Tous les deux mois, Hans Vanacker pose un regard personnel sur Septentrion et tire des archives du magazine des textes qui entrent en résonance avec l’actualité. Pour conclure l’année, il se saisit d’un élément de l’actualité et, de fil en aiguille, nous fait découvrir un passeur de culture au nom bien français malgré ses origines néerlandaises.
Récemment a été lancée la chaire universitaire «Isabelle de Charrière». Cette chaire, qui se concentre sur l’étude de la langue, la culture et la littérature néerlandaises, a pour principal objectif d’enrichir les études du néerlandais en France et de renforcer les liens académiques entre les Pays-Bas et la France. Chaque année, elle permet à trois professeurs néerlandais de donner des conférences dans des universités en France.
Voilà pour la partie officielle de ce texte. Il s’agit évidemment d’une initiative très louable, mais je voudrais parler davantage de la dame qui lui a donné son nom: Isabelle de Charrière (1740 1805), mieux connue dans les Plats Pays sous le nom de Belle van Zuylen.
Aujourd’hui encore, cette écrivaine francophone est surtout connue pour ses lettres. Elle en a écrit des milliers, adressées aux membres de sa famille, à ses amis, à ses amants et à ses collègues. Ces lettres donnent une bonne idée de la vie noble à la fin du XVIIIe siècle et des idées d’une femme émancipée et cultivée de cette époque.
© Van Oorschot
Isabelle de Charrière appartient sans aucun doute surtout à la culture francophone, mais elle a aussi un pied dans les Plats Pays. Elle, et bien d’autres, m’ont appris à quel point sont intéressants ces moments où des cultures différentes se frottent les unes aux autres, se reniflent et, dans une mesure plus ou moins grande, s’influencent mutuellement. Au fil des années, j’en suis venu à considérer ces échanges culturels au-delà des frontières linguistiques comme l’apogée de la vie culturelle. En tout cas, ils constituent une réponse appropriée à cette tendance croissante de beaucoup à s’enfermer dans leur propre cocon culturel, «bien à l’abri dans les limites de leur propre aire linguistique».
Si j’avais voulu choisir un article sur Isabelle de Charrière publié dans Septentrion, j’aurais eu l’embarras du choix. Toutefois, j’ai choisi un texte sur Pierre H. Dubois. Avec son épouse Simone Dubois, cet auteur-biographe néerlandais et passeur de culture dont on ne peut surestimer les mérites, a veillé à ce que l’héritage interculturel d’Isabelle de Charrière ne soit pas perdu.
Pierre H. Dubois «contemporain» de Diderot
«À quoi attribuer l’attirance spontanée vers la langue, la culture, la littérature françaises chez un être qui, il est vrai, a hérité non seulement d’un patronyme, mais également de prénoms français, alors qu’il est issu d’une famille dont aucun membre ne maniait cette langue et dansa laquelle on ne pouvait déceler la moindre affinité avec ce contexte culture précis, ni d’ailleurs avec aucune autre forme de culture littéraire ?» C’est sur cette interrogation que débute le premier tome des Memoranda, trois volumes à caractère autobiographique que l’auteur fit paraître entre 1987 et 1989. C’est dire l’importance que revêt pour cet écrivain l’héritage littéraire français, de Diderot à Sartre, de Flaubert à Simenon, de Voltaire à Calus, de Stendhal à Ionesco, d’Isabelle de Charrière à Montherlant, autant d’auteurs prestigieux dont les œuvres ne cessèrent de nourrir sa réflexion.
© Eric Koch / Anefo
Il y en a eu d’autres, bien sûr. En premier lieu, les classiques néerlandais qu’un maître avisé sut lui faire apprécier dès le collège, les grands romanciers du tournant du siècle ensuite: les Emants (1848-1923), les Couperus (1863-1923), des contemporaines enfin comme Cola Debrot (1902-1981) ou Maurice Gilliams (1900-1982). Ajoutons qu’au-delà du domaine français, il porta ses regards sur Tchekhov et Gogol, sur Pirandello, sur Miller, sur Brecht et sur Max Frisch. Ses préférences cependant sont toujours allées, à n’en point douter, aux écrivains de langue française.
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