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littérature

«De onvolmaakten»: Même le monde parfait n’est pas à la hauteur

Par Ewoud Kieft, traduit par Noëlle Michel
11 septembre 2020 3 min. temps de lecture La première fois

Même le monde parfait de l’avenir, où une sorte de «dictature du bien» a été établie, ne peut plaire à tout un chacun. De onvolmaakten (Les Imparfaits), un livre de science fiction d’Ewoud Kieft, est un roman riche, plein de pensées stimulantes, parfois très spirituelles, parfois dérangeantes, souvent excitantes. Ewoud Kieft nous raconte une histoire fascinante, avec plusieurs rebondissements et intrigues.

Cultivateurs de dunes

Je pourrais commencer par les premiers signes que j’attribue aujourd’hui, rétrospectivement, au début de notre éloignement: une certaine nervosité qui pouvait le submerger d’un seul coup, une bouffée de désir aveugle, insatiable. Il n’était certes pas le seul à en souffrir, mais ses crises à lui se faisaient plus fréquentes au lieu de se raréfier. Quant à l’âge auquel ce genre de comportement trouve une justification d’ordre biologique et peut même passer pour le signe d’une saine croissance, il l’avait dépassé depuis fort longtemps. Il avait trente-deux ans. En principe, c’est l’âge où ils commencent à s’accommoder des circonstances.

Je me souviens encore d’un blême après-midi d’hiver, voilà un peu plus d’un an, treize mois et douze jours pour être précis, où il avait longuement marché sur la plage, tout près du village où il venait de s’installer – un foyer provisoire, comme tous ses hébergements l’avaient été jusqu’alors. Des gouttes de pluie lui fouettaient le visage. La figure enfouie dans son col, qui enveloppait son cou et son menton comme une deuxième peau, il contemplait la mer d’un vert sombre et la vaste dune de sable, grignotée par de larges bandes d’écume blanche tremblotante. «Il faudrait que je rencontre des gens», marmonna-t-il. Le vent déchaîné rugissait à ses oreilles, je dus me livrer à différentes déductions pour déchiffrer ses mots. «Ici, dans le coin. Des rencontres spontanées. Sans que ce soit planifié. Comme ça se faisait, dans le temps.» À l’image de beaucoup d’autres, il romançait le passé, imaginant que la vie devait être plus simple et plus fraternelle, il y a quelques siècles. Ils n’ont pas idée à quel point les gens peuvent devenir durs et amers à force de trimer douze heures par jour, transis de froid, sur un bateau de pêche, ou de pelleter le charbon à l’usine d’un geste mécanique, abêtissant.

«Tu vas bientôt passer le long du Juttersdok. Il s’y tient la réception de Nouvel An des Cultivateurs de dunes, une coopérative locale. Soixante pour cent des invités sont des femmes, dont trente-deux pour cent sont activement à la recherche d’hommes de ton âge.» Je savais ce qu’il voulait dire quand il parlait de «rencontrer des gens».

Il hocha la tête et poursuivit son chemin, sans réagir à mes propos. Notre relation fonctionnait depuis des années sur ce mode: comme si j’étais un prolongement de sa conscience, une source de connaissances et d’idées qu’il confondait avec sa propre intelligence.

«Je ne sais pas ce qui se passe», reprit-il quelques minutes plus tard, s’adressant à lui-même, à moi ou juste au vide, «mais depuis que j’habite ici, on ne me fait rencontrer que des femmes qui s’empressent de m’inviter à des randonnées ou des journées d’activités dans les dunes, comme si elles étaient surtout à la recherche de main-d’œuvre.

– Peut-être veulent-elles apprendre à te connaître.»

Il haussa les épaules. «Ça peut se faire normalement aussi. À travers une simple conversation, ou même un verre au Roxy
ou au Cavern, on n’a pas besoin de se lancer de suite dans une véritable expédition, tout de même?

– Certains tâtent le terrain plus prudemment que d’autres. Certains aiment faire connaissance à travers une activité partagée.

– Oui oui, je comprends, les goûts et les couleurs…

– Mais tant qu’on y est: ton profil doit être mis à jour avant la fin du mois. Veux-tu que je te soumette quelques photos récentes?»

Son visage s’assombrit, son pas se fit plus lourd. Dans cette zone de la plage, le sable s’enfonçait sous les pieds. «Je ne sais pas, as-tu une bonne photo de moi ?» Après quelques secondes de silence, il secoua la tête. «On fera ça plus tard. Tu peux me montrer à quoi ressemblent ces Cultivateurs de sable?

– Cultivateurs de dunes.

– Comme tu veux.

– Si tu veux faire bonne impression, tu ferais mieux de connaître au moins leur nom.

– Cultivateurs de dunes», répéta-t-il. «Bien. Tu me montres?»

Extrait de De onvolmaakten (Les Imparfaits), De Bezige Bij, Amsterdam, 2020.
Ewoud Kieft Stephan Vanfleteren

Ewoud Kieft

écrivain © photo: St. Vanfleteren

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