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histoire

Maximilien d’Autriche tenu à l’œil par des espionnes flamandes

Par Senne Starckx, traduit par Alice Mevis
3 mars 2023 5 min. temps de lecture

Mata Hari et Edith Cavell ne sont pas des figures isolées: d’illustres espionnes les ont précédées à la fin du Moyen Âge. Dans leur lutte contre le pouvoir habsbourgeois, les villes flamandes ont en effet eu recours à un vaste contingent d’espionnes et de messagères. C’est ce que nous dévoile une récente recherche d’archives.

Josine Hellebout est restée une parfaite inconnue tout au long de sa vie. En cela, elle a brillamment atteint ses objectifs. Cette femme originaire d’Ypres, qui a vécu dans la deuxième moitié du XVe siècle, était en effet une espionne qui opérait au-delà des lignes ennemies au service de sa ville, lors de la guerre menée par l’archiduc (et plus tard empereur) Maximilien d’Autriche contre une coalition rebelle de villes flamandes et brabançonnes. Celles-ci en avaient assez de l’ingérence et, surtout, des levées d’impôts imposées par les Habsbourg.

Hellebout exécuta pas moins de onze opérations d’infiltration durant cette révolte flamande qui a duré de juin 1488 à octobre 1489. À l’été 1489, elle voyagea par exemple à Dixmude et à Poperinge afin de récolter des informations sur les troupes autrichiennes qui y étaient stationnées. Comment le savons-nous? Parce que cela est écrit tel quel dans les comptes de la ville d’Ypres de l’époque. «Om maren te vernemene van de vianden», peut-on lire en moyen néerlandais (Pour recueillir des informations sur l’ennemi). Il est également fait mention du montant payé à l’espionne: environ onze pièces d’argent par mission, soit l’équivalent d’un demi-salaire pour un artisan qualifié à cette époque.

Hellebout était loin d’être la seule à partir espionner les troupes de Maximilien pour le compte de sa ville. Durant la révolte, les villes flamandes et brabançonnes rebelles firent appel à une petite armée de femmes pour tenir l’ennemi à l’œil, sonder les mouvements de troupes, ou encore distribuer une correspondance secrète entre les villes alliées. C’est ce qui ressort de la recherche effectuée par les historien∙nes Lisa Demets (UGent) et Jelle Haemers (KU Leuven). Cette recherche, qui a été publiée dans la version en ligne du Tijdschrift voor Geschiedenis (Revue d’histoire), montre que les villes flamandes faisaient systématiquement appel à des femmes, non seulement lors de la révolte flamande du 15e siècle, mais vraisemblablement aussi au cours d’autres conflits.

Lisa Demets et Jelle Haemers ont pu répertorier plus d’une centaine d’espionnes et de messagères

C’est principalement le caractère systématique de l’implication des femmes dans des missions de renseignements pour l’armée qui est neuf, et peut à ce titre être considéré comme une découverte historique. On note certes déjà quelques descriptions de femmes espions dans la littérature à la fois nationale et étrangère sur le Moyen Âge tardif en Europe, mais il s’agissait pour la plupart de cas sporadiques et isolés, parfois presque anecdotiques. Dans les archives de comptabilité de certaines villes flamandes telles que Bruges, Gand, Ypres et Courtrai, ou encore de villes du Brabant telles que Bruxelles, Louvain et Nivelles, Demets et Haemers ont pourtant pu répertorier plus d’une centaine d’espionnes et de messagères. Le fait que Gand arrive en tête avec environ quatre-vingts femmes n’est guère surprenant: la ville de la Lys était l’une des plus grandes villes européennes de l’époque et aussi l’une des plus contestataires lorsqu’il s’agissait d’ingérence provenant de l’extérieur.

Des Autrichiens affamés

Au cours de cette guerre de presque un an et demi, les femmes gantoises ont fait circuler des centaines de lettres entre leur ville et Bruxelles. C’est ce que révèlent les comptes de la ville de Gand. Ces femmes étaient ainsi responsables d’un quart de la correspondance entre les deux villes, car la majeure partie des messagers étaient des hommes. Quel était le but de cet échange d’informations entre villes? Collecter le plus de données possible sur l’ennemi puis, au moyen d’actions coordonnées, tenter de duper les troupes impériales. Un bon exemple de cette stratégie est l’intervention qui a mené à l’échec du siège de Gand par les Autrichiens, en juin et juillet 1488. Il est à nouveau indiqué dans les comptes de la ville gantoise, que le 4 juin, la ville a payé une femme (dont l’identité n’est cette fois pas connue) pour obtenir des nouvelles en provenance de Termonde, où Maximilien avait traversé l’Escaut. Le 11 juillet, une certaine Magriete van den Driessche et une certaine Katheline Goorijs ont été rémunérées pour leur infiltration au sein de l’armée habsbourgeoise.

Au total, durant le siège, ce sont huit femmes et deux hommes qui ont été payés par la ville de Gand pour leur travail d’espionnage. Cela en a valu la peine, car la ville assiégée a ainsi appris que les Habsbourg étaient confrontés à une pénurie de nourriture, principalement de pain et de viande, et qu’ils dépendaient de la collaboration d’Anvers pour leur approvisionnement. L’armée gantoise a pu faire usage de cette information pour leur couper cette ligne d’approvisionnement, après quoi les Autrichiens affamés abandonnèrent le siège.

Pèlerine ou prostituée?

Qui étaient donc ces espionnes flamandes, et de quelle manière ont-elles infiltré les lignes ennemies? Nous connaissons leurs noms, mais cela s’arrête généralement là. Le fait qu’un nom masculin figure souvent à côté du leur dans les archives montre que la plupart étaient mariées. «Il s’agissait vraisemblablement de femmes issues de la classe moyenne urbaine de l’époque», affirme Haemers. «Il se peut qu’elles aient été les épouses de marchands. En tout cas, il s’agissait certainement de femmes jouissant d’un certain niveau de vie et d’éducation.» Cela explique aussi le fait qu’elles aient été payées autant pour leurs services que leurs homologues espions et messagers masculins.

Jelle Haemers (KU Leuven): Les espionnes étaient certainement de femmes jouissant d’un certain niveau de vie et d’éducation

Les femmes pouvaient se mêler parmi les ennemis en se faisant passer pour des vendeuses, des marchandes ambulantes ou encore des pèlerines. Ou peut-être aussi en tant que prostituées, comme le suggèrent certains tableaux de l’époque, qui dépeignent des femmes en train de flirter avec des soldats. Il est toutefois peu probable que les villes flamandes aient confié à des prostituées des tâches d’intérêt militaire.

Le fait que de nombreuses femmes aient été impliquées dans les services de renseignement dans la Flandre médiévale tardive peut encourager les historien∙nes à rechercher des femmes comme Josine Hellebout dans d’autres pays ou au cœur d’autres conflits. À quel point cette dernière était-elle exceptionnelle? Et est-ce le fruit du hasard que nous ne la découvrions que maintenant? Car Maximilien a bien fini par l’emporter, et la première chose que l’on fait lorsqu’une ville tombe aux mains de l’ennemi est de détruire les documents sensibles.

Cet article a d’abord paru dans De Standaard.
Foto Senne Starckx

Senne Starckx

journaliste scientifique

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