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histoire, société

Un impressionnant arsenal militaire mais pas de rhétorique guerrière au Musée militaire national des Pays-Bas

Par Edo Dijksterhuis, traduit par Alice Mevis
6 novembre 2023 8 min. temps de lecture En mode musée

Le Musée militaire national des Pays-Bas ne se veut pas une sorte de Top Gun sous forme de musée. Pas question ici de faire, sous couvert de divertissement, de la promo pour attirer de nouvelles recrues. C’est une histoire culturelle et historique équilibrée qu’on raconte, dans laquelle une place est faite à la nuance et à l’introspection. Mais le musée dispose aussi d’un fameux arsenal qui vaut indéniablement le détour.

Le jour de la libération des Pays-Bas est synonyme d’affluence maximale au Musée militaire national (NMM), surtout si le 5 mai tombe pendant les vacances scolaires et que la pluie pousse les familles à fuir le camping. Les visiteurs déferlent alors par centaines. Certains enfants sont déjà tout animés à la perspective d’une balade en mini-char ou en véhicule blindé. Une telle excitation autour d’une institution consacrée à l’histoire et à la culture des forces armées nationales, palpable dans l’atmosphère, était encore impensable il y a quatre ou cinq décennies. Un fort sentiment anti-armée prévalait en effet à l’époque aux Pays-Bas. Il était même conseillé aux soldats de ne pas prendre les transports publics en uniforme s’ils n’étaient pas disposés à faire face à des remarques gênantes. Quel contraste avec l’année 2023. C’est plutôt un sentiment d’admiration respectueuse qui prédomine parmi les visiteurs du NMM et dans le brouhaha ambiant, on distingue assez nettement les mots «liberté», «nécessaire» et «Ukraine».

L’emplacement et l’apparence du musée ont également tout pour plonger les visiteurs directement dans l’ambiance. Le NMM est situé sur l’ancienne base aérienne de Soesterberg, non loin de la Veluwe où l’armée de terre organise traditionnellement ses exercices. Une petite route nationale serpentant au milieu de la végétation ne dévoile la destination finale qu’après le dernier virage: une sorte de gigantesque «boîte» noire dotée d’une façade vitrée de treize mètres de hauteur et, derrière elle, les anciennes pistes d’atterrissage.

Des chars et des bunkers sont disséminés çà et là sur le site. Pour les férus d’histoire, le Bâtiment 45 est intéressant car il s’agit du plus ancien bâtiment aéronautique des Pays-Bas. Mais la véritable attraction se trouve à l’intérieur, où l’on ressent vraiment toute l’immensité de ce hangar converti en musée. Dans la vaste zone ouverte, on dénombre pas moins de dix-neuf avions suspendus au plafond. Juste en dessous est parquée une coupe transversale d’un véhicule blindé du siècle dernier. Vous pourrez y admirer le Fokker D-21, l’avion de combat qui a ralenti l’avancée allemande en 1940, empêchant les nazis d’atteindre l’Angleterre d’un seul coup. Vous pourrez aussi vous émerveiller devant un YPR, le véhicule blindé auquel avait recours la mission néerlandaise de l’ONU en Bosnie-Herzégovine pour déplacer ses troupes. Et bien sûr, le char de combat Leopard 2A6, longtemps la pièce maîtresse de l’armée de terre, ne manque pas à l’appel.

Une exposition de cette ampleur aurait été impossible dans l’ancien musée de l’armée de Delft ou dans le musée de l’aviation militaire de Soest. Totalisant à elles deux plus de 400 000 artefacts, ces deux importantes institutions administrent conjointement la plus grande collection militaire du pays. Elles étaient donc à la recherche d’un lieu pour mieux la mettre en valeur. Une caserne à Amersfoort avait initialement été envisagée comme candidate potentielle, mais lorsque la base aérienne de Soesterberg a annoncé sa fermeture en 2003, le choix a été vite fait: avec ses 45 hectares de terrain, c’était l’endroit idéal pour une nouvelle construction.

Si le gouvernement avait été seul à financer la fusion et la délocalisation de la collection, le résultat aurait probablement été beaucoup plus modeste. Mais la construction a fait l’objet d’un appel d’offres dans le cadre d’une construction dite PPP (Partenariat Public-Privé), aboutissant à un agrandissement de 15% de la superficie du musée. Le commanditaire du projet, soit la Défense, a signé un contrat d’une durée de 25 ans et paie un loyer ainsi que des services tels que la maintenance et la restauration. Pour le reste, l’ensemble de l’opération est entre les mains de celui qui s’est également chargé de la conception et de la construction: le consortium Heijmans. Une telle entreprise commerciale tire profit d’une exécution efficace et le projet a donc été réalisé en un rien de temps.

Le musée dévoile dès l’entrée son plus grand atout: son arsenal militaire. Mais il serait dommage de s’arrêter là car le musée a encore bien d’autres choses à offrir. Dans la salle du trésor, les portraits de commandants d’armées en tenue militaire et une collection de fusils et de sabres de cérémonie se disputent l’attention du public. Une autre salle évoque l’histoire du village de Soesterberg sous occupation nazie, alors rebaptisé Fliegerhorst. Y sont exposées des photos sur lesquelles on voit des aviateurs allemands poser avec des filles de la région, et dans un coin de la salle, on trouve une bombe sphérique contenant une tonne d’explosifs qui porte le nom de Hermann, d’après le corpulent commandant en chef de la Luftwaffe, Hermann Göring.

Au total, il s’est écoulé moins de deux ans entre le début des travaux et l’inauguration du musée en décembre 2014 par le roi Willem-Alexander –et cela alors que sa conception est tout sauf ordinaire. Le bâtiment, qui de loin présente une certaine ressemblance avec la Neue Nationalgalerie de Berlin, possède une surface de toiture de 110 mètres sur 250, soit quatre terrains de football, sur laquelle 3 240 panneaux solaires sont disposés. Ils fournissent un quart des besoins énergétiques du musée. La construction en acier doit également pouvoir supporter plusieurs tonnes de matériel militaire –sans compter les milliers de visiteurs.

Mais le NMM ne recherche pas uniquement le spectacle et la démonstration de force. Des flèches jaunes au sol mènent à travers des salles au design spartiate et au contenu à haute teneur éducative. Le concept de «monopole de la violence», par exemple, est très bien expliqué dans la salle présentant les uniformes des différentes forces armées. Dès la première salle, les visiteurs se sont déjà familiarisés avec les cinq types de guerre qui ont façonné l’histoire des Pays-Bas. La visite suit les méandres de l’histoire, depuis les différents sièges de la guerre de Quatre-Vingts Ans et les batailles de l’ère napoléonienne, en passant par la guerre totale de 1940-1945, jusqu’aux campagnes et tactiques de guérilla de la lutte de décolonisation et des missions de maintien de la paix en Corée, au Liban et dans l’ancienne Yougoslavie.

Il s’agit d’une matière assez complexe, voire poussiéreuse diront certains, mais le musée parvient à lui donner vie grâce à une multitude de médias et d’outils de communication. Des dioramas très réalistes recréent le champ de bataille, et via un jeu vidéo, vous pouvez vous-même mener le siège d’une ville fortifiée. Des documents historiques sont décortiqués couche par couche sur des écrans. Et bien sûr, on retrouve aussi les objets «ordinaires» présentés de manière plus conventionnelle au moyen d’inscriptions. Même le moins aventureux des visiteurs y trouvera son compte, en se rendant sous la coupole qui se trouve au milieu de l’une des salles, où l’information est servie sous forme condensée à grand renfort d’animations, de voix off et de musique dramatique.

Il est intéressant de constater que le ton de ce «bombardement» de connaissances reste remarquablement neutre. J.B. van Heutsz, l’ancien gouverneur général des Indes néerlandaises qui a provoqué un massacre à Aceh (province d’Indonésie), n’est pas qualifié de criminel de guerre, mais est décrit comme «l’incarnation même de l’inconduite coloniale». Nulle part on ne parle non plus d’un passé militaire illustre ou du statut de héros de «nos garçons». Le NMM ne se veut donc pas un panneau publicitaire pour la Défense, mais entend plutôt offrir une présentation culturelle et historique équilibrée.

l’appareil de défense néerlandais moderne s’est toujours ajusté à l’évolution de la société civile

Cela est particulièrement évident dans la salle consacrée à l’ancrage des forces armées au sein de la société civile. La période de résistance à l’armée, notamment par rapport au service militaire, n’est pas évitée, elle est au contraire abordée de front. Les posters de clubs militants et pacifistes (Niet geschoten is altijd vrede: Sans tir, c’est toujours la paix) contrastent avec les campagnes de recrutement de la Défense qui sont devenues de plus en plus prudentes et n’ont osé adopter un ton plus audacieux qu’après la mise en place d’une armée 100 % professionnelle. Ce n’est pas si explicitement exprimé, mais l’appareil de défense néerlandais moderne s’est toujours ajusté à l’évolution de la société civile –l’abolition de l’obligation de saluer et l’acceptation des homosexuels en sont de bons exemples– grâce à quoi, l’armée néerlandaise ne s’est jamais refermée sur son propre petit monde clos, développant une sous-culture et des dynamiques potentiellement dangereuses.

La citation d’Aristote sur l’un des murs du musée – «L’objet de la guerre, c’est la paix» – est révélatrice de l’approche essentiellement positive du musée. La pièce d’armement qui l’illustre le mieux est sans doute le F-16, qui fait l’objet d’une exposition à part. Celle-ci raconte comment cet avion de combat a été mis en service en 1979 et est aujourd’hui devenu un élément clé de la force de frappe aérienne. Il est prévu que les derniers exemplaires soient remplacés l’année prochaine par des F-35 (la querelle politique autour de son autre potentiel successeur, le Joint Strike Fighter, est passée sous silence dans le musée). Mais les anciens avions de chasse ne seront toutefois ni abandonnés ni relégués au statut de cibles d’entraînement. Le président ukrainien Zelensky a réclamé en effet pendant des mois des F-16 et, avec l’autorisation de son homologue américain Biden, un accord a été conclu. Et voici comment un musée qui s’intéresse avant tout aux faits historiques se retrouve soudainement en plein cœur de l’actualité.

Site du Musée militaire national (Nationaal Militair Museum)
Edo Dijksterhuis

Edo Dijksterhuis

journaliste intéressé par les arts, le design, le cinéma et la littérature

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