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Marcel Gromaire : l’élégance de la force

Marcel Gromaire demeure un illustre inconnu même aux yeux de bon nombre de connaisseurs en œuvres d’art. Pourtant, voilà que ‘La Piscine’ à Roubaix consacre une exposition à ce peintre du nord de la France, qui est plutôt difficile à cataloguer. Expressionniste ? Non, ou quand même ? Cubiste ? Pas vraiment. Futuriste ? Absolument pas. Mais alors, qui est-il et pourquoi vaut-il la peine d’aller visiter cette rétrospective ?

Marcel Gromaire est né en 1892 à Noyelles-sur-Sambre, un petit village entre Le Cateau-Cambrésis et Maubeuge. Mais bien vite, il ne put résister à l’attraction de la vie parisienne. Adolescent encore, il passait beaucoup de temps dans les ateliers d’artistes à Montparnasse. Il abandonna d’ailleurs assez vite ses études académiques pour se concentrer entièrement sur la peinture. Il a subi l’influence de Cézanne qui était lui-même un cas à part parmi les impressionnistes. La peinture du jeune Gromaire était très graphique et traitait des sujets caractéristiques du fauvisme.

Vers un ‘-isme’ adulte et unique

Gromaire n’a pas vraiment vécu un processus de maturation en tant qu’être humain et artiste. Mobilisé à la déclaration de guerre de la Première Guerre mondiale, il survécut six ans dans l’armée. Il fut blessé à la bataille de la Somme et c’est là, plongé dans la misère, qu’il apprit à connaître la vraie vie. Son univers étriqué s’étendit cependant sur toutes les classes sociales et il n’est pas si étonnant qu’il se soit tourné après la guerre vers l’antifascisme et l’anticolonialisme. Il a d’ailleurs exprimé ces convictions dans deux de ses chefs-d’œuvre, La Guerre
et L’Abolition de l’esclavage.

La puissance de ses traits de pinceau et la composition géométrique soulignent ses convictions d’humaniste. Son art est expressif, simple et comporte un soupçon du cubisme dans la volonté d’accentuer l’essentiel.

Ses figures massives sont clairement ordonnées, sculpturales et souvent peu voilées. On dirait presque des statues qui dominent la toile. Tous les détails sont escamotés et les archétypes sociaux qu’il crée naissent surtout de l’éclairage et d’une palette de couleurs restreinte. Ces archétypes sont caractéristiques pour l’entre-deux-guerres : ouvriers, scènes de rue, buveurs, sportifs, fêtards, scènes de vacances. Bref, les petits plaisirs, la vie de tous les jours, la vie des gens dans leur existence quotidienne, influencée par la politique et la société. Gromaire a peint aussi de nombreux portraits de membres de sa famille ou de connaissances, mais il consacre une grande partie de son œuvre au nu féminin. Peindre les femmes était pour lui une sorte de rite.

Gromaire a été influencé par la forme pure et expressive de l’art africain, caractérisé par une forme de grandeur et d’élégance. Les femmes de Gromaire sont charnelles, sensuelles, sans modestie. Elles se font remarquer dans des scènes de rue ou des paysages. Pour lui, ce sont des représentations de la femme idéale, d’une élégance robuste.

Son but n’est certes pas de flatter, mais de rendre la réalité vécue à travers ses propres lunettes. Et ces lunettes sont teintées par sa jeunesse dans le nord de la France. En première instance, comme il le dit lui-même, par « la magnifique lumière », mais aussi par les scènes de son enfance : de paysans, des barges, sa maison familiale Renault-Folie… Peut-être le lecteur a-t-il déjà tiré lui-même cette conclusion, mais le style de Gromaire est en fait ce genre d’expressionnisme qui se rapproche de Constant Permeke.

Gromaire n’a pas été dépourvu de chance dans sa vie. Bien que l’époque des mécènes fût révolue depuis longtemps, il a trouvé un allié fidèle dans la personne du docteur Girardin. Cet ami et négociant donna carte blanche à Gromaire pour évoluer et expérimenter. En échange, le peintre lui accorda les droits exclusifs sur son œuvre pendant six ans. Le peintre en tira un énorme encouragement et une base solide pour exposer ses œuvres à Paris. Gromaire eut du mal à tenir le rythme des commandes qui ne cessaient d’affluer. Il fut, par exemple, responsable de plusieurs toiles monumentales pour l’Exposition universelle de Paris en 1937 et plus tard, son style unique et particulier inspira la célèbre manufacture de tapis d’Aubusson, lui rendant ainsi une nouvelle vie. Il obtint de nombreuses récompenses et remporta plusieurs prix nationaux et internationaux tels que le Prix Guggenheim national, le Grand Prix national des Arts et le Prix Carnegie, et il devint professeur d’Art mural. Grâce à ses voyages outre-mer à New York, sa thématique s’élargit encore avec des paysages urbains et de l’architecture, mais il demeura toujours fidèle à son propre style, sans concessions aux évolutions au sein de l’expressionnisme ou du cubisme.

Rétrospective

Mais pourquoi soudain une exposition consacrée à cet artiste ? La réponse est double. D’une part, il y aura le 150^ème anniversaire de sa naissance en 2022, mais le motif le plus important est qu’une des petites-filles de Marcel Gromaire a fait don de sa collection personnelle au musée en 2017. Elle contient tout un ensemble de notes, de croquis préparatoires et pas moins de 163 gravures.

La base de cette superbe exposition a été établie grâce au soutien de la Galerie de la Présidence et du Musée d’Art moderne à Paris. Ce dernier s’était vu léguer en 1953 la totalité de la collection privée du docteur Girardin, comprenant des aquarelles et pas moins de 78 peintures à l’huile. L’exposition se fait aussi en collaboration avec les musées d’Honfleur et de Sète qui avaient déjà organisé une exposition consacrée à l’œuvre de Gromaire en 2019.

L’exposition propose un bel aperçu de l’ensemble de l’œuvre de Gromaire. Le visiteur peut notamment constater combien le peintre est demeuré fidèle à son propre style tandis que d’autres artistes et courants artistiques affluaient et disparaissaient. Beaucoup d’entre eux ont subi son influence, mais l’exposition révèle aussi où le peintre a puisé sa propre inspiration. Pour plus de clarté, le parcours des visiteurs est subdivisé par thème selon les préférences du peintre : l’industrie et la vie à la campagne, les paysages et le nu féminin. En outre, les différentes formes artistiques comme les tableaux, les gravures et les dessins ont été réparties dans des sections séparées. Pour préparer tant soit peu sa visite à l’exposition, il peut être utile de regarder les différentes vidéos sur le canal YouTube de La Piscine.

La rétrospective à la Piscine est ouverte jusqu’au 20 septembre 2020. Elle montre le côté unique de cet artiste, fournissant la preuve indiscutable de son talent exceptionnel.

La réservation est conseillée mais elle n’est plus obligatoire.

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