulnérables, mais ne veulent pas devenir des proies. Au contraire, ils s’identifient à un prédateur de premier plan qui peut se montrer vulnérable, mais est loin d’être un toutou. Contrairement au cavalier seul, il préfère jouer en équipe et évolue selon une hiérarchie stricte. En outre, élément non négligeable, le loup est une espèce autochtone. C’est un animal bien de chez nous. Pas une horrible créature exotique, à l'instar du roi des animaux qui peuple les terres africaines et asiatiques. Enfin, le lion n’a pas échappé à la «disneyfication». Apprivoisé et baptisé en personnages d’animation sous les noms de Simba et Aslan (dans Le Roi lion et Narnia), le fauve a vu ses griffes raccourcies.

Le loup, quant à lui, reste sauvage et féroce. Et il est de retour. Longtemps considéré comme éteint en raison de la densification du territoire, de l’activité économique et de la chasse, le chasseur gris œuvre depuis peu à son come-back. «Au cours de l’été 2011, des loups ont à nouveau foulé le sol belge et néerlandais, et ce, après une absence de plus d’un siècle», peut-on lire sur le site welkomwolf.be, de l’association de protection de la nature Landschap vzw.

Ce retour s’accompagne d’une polarisation; le débat pour ou contre le loup s’embrase. «Des dégâts causés par les loups ont été enregistrés dans la Lierstraat à Meeuwen, dans la nuit de lundi à mardi, avec la mort de 11 moutons et de 4 alpagas», titrait le quotidien belge Het Laatste Nieuws. Et après l’observation d’un ou plusieurs jeunes loups trop près de l’activité humaine en Haute Veluwe, la question s’est posée de savoir quelle réaction adopter: les chasser ou les abattre? La ministre de la Nature Christianne van der Wal (VVD) souhaite d’ores et déjà obtenir un avis sur la coexistence des êtres humains et des loups aux Pays-Bas. Elle souhaite de cette manière entamer un dialogue afin d’éviter un durcissement du débat.

les figures d'extrême droite se rangent aux côtés du loup parce que la bête sauvage l’emporte sur l’animal dompté

Ainsi se reproduit l’Histoire: chaque attaque présumée du loup sur des êtres humains ou du bétail échauffera indubitablement les esprits et fera ressurgir la menace du «loup problématique».

Parmi ceux qui défendent la présence des loups, les figures d'extrême droite sont généralement ravies et se rangent immédiatement aux côtés du loup. Pourquoi? Parce que la bête sauvage l’emporte sur l’animal dompté. Cette dichotomie s’inscrit également dans une théorie du complot qui s’est développée après The Great Reset (la Grande Réinitialisation). Il s’agit d’une proposition du Forum économique mondial visant à reconstruire durablement l’économie mondiale après la pandémie de coronavirus. Les opposants à ce plan voient en lui une conspiration par laquelle des élites secrètes, comme le prétendu Nouvel Ordre Mondial, transformeraient la population mondiale en sheeple, un mot-valise né de la fusion de sheep (mouton) et de people (peuple) : des personnes soumises dotées d’un esprit de troupeau et qui suivent l’élite sans esprit critique. Autrement dit, des personnes domptées.

Mais le loup n’est pas un suiveur; il frappe sans prévenir. C’est aussi ce que veut l’extrême droite: un retour inattendu, impressionnant, sur le devant de la scène. Une multiplication progressive de ses partisans et une reconquête du territoire européen. Prédatrice et intrépide.

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