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Musée Gruuthuse: à la découverte de la glorieuse histoire de Bruges

Par Virginie Platteau, traduit par Guillaume Deneufbourg
21 novembre 2022 7 min. temps de lecture En mode musée

La restauration aura duré cinq ans. Bâti au XVe siècle au cœur du centre historique, le palais urbain qui abrite le musée Gruuthuse est aujourd’hui un musée contemporain qui transporte les visiteurs dans le riche passé de Bruges. À chaque étage, son siècle: de la florissante période bourguignonne à la cité imaginaire du futur, plus de six cents objets témoignent de leur époque.

«Plus est en vous!» La devise que les Jésuites ont faite leur –et qui figurait en bonne place dans de nombreux livrets scolaires–, a son histoire. Celle de l’un des plus éminents Brugeois du XVe siècle, Louis de Gruuthuse. Après une longue restauration, son ancienne demeure est devenue un musée qui invitent les visiteurs à découvrir ce «plus» qui a marqué son histoire.

Si l’entrée se fait toujours par le portail néo-gothique qui s’ouvre sur la cour intérieure, un pavillon d’accueil lumineux, d’acier et de verre, contraste désormais avec la teneur historique des lieux. Vous pouvez y acheter un billet combiné pour l’église voisine de Notre-Dame, qui a elle aussi retrouvé son lustre d’antan à la faveur d’une rénovation.

Le majestueux hall d’entrée du palais Gruuthuse vous projette instantanément dans le Moyen Âge tardif. À l’époque, le comte de Flandre a le monopole de la vente de «gruit», un mélange d’herbes séchées qui servait à aromatiser la cervoise et la bière. À partir du XIIe siècle, le prélèvement du «droit de gruit» à Bruges est confié à une famille de chevaliers. Avec le temps, ces familles sont appelées les «Heren van Gruuthuse», les Seigneurs de la Maison du Gruit. Louis de Gruuthuse (1422-1492) en est le descendant le plus célèbre, il est en quelque sorte l’incarnation de la devise familiale «Plus est en vous!»

Cette «motivational quote» du Moyen Âge incitait les habitants et les visiteurs à repousser leurs limites. Elle apparaît et réapparaît dans la demeure, sur des poutres transversales et des carreaux, sur des boucliers et des manuscrits. Déterminé et doté d’une belle confiance en soi, Louis se hissera jusque dans les sphères de la haute noblesse, où il devient un proche de Philippe le Bon. En tant que conseiller, il effectue des missions diplomatiques pour le duc et ses successeurs Charles le Téméraire et Marie de Bourgogne. Lors d’une campagne militaire près de Bordeaux (1492) où il commande des troupes ducales, des bombardes crachant du feu sont utilisées pour la première fois. Il fera dessiner ces armes mortelles dans les manuscrits enluminés qui accompagnent ses armoiries et la devise de la famille. De petites répliques de celles-ci ornent la rampe de la cage d’escalier.

Au cours de cette période de transition marquante entre le Moyen Âge et les temps modernes, Bruges est, grâce au commerce passant par le port naturel du Zwin, l’une des villes les plus riches d’Europe occidentale. Les Bourguignons exhibent leur richesse et leur puissance lors d’événements à grand spectacle: joyeuses entrées, festins et tournois. À l’instar des églises et des monastères, les notables de la ville, dont les seigneurs de Gruuthuse, se plaisent à imiter les ducs et arborent des ornements de luxe, décorent l’intérieur de leur demeure avec faste et s’entourent de toutes sortes d’objets. Symbole de prospérité, la ville est un pôle d’attraction pour les artisans et les artistes, comme en témoignent les vitraux, les tapisseries, les tableaux et le mobilier, mais aussi les bijoux raffinés et les jouets médiévaux.

Louis s’est constitué une magnifique bibliothèque de quelque 162 manuscrits, collection rehaussant encore son prestige. Seul le duc Philippe le Bon lui-même le surpasse en tant que bibliophile. Sa pièce la plus célèbre est sans aucun doute le texte qui porte son nom: le manuscrit de Gruuthuse, contenant l’immortel lamento «Egidius, waer bestu bleven». (Egidius, où es-tu passé?) Bien que le livre ne soit plus à Bruges, son existence se perpétue en ces lieux.

Si les nombreux escaliers en colimaçon rendent l’accès au bâtiment difficile pour les personnes en fauteuil roulant, les autres aspects de la nouvelle muséographie n’en demeurent pas moins très appréciés, notamment les maquettes tactiles qui témoignent de l’attention particulière accordée aux personnes malvoyantes. De multiples supports multimédias viennent enrichir l’expérience des visiteurs, sans que ceux-ci ne soient noyés dans une surabondance de panneaux explicatifs ou d’écrans tactiles.

Des fiches d’information se proposent d’éclairer celles et ceux qui souhaitent en savoir plus sur une valise, une paire de couverts, une sculpture sur bois ou une veste en dentelle. De cette façon, l’intérieur a conservé sa dimension intime et familiale, dans l’atmosphère du XVe siècle de cette somptueuse maison. La famille y jouissait, en plus d’une vue sur le monde –au sens propre, car le balcon offre l’une des plus belles vues de Bruges–, d’une habitation dans la ville idéale, telle que rêvée par les humanistes. Le magnifique oratoire en bois –qui relie directement les quartiers privés au chœur de l’église Notre-Dame, où les mausolées de Charles le Téméraire et de Marie de Bourgogne attirent les visiteurs– est l’un des points d’orgue de la visite.

Après 1480, en raison de conflits religieux et de l’ensablement du Zwin, Bruges se voit déchue de son statut de principale métropole commerciale au profit d’Anvers. En 1596, le palais Gruuthuse est racheté par Philippe II, roi d’Espagne. Plus tard, il abrite le Mont de Piété, une institution de prêt sur gage. De cette période, à l’exception d’une plaque murale en pierre, rien n’est cependant documenté dans le musée. L’étage suivant relate la façon dont les Brugeois tirent de nouveau leur épingle du jeu aux XVIIe et XVIIIe siècles, grâce aux canaux nouvellement creusés et à la puissance de la Chambre de commerce, qui finance notamment une zone d’évitage dans le port de Bruges.

La découverte du Nouveau Monde permet l’importation inédite de produits exotiques, dont le chocolat, le café et le tabac. Ne manquez pas d’admirer les magnifiques décorations des pots et autres contenants en argent et même de humer l’odeur des produits qui s’en dégage. Des cartes et des gravures démontrent que les accords commerciaux et la mondialisation ne datent pas d’hier et expliquent également les influences «exotiques» que l’on peut repérer dans les noms de lieux tels que le Spaanse loskaai (débarcadère espagnol) ou l’Oosterlingenplein (place d’Orient).

La légende raconte qu’il y a environ 200 ans, Bruges devient une destination touristique romantique grâce à des soldats anglais de passage, de retour de Waterloo. Quoi qu’il en soit, au XIXe siècle, une vague de revalorisation de l’artisanat médiéval de haut rang déferle sur la ville. Cette nostalgie donne naissance au mouvement néo-gothique. Un film vous décrit en détail la façon dont, au milieu du XIXe siècle, la ville de Bruges acquiert le bâtiment et le transforme en musée. Architecte de la ville et spécialiste du néo-gothique, Louis Delacenserie œuvre à la rénovation de l’édifice pendant des années, ajoutant de nombreux éléments «médiévaux».

La légende raconte qu’il y a environ 200 ans, Bruges devient une destination touristique romantique grâce à des soldats anglais de passage, de retour de Waterloo

Si la dernière phase de rénovation a veillé à préserver l’œuvre de Delacenserie, ce n’est pas le cas des travaux précédents. Des rénovations entreprises au XVIIe siècle et des modifications intervenues au XIXe –dans le cadre de l’ouverture du musée «des antiquités et de la dentelle»– ont laissé peu d’éléments originels au rez-de-chaussée de l’édifice que nous visitons aujourd’hui. Gageons toutefois que seul un œil aiguisé peut distinguer le style néo-gothique du médiéval d’origine. De nombreux éléments du XVe siècle ont par ailleurs été conservés à d’autres endroits dans le bâtiment, retrouvant leur lustre d’antan, souvent agrémenté d’une touche contemporaine. Le mur de «briques» peintes à la main dans le hall d’entrée, avec son aspect historique aux accents un rien espiègles, illustre parfaitement ce jeu temporel.

L’authenticité de la Bruges médiévale, son «kitsch» néo-gothique et l’engouement romantique pour la richesse du passé moyenâgeux ont déjà fait couler beaucoup d’encre. Une visite de la maison Gruuthuse vous plonge dans ce passé, sans chercher à en dissimuler les contradictions. Vous découvrirez ainsi comment le patrimoine et l’appréhension de l’histoire évoluent avec le temps et façonnent le présent. Plus qu’une simple attraction touristique articulée autour de pièces d’exposition, le nouveau musée Gruuthuse est aussi tourné vers l’avenir. Après avoir admiré un magnifique panorama sur la ville, celles et ceux qui monteront jusqu’au sommet trouveront Studio+ au grenier. Sous la charpente massive, la nouvelle génération peut contribuer à l’art du futur dans le cadre d’une réflexion participative qui place la collection historique dans une perspective moderne.

La diversité des pièces, les présentations rehaussées d’une lumière agréable, et l’impression de découverte à tous les étages, au fil du magnifique escalier en colimaçon, font de ce musée bien plus qu’un simple étalage d’objets du passé. Au terme de la visite, à la lumière du jour, les enfants peuvent s’installer près du puits, dans la cour, pour dessiner la façade de l’édifice. Mêlées aux langues des touristes, les sonorités de Bruges résonnent sur les pavés. De quoi inciter les uns et les autres à insuffler dans leur vie un peu de la devise des illustres propriétaires des lieux: «Plus est en vous!»

Site web du musée Gruuthuse
Virginie-platteau

Virginie Platteau

journaliste culturelle

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