L’homme au bout du fil raccroche: un extrait de «Enter» de Willem Asman
Dans la néerlandophonie, les auteurs de thrillers et de romans policiers sont aujourd’hui encore en butte à de tenaces préjugés. Il n’empêche: aux Pays-Bas comme en Flandre, il s’agit d’un genre qui a beaucoup à offrir. En accompagnement de l’article de Jos van Cann qui présente les principaux auteurs et un aperçu de quelques tendances saillantes, voici un extrait de Enter de Willem Asman.
L’homme au bout du fil raccroche
Dans ses rétroviseurs, Tyler voit que l’homme sur la moto avec double roue avant prend la même sortie qu’elle sur le périphérique. À petite distance, il suit l’A3 de Tyler sur le Europaboulevard. Tout comme elle, il respecte scrupuleusement les limitations de vitesse et tourne à droite dans la Boelelaan, puis à gauche vers le centre commercial.
Consciencieusement, il met son clignotant, chaque fois une seconde après Tyler. Puis, au feu rouge suivant, quand elle lève le pied de la pédale de l’accélérateur, il serre à gauche, là où Tyler va tout droit. Elle jette un bref coup d’œil de côté lorsqu’il passe devant elle. Elle mémorise sa plaque sans difficulté.
Après un bloc d’immeubles supplémentaire, pour être sûre, elle entre dans sa rue. Lorsqu’elle gare son A3 sur le trottoir, elle inspecte rapidement son maquillage dans le rétroviseur.
Sa maison fait partie d’une rangée: en brique rouge, dotée de deux étages et d’un petit jardin à l’arrière. Elle sort, jette un coup d’œil au ciel au-dessus des toits de l’autre côté de la rue. Une femme qui se demande si le temps restera sec ce soir.
Devant la porte d’entrée, elle laisse tomber ses clés. En se baissant, elle regarde autour d’elle, les yeux plissés pour se protéger du soleil de fin d’après-midi. Personne. Les petits oiseaux chantent.
À l’intérieur, elle prend le courrier sur le paillasson, mais seulement après avoir soigneusement fermé la porte derrière elle – les verrous du haut et du bas, puis la chaîne par-dessus.
La maison est silencieuse. Sa fille Charlie, quinze ans, est partie à Londres avec l’école. Le bus est parti ce matin de la place devant le bâtiment de l’école internationale d’Amsterdam, où Charlie est maintenant en quatrième année.
Au bas de la porte menant au couloir, la petite bande de papier brun est toujours exactement là où elle l’a laissée ce matin: à cinq centimètres au-dessus du seuil, coincée entre la porte et le chambranle. Lorsqu’elle traverse le couloir et entre dans la cuisine, elle voit une bande identique au bas de la porte arrière. Un truc qu’elle a appris dans un vieux film d’espionnage.
Dans le salon, elle sort son Samsung de son sac. Deux appels manqués, voit-elle sur l’écran, et deux messages enregistrés. Tout en se débarrassant de ses talons aiguilles et les poussant sous le canapé, elle se connecte à sa boîte vocale.
Le premier message est de Charlie. Tout se passe bien, ils sont arrivés à l’hôtel.
«Et devine un peu, maman… il pleut.»
Tyler sourit. Depuis que la destination du voyage de cette année avait été annoncée, Charlie râlait. L’Angleterre, maman, justement le pays où il pleut tout le temps. Pourquoi pas Florence comme l’année dernière? Ou Paris?
Le second message provient d’un numéro caché. La personne raccroche sans un mot. Le sourire de Tyler disparaît.
Depuis quelques jours, il appelle à des heures irrégulières. À tous les coups, le numéro est bloqué. Aucun message n’est enregistré.
Ce peut être innocent, de la publicité, un fournisseur d’énergie ou tout autre vendeur avec une promotion. Ce pourrait être une femme aussi, mais Tyler pense que c’est un homme. Depuis treize ans déjà, l’homme la poursuit jusque dans ses rêves. Il est toujours tapi dans l’ombre. Elle ne voit jamais son visage, mais elle sait qui c’est.