«Ne choisissez jamais l’à-peu-près» : Bart Moeyaert
Les livres de Bart Moeyaert se laissent lire et relire, mieux, ils deviennent plus riches et plus profonds à chaque relecture.
Bart Moeyaert (° 1964) a débuté, en 1983, avec le roman pour
adolescents Duet met valse noten (Duo avec fausses notes). Il était
tout jeune – il avait 16 ans quand il a terminé le livre, qui a été
édité deux ans plus tard. L’ouvrage a connu un succès de ventes
et a été élu meilleur livre de l’année par le Jury des enfants
et de la jeunesse. Il en est maintenant à sa dix-neuvième édition.
Une telle longévité sur la marché néerlandophone est
exceptionnelle, tout autant que la considération internationale dont
jouit l’auteur. Moeyaert a reçu toutes les principales
consécrations de l’aire linguistique néerlandaise, dont certaines
à plusieurs reprises. Début avril 2019, il a remporté le prix commémoratif Astrid Lindgren 2019 (le «prix Nobel de littérature pour la jeunesse»).
Duet met valse noten, le portrait pénétrant d’un premier amour, avec ses incontestables qualités littéraires, donnait un ton résolument neuf à la littérature flamande pour la jeunesse. On trouve ici en germe l’écrivain tel que nous le connaissons aujourd’hui: Moeyaert décrit des personnages sensibles, pèse le pour et le contre et est économe de mots.
© S. Kronholm.
Aujourd’hui, Moeyaert voit ses œuvres passées comme un apprentissage, et c’est son troisième roman pour adolescents, Suzanne Dantine (1989 – réécrit plus tard et intitulé Wespennest, paru en français en 2005 sous le titre Nid de guêpes) qu’il considère comme son véritable premier ouvrage.
En
1995 a paru Blote handen (édité en français sous le titre À mains
nues), un livre destiné aux teenagers et un point culminant
dans l’œuvre de Moeyaert. Le déroulement du récit ne s’étend
que sur deux heures environ, mais ce dont il est vraiment question se
joue sous l’action. Moeyaert crée une tension intense autour d’un
incident, en laissant au lecteur, au début, le soin de deviner ce
qui s’est passé. Pour cela, il lui donne incidemment des clés,
parfois sous la forme d’un seul mot. La force suggestive de la
langue, le caractère soigné de la composition et l’enfant isolé,
perdu au milieu d’adultes occupés à leurs propres besognes, dans
un monde trop grand pour qu’on puisse le comprendre, sont les
éléments qui caractériseront les œuvres suivantes de Moeyaert.
Dans
chaque genre qu’il aborde, prose, poésie, pièce de théâtre ou
livre illustré, et quel que soit l’âge de son public, Moeyaert se
fonde sur des principes littéraires. Il peaufine et polit jusqu’à
obtenir ce qu’il faut et rien de plus. Dans la langue et dans le
récit, il vise l’essentiel et adapte totalement la forme et le
fond à cet objectif. Et, bien qu’il puisse sembler évident qu’il
écrive aussi de la poésie, vu son style poétique, Moeyaert a passé
quinze ans à écrire son premier recueil de poèmes, Verzamel de
liefde (Recueille l’amour, 2003). Un livre sur l’amour, bien sûr,
mais aussi sur la solitude et la mort. Écrit en termes simples –
destiné aux enfants à partir d’une douzaine d’années – mais
cette simplicité n’est qu’apparente. Cependant, Verzamel de
liefde est considéré par de nombreux critiques du monde de la
littérature pour adultes comme de la poésie légère, mais, dans
Gedichten voor gelukkige mensen (Poèmes pour gens heureux, 2008), un
recueil qui contient notamment le travail qu’il a réalisé en tant
que poète de la ville d’Anvers, on salue l’écrivain qui a à
cœur de préserver l’enfant qui est en lui.
«Nous
avons joué dans le même jardin», a dit Wolf Erlbruch,
l’illustrateur le plus titré d’Allemagne, à propos de sa
collaboration avec Bart Moeyaert. En effet, il est frappant de
constater l’harmonie naturelle qui règne entre le texte de
Moeyaert et les illustrations d’Erlbruch dans des livres comme Olek
a tué un ours (2006), La Création (2018) et Het
Paradijs
(Le Paradis, 2010). Tous deux réussissent à rendre visibles et à
faire ressentir des idées philosophiques abstraites, et cela en
termes accessibles aux enfants. À ce propos, Moeyaert a aussi un
excellent compagnon de route en la personne de l’illustratrice
flamande Gerda Dendooven, avec qui il a réalisé, entre autres, Le
Conte de Luna (2003) et L’Oie et son frère (2018). L’écrivain
et l’illustrateur font la même demande au lecteur: continuez à
lire / regardez jusqu’à ce que vous perceviez ce qui bouge sous la
surface. En trente-cinq ans, Moeyaert a construit une œuvre vaste et
diverse, d’une qualité et d’une consistance rares, à travers
les genres et les âges. «Ne choisissez jamais l’à-peu-près»
est sa devise. «Quand j’écris, je ne m’arrête pas avant
d’avoir trouvé la formulation la plus belle et – surtout – la plus
exacte», a-t-il dit lors d’une interview accordée au quotidien
flamand De Morgen. La simplicité est toujours le mot-clé, même si
le sens n’est jamais évident. Livre illustré, roman ou recueil de
poèmes, les livres que Bart Moeyaert écrit se laissent lire et
relire, mieux, ils deviennent plus riches et plus profonds à chaque
relecture.