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littérature compte rendu

L’humain replacé au centre: «Le ciel était vide» d’Inge Schilperoord

23 octobre 2024 4 min. temps de lecture

Dans Le ciel était vide, l’autrice néerlandaise Inge Schilperoord aborde l’islam, ou plus exactement la délicate question de la nature de l’islam et de sa perception dans l’Occident. 

Il faut reconnaître à l’autrice néerlandaise Inge Schilperoord de se saisir des problématiques les plus actuelles de notre époque. Son premier roman, La Tanche (1), abordait la question de la pédophilie en entrant, de manière froide et quasi clinique, dans la tête d’un jeune homme, Jonathan, en lutte avec ses pulsions mortifères.

Il aura fallu attendre sept années, aux Pays-Bas pour l’édition originale comme en France pour sa traduction dans la langue de Molière, pour voir paraître un second roman.

Dans Le ciel était vide, la romancière nous raconte l’histoire d’une adolescente de seize ans, Sophie, dont le père bien-aimé vient de mourir dans un accident, après une vie dédiée, comme avocat pénaliste, à la défense de musulmans -il est surtout question d’une musulmane dans le roman- partis en Syrie rejoindre le califat et ses combattants.

Il y a dans cette relation filiale toute l’affection d’une jeune fille hantée par un vide abyssal, qui s’identifie à son père à travers l’islam, au point de vouer à cette religion une admiration naïve mais non dénuée de questionnements tant personnels -pourquoi son père a-t-il consacré plus de temps à celle qu’on surnommait «la fiancée du califat», Isra El H., plutôt qu’à elle?- que métaphysiques -comment Dieu se révèle-t-il? Faut-il se forcer à l’aimer?

Orpheline, recueillie par une tante mélomane qui ne la comprend (évidemment) pas, Sophie trouve dans son amitié avec Zala, une jeune Afghane réfugiée illégalement avec sa famille (mais non son père, comme disparu) aux Pays-Bas, un lieu d’amitié nourrie d’interrogations et de projets: rédaction d’un exposé commun sur l’islam et sa réception, apprentissage de l’arabe…

Inge Schilperoord reproduit avec Sophie l’approche qu’elle avait eu de Jonathan dans La Tanche, mêlant développement psychologique et empathie, dans un style moderne, journalistique, qui correspond parfaitement aux sujets à l’étude. Nous y retrouvons ce faux paradoxe d’une écriture à la troisième personne du singulier et d’une pénétration tenace de l’esprit de son personnage, à ceci près que les états d’âme de la jeune fille, du fait de son âge, basculent facilement d’un état extrême à l’autre, là où un Jonathan manifestait une plus grande sobriété.

Dans une langue sobre et simple, presque factuelle si l’on excepte les émotions qui traversent Sophie et qui apparaissent dès lors, par contraste, emphatiques, la romancière nous offre un récit aux accents initiatiques, une œuvre éducative pour adolescents, un guide romanesque appelant à la tolérance et à l’accueil de l’autre – ce qui nous est étranger, par conséquent étrange.

Il faut reconnaître à Inge Schilperoord de se saisir des problématiques les plus actuelles de notre époque

Dans ce roman, ce que nous perdons parfois en littérature nous est redonné à travers une pédagogie à la complexité mesurée, limitée à des interrogations sommaires et superficielles. Rien n’est véritablement dit de l’islam que sur un mode affectif et sensoriel. Il n’est finalement pas question de rentrer ici dans le débat de fond sur la nature de l’islam, ni même sur sa perception dans notre Occident: nous ne saurons rien de ce fameux exposé que préparent Sophie et Zala au fil des pages.

Tel n’est pas le propos; là n’a jamais été l’enjeu. Inge Schilperoord se place volontairement à hauteur d’enfant, accordant la première place aux affections multiples – amicales et familiales – plus qu’à la compréhension affinée d’une réalité délicate. Elle replace in fine l’humain au centre, afin de faire prendre conscience à son jeune lectorat de la primauté des relations sur toute idéologie. Sous-jacent, il y a la thématique du père – mort, absent ou siégeant en des cieux sibyllins.

Ce qui frappe dans les deux romans d’Inge Schilperoord, c’est la place de la ville dans la construction ou la déconstruction de ses personnages. Dans La Tanche déjà, le quartier en démolition où vivait Jonathan reflétait, en une métaphore évidente, ce qui se jouait en lui. Ce nouveau roman porte aussi la trace d’un environnement significatif dès le titre, du moins dans l’édition originale: Het licht in de stad – littéralement: «La Lumière dans la ville». Difficile de savoir quelle est précisément cette lumière: un être, une relation, le métro, les immeubles de nuit, l’éclairage public, une quête… ou tout à la fois? En revanche, l’errance de Sophie dans cette ville, avec ses quartiers aux frontières délimitées, constitue une nouvelle métaphore à entrées multiples: populations juxtaposées les unes à côté des autres, et surtout quête identitaire d’une jeune orpheline de père, qu’il soit homme ou Dieu.

Inge Schilperoord, Le ciel était vide (titre original: Het licht in de stad), traduit du néerlandais par Françoise Antoine, éditions Belfond, Paris, 2024.

1. Titre original: Muidhond. La traduction française, signée Isabelle Rosselin, a paru aux éditions Belfond de Paris en 2017.

Pierre-Monastier-dessin-de-Xiaokuo

Pierre Gelin-Monastier

critique littéraire
© dessin : Zhang Xiaokuo.

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