Mammouths, baleines et autres spécimens. Fossiles de Flandre et des Pays-Bas
À l’heure où le réchauffement climatique suscite de grandes inquiétudes, il est fascinant de se plonger dans le passé géologique de la Flandre et des Pays-Bas. Qui voudrait participer à cette passionnante recherche de fossiles?
Il
y a près de 66 millions d’années, une vaste mer engloutissait les
Plats Pays. Les températures étaient comparables à celles des
Antilles aujourd’hui. Les mosasaures, de bien singuliers lézards
pouvant atteindre jusqu’à dix-huit mètres de longueur, peuplaient
alors ces eaux chaudes et peu profondes. Ces territoires connurent
également à plusieurs reprises de longues périodes glaciaires.
Vers
-20 000 avant notre ère, l’une d’entre elles provoqua un
abaissement du niveau marin, laissant ainsi de larges parties de
terre découvertes appelées Doggerland,
permettant le passage de troupeaux d’animaux (rennes,
aurochs, rhinocéros et mammouths laineux)
«les pieds au sec» du continent jusqu’en Grande-Bretagne. Les
changements climatiques successifs et la montée ou l’abaissement
des eaux qui s’ensuivirent ont ainsi permis à une faune
extrêmement riche de se développer.
À
leur mort, les animaux marins et terrestres ont été recouverts par
des alluvions. Avec le temps, les restes (dents, ossements), protégés
par des couches sédimentaires, ont refait surface au gré des
courants marins ou d’interventions humaines faisant le bonheur de
paléontologues en herbe ou de chercheurs qui récoltent de nos jours
de magnifiques trouvailles le long des plages de Zélande, dans les
champs fraîchement labourés de la Drenthe ou dans les carrières de
craie du Limbourg.
Bain de boue
Dans
les environs du village brabançon de Langenboom, du sable vert,
composé
de glauconites, s’est déposé par couches successives entre 30 et
3 millions d’années dans une mer d’environ cinquante mètres de
profondeur. Dans les années 2000, ce sable était aspiré
à près de vingt mètres sous le sol et pulvérisé dans de larges
bassins afin d’être récupéré pour la construction de talus
d’autoroutes néerlandaises. Les collectionneurs munis de tamis et
équipés de cuissardes se positionnaient au niveau d’un tuyau qui
rejetait cette matière liquide en continu, ravis de patauger dans ce
réservoir de boue pour dénicher des fossiles datant du
miocène et du pliocène,
en particulier des dents de requins. Les paléontologues y ont
identifié un nombre incroyable d’espèces extrêmement variées:
non seulement des raies, des baleines, des dauphins, des phoques, des
morses et des coquillages mais aussi des oiseaux (fous de Bassan,
oies, albatros, canards), des ours et des cerfs. Une molaire de
chalicotherium
datant de seize millions d’années y a également été trouvée.
Il
s’agit d’un étrange mammifère terrestre herbivore désormais
disparu dont la tête ressemblait à celle d’un âne ou d’un
cheval, et dont la démarche semble avoir été similaire à celle
des gorilles. Pouvant atteindre jusqu’à trois mètres de hauteur,
cet animal était doté de longs membres antérieurs dont les griffes
acérées lui permettaient d’attraper des branches et de les porter
à sa bouche pour déguster des fruits et des feuilles.
Chaluter dans des
cimetières d’os
Les
bateaux de pêche qui sillonnent la mer du Nord capturent dans leurs
filets de bien étonnantes prises, en particulier des restes de
mammifères éteints du pléistocène, plus particulièrement dans
une zone que les Néerlandais et les Flamands appellent le Bruine
Bank (Brown Ridge en anglais). La mer du Nord constitue,
avec la province russe de Sibérie, le réservoir le plus riche en
fossiles de mammouths au monde. Des quantités d’os et de défenses
sont exposées et stockées dans des musées tels que Naturalis
à Leyde, le musée d’Histoire naturelle à Rotterdam ou le musée
d’Histoire naturelle de Bruxelles.
Une rare mâchoire
de tigre à dents de sabre datant de -28.000 ans a également été
repêchée par des marins qui, désormais conscients de l’importance
des fossiles, confient les pièces aux institutions scientifiques,
voire les monnaient aux plus offrants. Des paléontologues amateurs
néerlandais, tel Dick Mol, également connu sous le nom de «Sir
Mammoth», se sont forgé une sacrée réputation à l’échelle
mondiale dans l’étude des os de mammouths recueillis dans la mer
du Nord. En 2001, c’est de nouveau un paléontologue amateur qui
fit parler de lui. Luc Anthonis fit la prodigieuse découverte dans
la région de Yerseke en Zélande d’un morceau de crâne (partie de
l’arcade sourcilière) d’un néanderthalien alors qu’il
tamisait du gros sable. L’analyse de ce bout d’os, désormais
exposé au musée national de l’Antiquité à Leyde, a permis de
déterminer qu’il aurait appartenu à un jeune homme, un
néandertalien, ayant vécu dans les steppes du Doggerland
sans doute entre -100 000 et – 40 000 ans. Archéologues et
paléontologues poursuivent ce rêve de découvrir d’autres restes
humains de néanderthaliens ou des premiers Homo sapiens ayant habité
aux Pays-Bas. Les ossements de ces grands ancêtres n’ont en effet
été exhumés qu’une unique fois aux Pays-Bas.
Des fossiles à
foison du «Maasvlakte» à Zeebruges
Le
Maasvlakte
est une extension sur la mer du port de Rotterdam. Le site a été
aménagé en pulvérisant du sable provenant de divers sites
d’extraction de la mer du Nord. Les plages du Maasvlakte
sont librement accessibles au public qui a ainsi l’opportunité de
récolter des fossiles datant de 2,5 millions d’années pour les
plus anciens à près de 12 000 ans pour les plus récents. Au-delà
de ces interventions humaines qui permettent de faire ressurgir des
fossiles, les courants océaniques déplacent également des
gisements situés au large de la côte et les déposent sur les
plages de Flandre et des Pays-Bas (dents de requins, molaires de
rhinocéros laineux). En Zélande, non loin de la centrale nucléaire
de Borssele, la plage De
Kaloot
est
réputée pour ses dépôts géologiques variés.
Les
ostréiculteurs, notamment ceux de Zierikzee, s’aventurent une fois
par an dans les eaux de la Westerschelde
et de l’Oosterschelde,
accompagnés
d’amateurs et de chercheurs du musée Naturalis
pour chaluter des spécimens de la fameuse «faune d’os noirs»
(mammouths, mastodontes). La tradition veut que cette joyeuse
équipée trinque avec un verre de genièvre dès le premier os
remonté. La
plage de Cadzand en Flandre zélandaise est célèbre pour être la
plage la plus riche en dents de requins des Pays-Bas. Ces dents
datent de l’oligocène (34 à 23 millions d’années), du miocène (il
y a 23 à 5,3 millions d’années) et du pliocène (il y a 5,3 à 1,8
millions d’années). De grandes dents de requins, notamment du
Megaselachus megalodon et du Carcharodon carcharias (grand requin
blanc), pouvant atteindre jusqu’à 5 centimètres de hauteur, y ont
régulièrement été découvertes. Ce site présente également la
particularité d’être abondamment pourvu en coques (Zwinkokkels)
et en crabes (Coeloma
balticum)
fossiles. Les
côtes de Flandre ne sont pas en reste. Le port d’Anvers, en
particulier près de la zone industrielle de Doel, où les gisements
de fossiles sont tout aussi impressionnants. Au XIXe
siècle, le paléontologue et zoologue Pierre Joseph Van Beneden a
étudié méticuleusement des os de baleine fossiles découverts
lors de la construction de forts autour d’Anvers et a publié avec
le Français Paul Gervais ses résultats dans un ouvrage intitulé
Ostéographie
des cétacés vivants et fossiles.
Le Natuurhistorisch
Museum Boekenberg
à Deurne (près d’Anvers) regroupe de magnifiques collections de
fossiles anversois.
En explorant la côte flamande, les plus chanceux pourront recueillir
sur la plage de Knokke-Heist, à quelques encablures de Cadzand, des
dents de requins et de raies. Le canal Het
Scheur
au large de Zeebruges semble avoir abrité il y a -110 000 à -12 000
ans une colonie de morses d’une centaine d’individus.
Le
vol du crâne du «mosasaure»
En
1766 puis en 1780, des carriers qui travaillaient dans une carrière
de craie dans le massif de la montagne-Saint-Pierre près de
Maastricht dans le Limbourg néerlandais, découvrirent incrustées
dans la roche de monstrueuses mâchoires fossiles garnies de dents
acérées. Ils venaient de mettre à jour un crâne de ce qui fut
dénommé par la suite par les scientifiques le «mosasaure».
En
1794, le général Jean-Baptiste Kléber mit en ordre de marche
l’armée révolutionnaire française vers la capitale limbourgeoise
qui capitula le 4 novembre. Après que des indicateurs eurent mis au
courant le général de l’existence du précieux fossile, celui-ci
fit appel au géologue Barthélemy Faujas de Saint-Fond pour
expertiser l’étrange animal. Persuadés qu’il s’agissait là
d’une découverte essentielle, les Français s’approprièrent cet
inestimable trésor qui fut transporté au musée d’Histoire
naturelle à Paris. L’anatomiste Georges Cuvier examina la
mâchoire. Ses recherches confirmèrent que les os et les dents ne
pouvaient pas provenir d’un crocodile, d’un cétacé ou d’un
poisson. À partir de ses observations, il conclut qu’il devait
sans doute avoir affaire à un type particulier de reptile saurien.
Mais surtout, le savant français prit conscience grâce à ce
fossile que des espèces animales s’étaient très certainement
définitivement éteintes à la suite d’un grand cataclysme. Un
crâne en provenance des Pays-Bas donna ainsi l’occasion à la
recherche française d’être à l’origine de l’une des
découvertes majeures de la paléontologie. Au XXe siècle,
des recherches plus pointues permirent de déterminer que les
strates de craie où le mosasaure avait été
mis au jour correspondaient à un étage stratigraphique du crétacé,
le dernier, compris entre -72 et -66 millions d’années, qui fut
appelé maastrichtien en l’honneur de la cité limbourgeoise. Cet
étage est devenu mythique depuis que les savants ont découvert
qu’il correspond à la période à la fin de laquelle les
dinosaures non aviens se sont éteints sans doute à cause d’une
gigantesque météorite qui se serait fracassée contre la terre au
Mexique.
Le paléontologue néerlandais Jan Smit attaché à la Vrije Universiteit Amsterdam de 2003 à 2013 a réalisé d’importants travaux – en particulier sa thèse intitulée A Catastrophic Event at the Cretaceous-Tertiary Boundary – pour valider cette théorie.
Les autorités néerlandaises s’insurgèrent contre cette acquisition illégale du mosasaure par la France et réclamèrent deux siècles durant par voie diplomatique le retour du crâne en sa patrie d’origine. Sans succès jusqu’à nos jours.
Dans le Limbourg
d’autres fossiles encore plus anciens sont mis au jour dans les
anciennes mines de charbon, plus particulièrement à Eygelshoven et
Brunssum. Ils datent de la période géologique du dévonien (450-350
millions d’années) et du carbonifère (250-300 millions d’années).
Incrustés dans des schistes houillers, les spécimens les plus
courants sont des plantes (écorces d’arbres, fougères) et des
trilobites, parfois drainés également par les eaux de la Meuse.
Entre Haren et Groningue, des blocs erratiques (zwerfstenen)
datant de près de 500 millions d’années, transportés par
d’anciens glaciers qui recouvraient en partie les Pays-Bas,
contiennent des coraux et des trilobites.
Le musée Teyler
à Haarlem
Le
musée Teyler, le premier et le plus ancien musée des Pays-Bas,
fondé en 1784, doit son existence à Pieter Teyler van der Hulst
(1702-1778), riche fabricant de textile (lin et soie) et banquier. Le musée ne vit pas le jour de son vivant, mais il fut réalisé par ses amis
qui se chargèrent d’exécuter son testament qui stipulait que la
fortune du défunt devait servir à fonder un institut de
connaissances et d’enseignement. Plusieurs
sections et cabinets furent fondés au sein d’un élégant bâtiment
dans le centre de la ville d’Haarlem qui abrite toujours depuis la
naissance du musée des collections d’art, d’instruments et de
machines scientifiques (pile à colonne de Volta, chambre de
combustion, machine électrostatique) ainsi qu’une magnifique et
vaste collection de minéraux et de fossiles réunie notamment par le
naturaliste Martin van Marum.
Le
cabinet de paléontologie se compose de plus de 22 000 pièces, dont
beaucoup sont considérées comme des objets de premier plan: des
fossiles extraits de la montagne Saint-Pierre dont un exemplaire de
crâne de mosasaure, le fameux crâne de mammouth exhumé à Heukelum
à une trentaine de kilomètres d’Utrecht, des fossiles provenant
des montagnes d’ardoise du Bade-Wurtemberg et des roches calcaires
de Bavière. En 1839, le paléontologue Jacob van Breda acheta pour
le compte du musée un archéoptéryx connu sous le nom De
Haarlem.
Le musée possède également une collection de fossiles découverts
dans le gisement de Tegelen, près de Venlo. Cette collection est
étroitement liée à l’anthropologue et anatomiste néerlandais
Eugène Dubois (1858-1940) dont l’épouse était la fille du
propriétaire de la carrière et qui acquit des fossiles pour les
offrir au musée. Dubois s’est rendu célèbre en découvrant en
1891 aux Indes néerlandaises les restes de l’Homme de Java ou
pithécanthrope qui fait partie de l’espèce Homo
erectus.
Sa découverte a ainsi permis de mettre en évidence d’autres
chaînons d’hominidés hors d’Afrique. Ainsi Flandre et Pays-Bas
ont-ils largement contribué et de belle manière à l’histoire de
la paléontologie.