L’image des Pays-Bas et du néerlandais dans d’autres langues
If you’re not Dutch, you’re not much. Ou: If it ain’t Dutch, it ain’t much. Celles et ceux qui ont voyagé aux États-Unis ou au Canada ou qui consultent des sites anglophones reconnaîtront certainement ces fiers slogans que l’on peut voir sur des pare-chocs, des tasses et autres t-shirts. Ils traduisent la vision qu’ont d’eux-mêmes les Néerlandais ou leurs descendants. Mais cette vision correspond-elle à la façon dont d’autres peuples envisagent les habitants des Plats Pays et leur langue? Ou le tableau est-il plus nuancé?
Pour répondre à ces questions, examinons les expressions qui contiennent les mots «néerlandais», «hollandais» ou «flamand» dans d’autres langues, et sur le sens métaphorique que ces mots ont acquis ailleurs. Quelle est l’image qui en émerge des Pays-Bas et du néerlandais à l’étranger? Et cette image est-elle identique dans tous les pays?
Dutch en Grande-Bretagne
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Dans le monde anglo-saxon, Dutch est un concept qui se retrouve dans une multitude d’expressions. Celles-ci sont compilées dans deux ouvrages: Total Dutch, de Ton Spruijt (1999) et De Dutchionary. Woordenboek van al wat Dutch is, de Gaston Dorren (2020). Bon nombre de ces expressions sont neutres; un Dutch garden, par exemple, est un jardin agrémenté de platebandes et de plans d’eau comme on en trouve aux Pays-Bas. D’autres ont une connotation positive ou négative, et permettent ainsi de saisir un fragment de l’image des plats pays. Certaines de ces expressions ne font pas référence aux Pays-Bas, mais à l’Allemagne; nous les laisserons ici de côté.
Si nous nous limitons aux expressions les plus connues contenant le mot Dutch qui sont encore usitées de nos jours, un tableau bien particulier se dessine –un tableau négatif. Mais ce tableau n’est pas précisément le même en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Les Anglais soulignent un penchant supposé des Néerlandais pour l’alcool fort: ils parlent de Dutch courage pour désigner ce qui s’appelle en néerlandais jenevermoed («le courage du genièvre»), et de Dutch bargain pour qualifier un contrat de vente bien arrosé.
Les Néerlandais parlent en outre un charabia incompréhensible, double Dutch, et ont une affinité pour les truismes du style thank God it is no worse, exemple typique de Dutch comfort ou de Dutch consolation: une maigre consolation. Ils ont par ailleurs un esprit better safe than sorry, car de nos jours, l’expression double Dutch désigne aussi l’amour doublement protégé par deux moyens de contraception conjugués (pilule et préservatif). Il semble d’ailleurs, selon les Anglais, que les Néerlandais ne répugnent pas aux choses du sexe, comme en témoignent les expressions Dutch cap pour désigner un diaphragme, et Dutch wife pour qualifier un coussin ou une bouillotte au lit, mais aussi une poupée gonflable.
Les Anglais se distancient aussi des Néerlandais dans les expressions quelque peu exaltées: if that’s true, then I’m a Dutchman («je n’en crois pas un mot»), I’m a Dutchman if I do («il faudra me marcher sur le corps») et If not I’m a Dutchman («c’est vrai, je te le jure»).
Dutch aux États-Unis
Les dictionnaires d’anglais des États-Unis montrent que pour les Américains, la caractéristique la plus saillante des Néerlandais est la radinerie. C’est d’ailleurs aux États-Unis que sont nées les expressions éloquentes Dutch party, Dutch supper, Dutch treat et to go Dutch, qui signifient toutes que chacun paie sa part.
Un deuxième trait caractéristique des Néerlandais, selon les Américains, est leur discourtoisie: ils disent sans fard ce qui leur vient à l’esprit (they talk like a Dutch uncle), et le font souvent dans un idiome incompréhensible (that’s all Dutch to me). Ils font beaucoup de raffut (a Dutch concert ou a Dutch medley, en argot américain) et cassent tout: to dutch est synonyme de «détruire».
To get in Dutch veut dire «tomber en défaveur» ou «en disgrâce», ou sur un ton plus familier, «s’attirer des problèmes»
La lâcheté est aussi associée aux Néerlandais: to take Dutch leave ou to do the Dutch (act) sont synonymes de «déserter», la seconde expression étant aussi utilisée pour parler de l’ultime évasion, celle qui met un terme à la vie. To get in Dutch veut dire «tomber en défaveur» ou «en disgrâce», ou sur un ton plus familier, «s’attirer des problèmes». Dans un registre moins élégant, citons enfin le Dutch oven, qui désigne une simple cocotte pour les Britanniques, mais un pet sous la couette en anglais américain.
En résumé, les caractéristiques néerlandaises les plus notables sont, pour les Anglais, la pochardise et la débauche, et pour les Américains la radinerie, la grossièreté, la turbulence et la lâcheté. Quant à la langue néerlandaise, les verdicts concordent: un parfait baragouin. Heureusement, un élément positif est aussi à signaler sur les Néerlandais: selon les Américains, ils ne sont pas facilement décontenancés ou intimidés: to beat the Dutch signifie «c’est très étonnant, c’est plus fort que tout».
Stéréotypes modernes: clog wogs et wooden
Les expressions sur le thème Dutch existent de longue date en anglais, et trouvent leur origine dans la rivalité ancienne entre Anglais et Néerlandais. Mais qu’en est-il aujourd’hui, quelle image les anglophones modernes ont-ils des Pays-Bas et du néerlandais? Pour le comprendre, j’ai mené une enquête en 2019 auprès d’un large groupe d’émigrants néerlandais et flamands. Une des questions concernait les blagues ou stéréotypes que l’on pouvait entendre dans leur pays d’accueil sur les Néerlandais et les Flamands.
Les réponses provenant du monde anglophone étaient plutôt uniformes et conformes aux clichés, confirmant le tableau brossé dans les dictionnaires: le trait caractéristique majeur des Néerlandais est la radinerie. D’autres particularités souvent nommées sont le franc-parler, l’impolitesse et l’arrogance. Ce franc-parler est d’ailleurs aussi vu comme un aspect positif: «You know where you’re at with the Dutch. They can be bloody rude, but they speak their mind.» En Nouvelle-Zélande, on dit cependant: «Dutch are too honest to be polite. Kiwis are too polite to be honest.»
Il existe néanmoins de nettes différences au sein du monde anglo-saxon. En Australie, par exemple, les immigrants néerlandais sont appelés ironiquement clog wogs –une rime entre clog (sabot) et wog (étranger, immigrant). Dans ce même pays, on fait des jeux de mots sur le terme dike («digue»), qui signifie aussi «WC» en anglais australien, prêtant ainsi un double sens à la phrase «He put his finger in the dike», en référence au livre pour enfants sur le personnage Hans Brinker, qui empêche une inondation en bouchant une digue avec son doigt. On dit aussi, jouant sur ce même double sens, que les Néerlandais nagent dans les dikes.
Au Canada, l’entêtement supposé des Néerlandais et leur association aux sabots a donné lieu à des jeux de mots originaux: «Those Dutch with their wooden shoes, wooden bridges and wooden houses. The problem with them is that they wouldn’t listen» et «Wooden shoes, wooden head, wouldn’t/wooden listen».
En Grande-Bretagne circule cette devinette: «Quel est le point commun entre un Hollandais intelligent et Dieu?» Réponse: «Personne n’a jamais vu l’un ni l’autre.» Et en Irlande, on dit que «si les Néerlandais vivaient en Irlande, ils seraient tous millionnaires; si les Irlandais vivaient aux Pays-Bas, ils se noieraient tous» –en référence à la radinerie et à la grande taille des Néerlandais.
Hollandais et flamand
En dehors du monde anglo-saxon, les Néerlandais ont laissé beaucoup moins de traces linguistiques. Dans des dictionnaires d’autres langues, il ne se trouve presque pas d’expressions contenant «néerlandais», «hollandais» ou «flamand». En revanche, les mots «hollandais» et «flamand» (mais pas «néerlandais», de ce que j’ai pu voir) ont parfois acquis une signification spécifique pour qualifier un objet ou un animal qui avait, à l’origine du moins, un lien particulier avec les Plats Pays. En français, par exemple, la «hollandaise» est une race bovine originaire des Pays-Bas, et «hollande» désigne un type de fromage, une fine toile de lin, un style de porcelaine, une variété de pomme et du papier vergé. Le fin tissu hollandais est aussi connu en anglais (holland), en espagnol et en portugais (holanda). En espagnol, holanda désigne aussi une eau-de-vie.
En allemand, Holländer désigne notamment une pile défileuse en papeterie, un type de fromage et une sorte de moulin à vent. En danois, hollænder désigne un bateau néerlandais, une pile défileuse, une sorte de pain et un type de fromage. En polonais, holender et holenderka désignent une race bovine et une race de poules, un certain type de patin, un moulin néerlandais, une pile défileuse et un type de tuile. En tchèque, holand est un papier fin, tandis que holanďanka, holandka désignent une race de poules. En russe, gollandka désigne une race de poules, une race bovine, un poêle en faïence, et qualifiait aussi autrefois le chou vert ou frisé et la chemise marinière, tandis que gollander désignait la fameuse pile défileuse.
Le mot «flamand» a aussi acquis une signification métaphorique dans certaines langues: en roumain, felendreş désigne un fin tissu de Flandre; en anglais, on appelle flanders la dentelle flamande et une race de cheval de trait belge; et en letton, flandrai est une race de lapin, le géant des Flandres.
La liste n’est certes pas exhaustive, et certains mots et significations sont vieillis ou ne sont connus que dans des dialectes, mais la trame est claire: «hollandais» et «flamand» font référence à des produits typiques de nos contrées, à savoir le fromage, les vaches, les poules et les draps.
Je n’ai pas trouvé d’expressions positives, mais j’en ai trouvé des négatives, et seulement en allemand et en argot russe. En allemand, nen Holländer machen signifie «partir en douce», durchgehen ou losgehen wie ein Holländer signifient «s’en aller» et «s’en tirer habilement», et en dialecte allemand, Flämsch signifie «antipathique, rude, grossier». En argot russe, nesti Gollandiju veut dire «débiter du blabla», ou plus précisément «raconter des hollanderies».
Économe, radin, avare et pingre
Les émigrants néerlandais et flamands rapportent que dans tous les pays étrangers, la radinerie hollandaise est sujette à plaisanterie. Cette image se retrouve en France, en Allemagne, en Grèce ou en Hongrie, mais aussi en Israël, au Maroc, en Turquie, en Afrique du Sud, en Argentine et au Brésil. Partout, on raconte des devinettes sur ces grigous de Hollandais. En voici quelques-unes des plus connues:
Comment le fil de cuivre est-il né? Quand deux Hollandais s’arrachaient une pièce de monnaie.
Comment faire entrer 20 Hollandais à l’arrière d’une voiture? En jetant 10 centimes dans le coffre.
À quoi remarque-t-on qu’on est aux Pays-Bas? Au papier toilette qui sèche aux cordes à linge.
Pourquoi les Néerlandais racontent-ils des blagues belges? Parce qu’elles sont bon marché.
Quand voit-on un Hollandais courir à toutes jambes? Quand une pièce d’un centime dévale la rue.
Pourquoi les Néerlandais ont-ils de si grandes narines? Parce que l’air est gratuit.
Par quoi commencent la plupart des recettes dans un livre de cuisine néerlandais? Empruntez un œuf.
Sur l’île suédoise de Tjörn, il existe ce dicton: det flyger inga måsar bakom Holländska båtar, c’est-à-dire «il ne vole jamais de mouettes derrière les bateaux néerlandais» (sous-entendu: parce qu’ils ne jettent jamais rien par-dessus bord). En Italie, on dit que le Hollandais a toujours les braccia corte (les bras courts), ce qui l’empêche d’atteindre son porte-monnaie. Et au Brésil, on raconte cette histoire d’une soirée où tout le monde –l’Américain, l’Écossais, le Français, etc.– apporte quelque chose. Le Néerlandais, lui, n’apporte pas de boisson ni de nourriture, mais… un invité supplémentaire.
On recense aussi beaucoup de blagues sur les libertés néerlandaises en matière de sexe et de drogue. Au Portugal, il existe cette devinette: «Quel est le point commun entre Amsterdam et le Tour de France? Plein de drogués à vélo.» Et les Néerlandais sont connus partout comme des «fromages»; en Espagne, on dit qu’ils doivent faire attention de ne pas fondre sous le soleil ibère.
Voilà pour les points communs. Mais il existe aussi des différences claires: dans certaines régions linguistiques, ce sont d’autres traits néerlandais qui sont mis en avant.
Manque de finesse
Les Français, qui comme on le sait attachent une grande importance à la cuisine raffinée et au style vestimentaire, sont choqués par la mauvaise cuisine néerlandaise, du fait que les Néerlandais emportent des vivres (ou plus précisément des pommes de terre) dans leur coffre ou leur caravane lorsqu’ils partent en vacances, et qu’ils portent des chaussettes dans leurs sandales. En Espagne et au Portugal, l’habitude néerlandaise de manger des tartines (au fromage) au déjeuner est évoquée avec effroi. Et en Suisse, on demande: «Connaissez-vous l’histoire de la cuisine néerlandaise? Non? Exactement.»
Conduite automobile et football
Le monde germanophone s’irrite principalement du style de conduite des Néerlandais. Beaucoup de blagues et de devinettes font référence à la couleur jaune des plaques d’immatriculation néerlandaises: «Quand reçoit-on une plaque jaune? Quand on a raté son permis trois fois.» Ou encore: «Si vous ratez votre permis une fois, vous recevez une plaque d’immatriculation jaune. Et si vous le ratez encore une fois, on accroche une caravane à votre voiture.»
Ces plaques minéralogiques jaunes sont légendaires en Espagne également, où on parle de lava amarilla, ou «lave jaune», c’est-à-dire le lent écoulement de ces plaques qui occupent les routes l’été et sont les seules à respecter les limitations de vitesse, embourbant ainsi la circulation.
Mais retournons en Allemagne, où l’on dit que devant chaque bouchon se trouve un Néerlandais tirant sa caravane, et que les Néerlandais roulent toujours sur la bande de gauche de l’autoroute, d’où la devinette «Que signifie NL?» Réponse: Nur Links, «seulement à gauche».
Dans les compétitions internationales de football, les Pays-Bas et l’Allemagne sont depuis toujours d’âpres rivaux qui s’inspirent une crainte mutuelle. Pour dompter cette crainte, toutes sortes de blagues sont inventées dans les deux pays. La défaite légendaire des Pays-Bas en 1974 a bien sûr apporté son lot de Schadenfreude en Allemagne. Ce qui donne des devinettes de ce genre: «Que fait un Néerlandais quand son équipe vient de gagner la coupe du monde? Il éteint la PlayStation et va dormir.» La similitude de couleur (orange) entre le maillot de l’équipe néerlandaise et les poubelles publiques de Berlin a inspiré au chanteur de schlager allemand Mickie Krause en 2008 la ritournelle Orange trägt nur die Müllabfuhr, soit «les oranges ne sont bons qu’à la collecte des déchets.»
Enfin, les Allemands plaisantent volontiers sur un des plus importants produits d’exportation néerlandais vers l’Allemagne, la tomate cultivée sous serre, qui est trop dure, trop pâle et surtout trop aqueuse, ce qui a donné lieu à la blague: «Quelle est la différence entre Jésus et un Hollandais?» Réponse: «Jésus a changé l’eau en vin, les Hollandais changent l’eau en tomates.» Et naturellement, la célèbre phrase –apocryphe– du poète allemand Heinrich Heine est souvent citée pour railler la supposée lenteur des Néerlandais: «Si la fin du monde arrive, allez aux Pays-Bas: tout arrive là-bas cinquante ans plus tard qu’ailleurs.»
Une maladie de la gorge
Dans les langues scandinaves, ce sont surtout les sonorités du néerlandais qui retiennent l’attention. Des plaisanteries de toutes sortes sont faites sur l’abondance de sons g et r. Le néerlandais sonnerait comme une maladie de la gorge, et est imité à base de chagachagocho, si bien que l’on dit: «Non, je ne suis pas possédé par le démon, je parle juste un mauvais néerlandais.»
Au Danemark, il existe depuis 2004 une émission de télévision satirique très populaire appelée Drengene fra Angora (les garçons d’Angora), qui contient notamment des sketchs mettant en scène une équipe de cyclistes amateurs, Team Easy On. Un de ces coureurs est Pim de Keysergracht, qui ne parle pas danois mais anglais, avec un g très guttural –auquel son nom se prête bien. Il incarne tous les préjugés sur les Néerlandais: il a grandi dans le quartier des Wallen à Amsterdam, sa mère est prostituée, il a des cheveux bleus, est bisexuel, se dope et consomme de la drogue. C’est à Pim de Keysergracht que les touristes néerlandais au Danemark doivent la caricature du cyclotouriste fumeur d’herbe.
Bon enfant
Ces exemples montrent qu’il n’existe pas une image uniforme des Pays-Bas et du néerlandais à l’étranger. Seule l’avarice néerlandaise fait l’unanimité. Si l’image varie selon les langues, c’est bien sûr parce que les particularités néerlandaises sont jugées de façons diverses dans différents pays: dans les pays de bons vivants comme la France, c’est la cuisine néerlandaise qui détonne; dans un pays comme l’Allemagne, où l’on fonce sur l’autoroute, c’est le style de conduite des Néerlandais qui fait se lever les yeux. En fait, ces blagues et stéréotypes en disent plus sur les autres pays que sur les Pays-Bas.
Les expressions positives sont très minoritaires, mais les remarques négatives ne sont rien de plus que des taquineries bon enfant, qui se combinent d’ailleurs parfois à une admiration pour l’efficacité et le travail acharné des Néerlandais. Ainsi, un immigrant néerlandais au Danemark rapporte qu’il se dit là-bas que les Néerlandais ne dorment jamais, ou qu’ils vont se coucher avec leurs sabots (!) pour ne pas avoir à s’habiller et pouvoir travailler encore plus.
L’image des Belges s’avère moins mauvaise que celle des Néerlandais. L’on a ainsi entendu dire en Autriche: «Avec un Belge, c’est main dans la main; avec un Hollandais, c’est rien dans la main.» Et en Suède, un émigrant a entendu cette devinette – qui n’est du reste pas originale: «Quelle est la différence entre les Néerlandais et les Belges?» Réponse : «Réunissez deux Belges et vous aurez une fête. Réunissez deux Hollandais, vous aurez un groupe de travail.»