Maria en couleurs et autres photographies singulières
Les bibliothèques universitaires regorgent de trésors souvent inconnus des visiteurs: des collections exceptionnelles ou rarement mises à la disposition du public. Nous avons demandé à Garrelt Verhoeven, conservateur en chef des Collections particulières auprès des Bibliothèques universitaires de Leyde, internationalement réputées pour leurs précieux manuscrits et ouvrages imprimés anciens, de présenter l’une d’entre elles. Dans cet article, Verhoeven décrit quelques collections photographiques uniques de l’université.
© Collectie Universitaire Bibliotheken Leiden, inv. nr. PK-F-64.20
D’un regard ferme et confiant, elle fixe l’objectif du photographe. Ses yeux bruns percent dans son visage de jeune fille aux joues joufflues et rouges. Elle a mis sa plus jolie jupe de soie verte, ornée de broderie de fil d’or qui contraste agréablement avec sa peau blanche. Elle porte un chapeau plat de la même couleur ainsi qu’une écharpe blanche sur sa longue chevelure roussâtre recouvrant ses épaules. Elle a les mains accrochées au siège pour se tenir droite comme un i et immobile sur la chaise.
Le photographe était son père, Berend Zweers. Au début du XXe siècle, à Haarlem, celui-ci procédait à des expérimentations avec de nouvelles techniques visant à utiliser la couleur dans la photographie telles que l’autochrome (inventée en 1903 par les frères Lumière) et l’épreuve trichrome au charbon. Comme sujet pour ses expérimentations photographiques, Zweers faisait souvent appel à sa fille de douze ans Maria Wilhelmina, l’unique enfant qu’il avait eu de son mariage avec Maria ten Pierik. Son père l’a affectueusement pérennisée dans des couleurs conformes à la réalité lorsque le reste du monde était encore noir/blanc.
Le photographe néerlandais Berend Zweers (1872-1946) était l’un des principaux représentants du picturalisme, courant où la photographie se manifestait comme une forme artistique autonome dans les années 1890-1910. Les picturalistes cherchaient à reproduire dans leurs œuvres photographiques l’expression artistique telle qu’elle se présentait dans les arts graphique et pictural. Ils expérimentaient avec la technique photographique et s’efforçaient d’obtenir un effet impressionniste grâce à une image imprécise ou floue. Le picturalisme néerlandais a fait florès dans les premières décennies du XXe siècle grâce à d’importants photographes tels que Henri Berssenbrugge, Bernard Eilers et Ernst Loeb. En 1908, le Musée municipal d’Amsterdam a consacré pour la première fois une grande exposition internationale à ce courant artistique photographique.
© Collectie Universitaire Bibliotheken Leiden, inv. nr. PK-F-G.491
Le picturalisme constitue un des éléments essentiels au sein des collections photographiques des Bibliothèques universitaires de Leyde. À côté de l’histoire de la technique (avec les premières épreuves de pionniers de la photographie tels que William Fox Talbot, Nicéphore Niépce et Sir John Herschel) et de la grande collection de photographies documentaires (avec des œuvres notamment de la photographe Emmy Andriesse), c’est la photographie en tant que forme artistique autonome qui sert de fil rouge aux collections. Un fil qui se poursuit jusqu’à nos jours grâce à la conservatrice Maartje van den Heuvel, qui suit d’un œil perçant les évolutions actuelles et enrichit les collections avec des œuvres de photographes contemporains.
La collection photographique des Bibliothèques universitaires de Leyde montre, plus qu'aucune autre, l'histoire de la photographie néerlandaise en la situant dans un vaste contexte international
J’ai été agréablement surpris en découvrant que les Collections particulières des Bibliothèques universitaires de Leyde comportent une collection photographique à ce point merveilleuse. Riche de plusieurs dizaines de milliers de daguerréotypes, d’épreuves photographiques de toutes sortes et dimensions, de négatifs de verre et d’albums, mais également d’un nombre considérable de caméras historiques avec accessoires, elle est la collection photographique la plus ancienne des Plats Pays, qui s’est constituée organiquement au sein d’anciennes collections privées. Plus qu’aucune autre, elle montre l’histoire de la photographie néerlandaise en la situant dans un vaste contexte international. Une partie importante provient de l’ancien Cabinet des estampes de Leyde, où on collectionnait depuis 1953 déjà des photos historiques.
© Collectie Universitaire Bibliotheken Leiden, inv. nr. PK-F-64.24
Depuis son incorporation aux Bibliothèques universitaires, cette collection a été fusionnée et mise en relation avec d’autres collections de photos de l’université telles que la collection de l’Institut KERN sur l’Asie du Sud et l’Himalaya, la collection photographique déconcertante de Frank Scholten qui a photographié en Palestine dans les années 1920, la collection photographique du Musée historique académique amstellodamois, qui montre la vie estudiantine historique, ainsi que les imposantes collections du Koninklijk Instituut voor Taal- Land- en Volkenkunde (KITLV – Institut royal de philologie, de géographie et d’ethnologie) avec des photos des anciens territoires néerlandais en Indonésie et dans les Caraïbes.
Avec ses considérables collections de graphique et de photographie, les Bibliothèques universitaires de Leyde ne constituent donc pas uniquement un temple de la parole écrite et imprimée mais également de la représentation historique. Voilà suffisamment de raisons pour envisager de visiter Leyde. Et pour celles et ceux qui ne seraient pas en mesure de s’y rendre, sachez que plus de 45 000 éléments des collections photographiques ont entretemps été digitalisés, ce qui permet d’étudier via l’internet le magnifique portrait autochrome de Maria Wilhelmina Zweers ainsi que d’autres œuvres de son père et de centaines d’autres pionniers et artistes de la photographie.