Dix-huit jeunes écrivain·es de Flandre et des Pays-Bas donnent la parole à un objet du XIXe siècle exposé au Rijksmuseum. Ils et elles ont écrit une histoire en se posant la question suivante: que voit-on lorsqu’on regarde ces objets dans la perspective d’une catastrophe imminente? Mahat Arab a écrit un poème en s’inspirant de la statue Deux chevaliers se battant, connue sous le nom de «Mort de Monseigneur le Duc de Clarence». «ils en font un martyr/et le réduiront au silence s’il proteste.»
© Collection Rijksmuseum, Amsterdam
Les hommes
ce n’est pas l’image d’avant
c’est l’image qu’alors on se faisait d’avant
quand s’approcher ne pouvait signifier qu’un choc
du moins
pour ces garçons
la parole de leur roi était de poids
aussi se percuteraient-ils
et se percutèrent-ils
et quand
par pur hasard
il
s’écroulerait et essuierait à nouveau la boue sur son visage
lèverait les yeux pour la dernière fois
empalé de part en part et piétiné
se demanderait
pourquoi s’approcher ne pouvait signifier qu’un choc
seul le silence aurait pitié de lui
jusqu’à ce que les garçons d’alors
en culotte courte et haut-de-forme
le ressuscitent
mais ils en font autre chose que ce qu’il est
lui collent sur le dos une mort héroïque
celle qu’ils attendent avec impatience
celle dont ils se tourmentent les uns les autres
comme la vie était simple, avancent-ils
quand un homme pouvait encore simplement être un homme
et cuirassé et armé chercher à s’approcher
faire ses preuves au combat
pour enfin satisfait fermer les yeux une dernière fois
ils en font un martyr
et le réduiront au silence s’il proteste
et quand le garçon d’aujourd’hui se lèvera
ses yeux encore brûlants de l’écran derrière lequel il s’est bâti un monde
un monde où il dicte quand les oiseaux chantent quand les jours finissent et où la moindre brise est soumise au clic de sa souris
dehors il ne saura pas lire entre les lignes
il a essayé se dira-t-il
mais il écorce chaque approche de sa cuirasse
il n’atteindra jamais son essence
car il est sûr de ce que doit être un homme
les garçons d’avant et les garçons de maintenant l’ont tourmenté avec ça
entraîné avec eux dans un abîme où
seul le silence aura le droit d’avoir pitié de lui
et si
uniquement mû par le désespoir
il tend tout de même une fois la main
ils lui répondront
par un choc