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Liliane Vertessen: voici mon corps, il m’appartient

19 mars 2025 4 min. temps de lecture

Elle fait partie de pionnières ayant utilisé leur corps comme matériau premier de leur travail artistique. Autrice d’une œuvre à première vue provocante, Liliane Vertessen est avant tout en quête de joie et de liberté. Rencontre.

C’est une toute petite femme, fluette et gracile. Elle a 72 ans et elle arrive au vernissage de son exposition habillée en rose fillette, bonnet rehaussé de plumes, lunettes bordées de strass rose, tee-shirt Mickey, doudoune rose poudré rejetée sur ses épaules. Une œuvre parmi les œuvres de l’exposition qui vient de s’ouvrir à Bruxelles. Liliane Vertessen (°1952) vernit pour la première fois de sa vie une exposition monographique dans une galerie internationale, Nosbaum Reding, qui a déjà présenté en début d’année deux de ses grandes œuvres à la Brafa, la grande foire bruxelloise d’art contemporain.

Une première exposition, chez les flics

Tout ce chemin pour cette artiste si déterminée, originaire de Leopoldsburg, un petit village de Flandre à la frontière des Pays-Bas. Elle grandit dans une famille monoparentale et travaille à partir de l’âge de 7 ou 8 ans. «Je n’ai pas eu d’enfance, explique l’artiste, je devais aider ma mère.» Elle fait le ménage, range, coud, et commence déjà à fabriquer ses vêtements. À 8 ans, pour agrémenter son uniforme scolaire sévère, elle fixe sous les manches de son pull deux ailes de chauve-souris en satin noir et va comme ça à l’école: regardez-moi! Je suis là!

Jeune adolescente, elle fréquente le milieu underground musical, chante dans le groupe de free jazz The Tweeters, rencontre son futur mari, musicien, et toujours, coud, bricole, tricote, colle, ajoute, invente. Elle se prend en photo en tenues sexy, dans des poses suggestives. Elle photocopie ses photographies et les colle dans la rue.

En 1970, Vertessen a 18 ans. Elle pose pour elle-même, s’invente des rôles d’auto-muse, sexy, érotique, femme fatale. Elle se coud des petits dessous aguichants, fendus, cintrés, cloutés, … les enfile pour se prendre en photo, le corps cambré, le regard droit, sans peur, souvent dirigé vers le spectateur. Ces photographies, elle les rehausse de plumes, de dentelles, de néons: «Ce sont les néons des bordels qu’on trouvait au bord de la route près de chez moi.» À 23 ans, elle accroche une première exposition dans le sous-sol de la gendarmerie du coin.

Liliane Vertessen va continuer de se prendre en photo, son corps fluet et sexy, disponible et malléable, comme premier sujet, première matière, corps primal, médium ultime et accessible.

Une génération de corps artistes

Comme beaucoup de femmes artistes de sa génération, plutôt que de s’emparer des médiums classiques et «sérieux» comme la peinture ou la sculpture, monopolisées par les hommes, Liliane Vertessen utilise son corps comme lieu, espace, matière et moyen d’expression. Ce corps dont la présence est indéniable, manié et regardé par les hommes, mais bien à soi. Parfois souffrant, saignant, mais disponible pour soi-même.

Vertessen s’inscrit ainsi aux côtés des Valie Export, Cindy Sherman, Francesca Woodman, Hanna Wilke, Lilie Dujourie, Martha Rosler, Orlan, … qui mettent leur corps au premier plan tout en déjouant les codes de la féminité traditionnelle.

La femme objet des années 1970 se rebelle, elle dit au spectateur: mon corps est un objet plastique, que tu désires? Alors, regarde ce que j’en fais. Je suis maîtresse de ce corps, je peux te l’offrir, si je le veux, mais je peux aussi le déformer, le malaxer, le pincer, l’épuiser, le déhancher, le transformer, ou même le faire disparaître. Durant cette époque forte en combats féministes, des artistes partout sur le globe, parce qu’elles en ont assez d’être seulement les modèles et muses, déshabillées, des artistes masculins, se racontent à partir de leur chair, littéralement.

Derrière les néons, un secret

«Je suis d’un autre monde, plus émotionnel, plus fort, plus libre que celui de ma famille. Je veux montrer ce que j’ai dans la tête et le cœur. C’est un chemin pour prendre ma place, je joue, je m’amuse, poursuit celle qui vient de glisser: aujourd’hui on en parle, n’est-ce pas ? Sur mes quatre oncles, trois sont venus dans ma chambre. Mais j’étais toute petite, je ne savais pas que c’était mal.»

Soudain, il nous semble si clair que l’œuvre de Vertessen est aussi un chemin de réparation. En s’offrant de son propre choix ainsi au regard de tous, nue ou presque nue, sous les néons, elle raconte la dévastation et comment elle a choisi d’en sortir, en devenant totalement maîtresse de son image. Elle n’est pas victimisée dans ses photos, mais respire plutôt l’empowerment et la conscience de soi. «Je crée depuis que je suis toute petite, parce que je cherche la joie. L’intellectualisation, tout ça, ça ne m’intéresse pas. Je veux juste faire ce que je veux. Aujourd’hui, je veux juste être heureuse.»

De nos jours, Liliane Vertessen continue de travailler dans son atelier de Heusden-Zolder. Elle a sorti une édition de prints en série limitée d’œuvres anciennes pour le SMAK en 2024. Pour une exposition en 2024 au musée Middelheim d’Anvers, elle a créé une grande sculpture en métal et un néon. Le néon disait : «She is not a f… artist.» À chacun de compléter le mot manquant: female, fucking, fraud, …  Toujours cette quête sans fin et émouvante pour affirmer sa place.

L’exposition chez Nosbaum Reding rassemble plusieurs œuvres du début des années 1980 à 2012, toutes de grand format. Liliane Vertessen maîtrise son médium, c’est peu de le dire.

Elle s’affiche, s’affirme, s’expose… Sur les photographies, un corps presque enfantin, le dos cambré et le regard noir, caché sous le halo d’un néon rose ou violet. Plus de trente années de création et d’œuvres comme autant de mantras: voici mon corps, il m’appartient.

L’exposition Liliane Vertessen est présentée jusqu’au 12 avril à la galerie Nosbaum Reding à Bruxelles.

Muriel de Crayencour

journaliste culture et artiste. Elle a écrit pour L’Écho puis a fondé et dirigé le magazine Mu in the City pendant 10 ans.

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