La collection Robert van Gulik: édit impérial, imprimés érotiques et autres chinoiseries
Garrelt Verhoeven est le conservateur en chef des Collections particulières auprès des Bibliothèques universitaires de Leyde, internationalement réputées pour leurs précieux manuscrits et ouvrages imprimés anciens. La rédaction lui a demandé de présenter une collection particulière que le public a rarement l’occasion de voir. Cette fois-ci, Verhoeven décrit l’héritage remarquable du célèbre diplomate, sinologue et romancier leydois Robert van Gulik.
Pour la plupart des gens, le nom de Robert van Gulik (1910-1967) est indissociablement lié à la série de romans policiers ayant comme protagoniste la figure historique du Juge Ti. Tout au fond du dépôt de la bibliothèque, le conservateur Marc Gilbert me montre le livre à l’origine de la fascination de Van Gulik: Dee Goong An, sa traduction (de la moitié) d’un roman policier chinois du XVIIIe siècle sur le juge de l’époque de la dynastie Tang. Le livre fut publié à Tokyo en 1949, avec des illustrations et la couverture conçues par Van Gulik, qui s’est immédiatement passionné pour les récits policiers historiques. Dans les années 1950 et 1960, il écrivit lui-même toute une série de nouveaux récits ayant comme personnage principal le Juge Ti, qui bénéficient d’une grande popularité dans le monde entier.
© Wikimedia Commons / Collectie Universitaire Bibliotheken Leiden
Moins connu est probablement le fait que dans sa courte vie, Van Gulik réussit à assembler une collection phénoménale consacrée à l’histoire, la langue et la culture chinoises en s’attachant tout particulièrement à la musique et à la littérature populaires. À côté de son travail de diplomate en Chine et dans d’autres pays asiatiques, il était un collectionneur acharné de manuscrits et de livres qui reflètent le large éventail de ses domaines d’intérêt. Il s’intéressait aux éditions et manuscrits rarissimes, mais aussi plus spécialement à la calligraphie et aux estampes, ainsi qu’à la gastronomie et à l’érotisme. Aussi sa collection comprend-elle des livres de recettes remarquables et un rarissime recueil de scènes érotiques publié à quelques exemplaires seulement par Van Gulik même à Tokyo (1951).
© Archives familiales Van Gulik, Leyden
Étant donné le contenu aguichant, ce recueil se trouvait dans le locked shelf, l’enfer de l’Institut de sinologie de Leyde, qui avait acquis en 1977 la bibliothèque de Van Gulik après sa mort prématurée en 1967. Actuellement, la collection est conservée avec le plus grand respect et soin au sein des Bibliothèques universitaires de Leyde, où elle constitue le cœur des collections chinoises servant de base pour l’enseignement et les recherches sinologiques à l’université.
© Collectie Universitaire Bibliotheken Leiden
Ces collections se sont enrichies et étendues à de nouveaux domaines jusqu’à nos jours. Ainsi le professeur Maghiel van Crevel a-t-il fait don, en 2006, de sa collection de revues poétiques de la Chine à l’époque de la République populaire. Cette collection unique, qu’il avait amassée en travaillant sur le terrain à partir de 1991, comprend des publications officieuses depuis la Révolution culturelle (1978). Dite UnPo, il s’agit d’une collection «vivante» encore aujourd’hui constamment complétée.
La meilleure preuve de la vitalité des collections chinoises est la récente acquisition d’un édit impérial de la dynastie Ming ayant fait partie jadis de la collection de Robert van Gulik. Il a pu être acquis lors d’une vente publique à Hong Kong grâce à l’aide généreuse que le fonds privé Rombouts a apporté au fonds universitaire de Leyde. L’initiateur du fonds, Piet Rombouts, travaille lui-même en tant que bénévole dans notre bibliothèque et a traduit il y a quelques années la deuxième moitié de Dee Goong An, parachevant de la sorte la traduction de Robert van Gulik de 1949.
Le Juge Ti continue à vivre, tout comme les collections que nous devons à son père spirituel.