Lily van der Stokker, la grande enfant de l’art contemporain
L’artiste néerlandaise Lily van der Stokker n’est pas une inconnue en France. Établie à New York, elle revient en France, en cette terre pas totalement étrangère à l’occasion de son exposition I Am Here au Frac Normandie à Caen. Ses marguerites géantes, son chromatisme pastel et son langage qui conjugue l’anglais et le néerlandais continuent de dialoguer non sans ironie avec un spectateur amusé. Inclassable, l’artiste l’est par une légèreté et un humour trop rares sur la scène artistique.
Lily van der Stokker (°1954) se fait connaître dans les années 1990 par ses petits dessins devenus plus tard compositions murales XXL. S’y mêlent colères, mots manuscrits et motifs décoratifs d’une simplicité déroutante.
© H. Dewachi
Son esthétique reconnaissable entre toutes continue d’emprunter à l’enfance ses couleurs pastel et la puérilité de ses messages à l’écriture ronde. Ses créations rejoignent à bien des égards un enchantement romantique tout droit issu de l’adolescence et de la naïveté rêveuse des clichés féminins. Avec malice, elle en force le trait par une ornementation kitsch et futile dont l’intention revendiquée vise à «trouver une méthode, dit-elle, pour briser les barrières de la normalité et atteindre un lien où il n’y a ni bien, ni mal», en d’autres termes, dépourvu de jugement.
Une artiste hors catégories
Comment se définit-elle? Comme «une artiste pop, conceptuelle et féministe», confiait-elle dans un entretien avec le réalisateur John Waters. Paradoxalement, elle n’en reprend les codes que pour les détourner et même les tourner en dérision. Le féminisme, elle l’exprime quasi exclusivement dans l’espace domestique. Lily van der Stokker qui n’est ni mère ni femme au foyer, s’en approprie le cadre traditionnel. Elle tapisse son très sweet home de peintures décoratives souvent assorties de canapés aux couleurs acidulées. «J’aime ajouter, précise-t-elle; des meubles pour exprimer la domesticité et par ailleurs des boîtes et choses que je place en face des peintures murales. Des personnes m’ont demandé ce qu’il y avait dedans et j’ai répondu de l’air, rien. Ce sont d’inutiles figurants destinés à faire polémique.»
© L. van der Stokker
Conceptuelle, l’est-elle vraiment? On trouve certes dans ses œuvres un usage abondant de l’écrit. Mais à la différence des conceptuels et à leur recours à des contenus et à une typographie sciemment impersonnelle, Lily van der Stokker emprunte son écriture enfantine aux manuels scolaires. A l’inverse de ses contemporains, elle prône l’absurde et l’illogique. À Caen, l’une de ses peintures préférées, Ha, It Doesn’t Mean Anything créé en 2008 fait figure de manifeste. «Il y a longtemps, j’ai découvert que dans mon art, je pouvais raconter des mensonges, je peux faire n’importe quoi et ne pas l’expliquer, le laisser inachevé, ouvert et pas clair».
Lily van der Stokker préfère l’ironie à la prétention intellectuelle des conceptuels chez lesquels on chercherait en vain l’auto-dérision. Avec un refus irréductible de se prendre au sérieux, elle tutoie plus volontiers le dadaïsme en pratiquant un génie qui simule la stupidité. «… L’art ne parle que des gens importants, réfléchi, alors que j’avais le sentiment d’être un tout petit individu… Je voulais faire des trucs sur les enfants, mais pas à la manière des féministes des années 1970. Il fallait que ce soit différent que je parle de couleurs et d’enfants, de bonheur et de plaisir. Ce que je n’avais encore jamais vu dans l’art conceptuel qui était toujours très grave et difficile.» Et de conclure par un quasi-oxymore: «Je veux faire de l’art conceptuel facile».
La langue des origines et le langage de l’amitié
Le néerlandais côtoie parfois le français comme dans l’œuvre la plus ancienne I Am Here (1989) qui donne d’ailleurs son titre à l’exposition. Lily van der Stokker se place avec délectation sous le signe de la fraternité quand elle cite des artistes «friends of mine», tels Liam Gillick, Henri [sic] Bond, Bob Pruitt, Angela Bullock, Carsten Höller et le galeriste allemand Daniel Bucholz dans Liam Henry Angela (2001), peinture acrylique réalisée au Herzia Museum de Tel Aviv. Dans Bob Nickas (2002) exposé au Consortium de Dijon, elle mentionnait sa «rencontre en décembre à New York», de la peintre coloriste, Lisa Ruyter mais aussi de John Paul Tremblay, José Freire ainsi que du critique d’art et commissaire d’exposition Bob Nickas.
Ses propos renvoient malgré leur contenu en apparence personnel à une sentimentalité collective
Ses compositions ressemblent à des pages surdimensionnées de journaux intimes d’adolescentes, agrémentées de marguerites et pâquerettes stylisées. «Je me suis programmée pour rechercher la joie et la sympathie dans mon travail artistique. J’ai commencé à utiliser les fleurs alors que je recherchais un symbole de l’amitié et je n’ai encore rien trouvé de mieux.»
Les propos sont intimes, personnels ou confondant de banalité voire de trivialité dans The Plumber Is Coming (2023). «Cet hiver, relate-t-elle, mon voisin et moi attendions que le plombier arrive. Finalement, quand il a sonné à la porte, nous étions soulagés et avons dit « le plombier arrive». Le texte est simple comme bonjour. Dans cette œuvre je célèbre l’absence de signification, la beauté laide et je m’amuse avec ces couleurs, ces formes et ces autres mouvements non nécessaires. Je me réjouis de ce défaut de signification, c’est cela qui lui donne un sens.»
© L. van der Stokker
Elle n’élude ni la vie ordinaire ni les tournures usuelles souvent très cute, «I love you darling», «thank you», «fantastic» qui sont là pour rendre accessible et proche sa vie et ses emballements de petite fille. Force est de reconnaître que ses propos renvoient malgré leur contenu en apparence personnel, à une sentimentalité collective. Pas de sens donc, ou excès de bienveillance? Il y a dans son travail un aspect affectueux et heureux. «J’essaye d’être amicale dans la vie quotidienne. C’est très important pour moi… Il n’y a rien de profond à cela».
© L. van der Stokker
Le I Am Here, explique Lily van der Stokker, «c’est un confortable 21 degrés. Au moment où je fais le dessin, et [que] les choses me paraissent ‘bonnes’, c’est la joie épicurienne de l’existence qui l’emporte, comme sans doute dans tout mon art, et c’est ainsi qu’il doit être. Je voulais que cette œuvre figure dans l’exposition pour ajouter un élément de plaisir et questionner les raisons de faire de l’art qui sont tellement essentielles dans mon travail depuis le début et qui le sont encore dans des œuvres plus récentes.» Lily van der Stokker compare son art à une «thérapie», à la désespérance pourrions-nous ajouter. À l’évidence, elle apporte une réponse au nihilisme où l’on aurait envie de percevoir la croyance en un futur capable de se réenchanter.
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