«Néerlandais», «flamand» ou «hollandais»? Une inextricable confusion de noms
Les Néerlandais et les Flamands ont une langue en commun: le «néerlandais». Mais les francophones parlent souvent du «hollandais» et du «flamand». Qu’en est-il donc? Tentons de démêler cet écheveau linguistique des Plats Pays. En regardant le passé et le présent.
Le champ linguistique du néerlandais en Europe couvre un pays entier et un demi-pays: les Pays-Bas et les provinces du nord de la Belgique. La langue néerlandaise ne s’arrête donc pas à la frontière d’un État, et c’est une source de confusion. L’adjectif néerlandais a en fait une double connotation. En géographie politique, néerlandais équivaut à «des Pays-Bas»: il peut tout aussi bien s’agir, par exemple, du roi des Pays-Bas que de leurs tulipes. Sur le chapitre de la langue, l’adjectif néerlandais a soudain une plus grande extension: «des Pays-Bas et de la moitié nord de la Belgique». Mais oui!
Le «néerlandais de Belgique» face au «néerlandais des Pays-Bas»
Que néerlandais ait une signification en termes de géographie politique et une autre sur le plan linguistique engendre parfois une équivoque: un mot néerlandais peut être un mot qui appartient à la langue néerlandaise, mais aussi un mot utilisé aux Pays-Bas et pas, par exemple, en Belgique – je pense à ammehoela (mon œil!). D’autres cas sont plus nets: ainsi, un écrivain néerlandais est un «auteur des Pays-Bas» et non un «auteur qui écrit en néerlandais». Nous dirions alors néerlandophone. Il s’ensuit qu’un écrivain néerlandophone (ou de langue néerlandaise) peut aussi bien être issu des Pays-Bas que de Belgique (néerlandophone) ou d’où que ce soit, pour autant qu’il écrive en néerlandais.
La Belgique néerlandophone est bien plus couramment, et de manière plus compacte, désignée comme la Flandre. On entend par là les cinq provinces néerlandophones de Belgique: la Flandre-Occidentale, la Flandre-Orientale, Anvers, le Brabant flamand et le Limbourg. Flandre peut également avoir une étendue plus réduite et ne renvoyer qu’aux provinces de Flandre-Occidentale et de Flandre-Orientale. Dans le langage courant, ce pays plat où une suite linéaire infinie de constructions est bordée de peupliers est aussi appelé Vlaanders. Comme pour corser la confusion linguistique, ce Vlaanders est une version néerlandaise du français Les Flandres.
C’est surtout dans la langue standard parlée que se remarquent les écarts entre néerlandais de Belgique et néerlandais des Pays-Bas
Quoique les uns comme les autres parlent néerlandais, les Néerlandais et les Flamands se distinguent indiscutablement par le fait qu’ils utilisent leur propre variante du néerlandais. Autrement dit: ils se comprennent parfaitement les uns les autres, mais sont capables de déceler mutuellement leur provenance, comme le feraient les Britanniques et les Américains. C’est surtout dans la langue standard parlée que se remarquent les écarts entre néerlandais de Belgique et néerlandais des Pays-Bas, parce que la différence d’accent reste passablement importante. Le Uitspraakwoordenboek (Dictionnaire de la prononciation) de 2000 indique pour cinq pour cent des mots repris une prononciation standard différente en Belgique.
Dans la langue écrite, il est plus difficile de repérer l’origine de l’auteur. Car si tout le monde peut vous énumérer par cœur des mots et expressions différents, les Pays-Bas et les Flamands ont en commun l’essentiel des règles grammaticales et du vocabulaire. Le Dikke Van Dale ou «Gros Van Dale», considéré comme le dictionnaire de référence dans l’espace néerlandophone, accole à quelque 2 500 mots l’étiquette de «néerlandais de Belgique» (sur un total de près de 260 000 entrées). Dans De grote Prisma Nederlands, 5 000 mots sur plus de 70 000 entrées sont catalogués néerlandais de Belgique et 4 500 néerlandais des Pays-Bas. On trouve parmi ces derniers des termes que les Flamands connaissent mais n’emploient pas, tels ouwehoeren (déconner) ou hartstikke (vachement), mais aussi des mots quasiment inconnus en Flandre, comme steggelen (arnaquer, «baiser») et ouwebeppen (cancaner).
Autrefois, les deux variantes de néerlandais tiraient leur appellation de la partie de l’aire linguistique néerlandaise où elles avaient cours: Zuid-Nederlands pour la Flandre, Noord-Nederlands pour les Pays-Bas. Sauf que le premier de ces termes sème à nouveau la confusion. Zuid-Nederlands désigne dans ce contexte le néerlandais qui était pratiqué dans les anciens Pays-Bas du Sud – en 1830, ces derniers sont devenus indépendants du Royaume-Uni des Pays-Bas et ont pris le nom de «Belgique». Mais Zuid-Nederlands s’applique aussi au néerlandais parlé dans les provinces néerlandaises du Limbourg et du Brabant-Septentrional, donc dans la partie des Pays-Bas située sous le Moerdijk. Pas simple.
Aujourd’hui, les linguistes néerlandophones appellent Belgisch-Nederlands le néerlandais standard pratiqué en Belgique et Nederlands-Nederlands la langue standard parlée aux Pays-Bas
Aujourd’hui, les linguistes néerlandophones appellent Belgisch-Nederlands le néerlandais standard pratiqué en Belgique et Nederlands-Nederlands la langue standard parlée aux Pays-Bas. Mais, à moins d’être opposé au néerlandais de Belgique, ce Nederlands-Nederlands sonne lourd et redondant. En somme, les deux notions sont surtout commodes pour marquer le contraste. Si aucune différence nationale n’est en cause, on peut tout aussi bien parler de Standaardnederlands. Pour la Nederlandse Taalunie ou Union de la langue néerlandaise, qui est en quelque sorte le chien de garde du néerlandais, les deux variantes se valent.
Cette équivalence n’a pas vraiment eu jusqu’ici les faveurs des lexicographes. Les termes, expressions et significations typiquement propres au néerlandais de Belgique y étaient étiquetés comme tels, tandis que le vocabulaire néerlandais des Pays-Bas ne faisait l’objet d’aucune précision. Cela revenait à donner l’impression que le néerlandais de Belgique est une déviance par rapport à la langue standard et que celui des Pays-Bas est la norme. Cette conception rédactionnelle rejoignait les opérations ABN (Algemeen Beschaafd Nederlands – néerlandais général soigné) des années 1950 et 1960 posant en principe le néerlandais des Pays-Bas comme modèle éclairant, même au regard de termes néerlandais de Belgique linguistiquement «corrects». Le fromage blanc que les Flamands accompagnaient de petits radis sur leurs tartines s’appelait kwark au lieu de plattekaas, et le praticien chez qui ils allaient faire soigner leurs genoux ne pouvait être qu’un fysiotherapeut et non un kinesist.
Il aura fallu attendre jusqu’en 2009 pour que les dictionnaires s’adaptent à une réalité linguistique au sein de laquelle deux variantes géographiques du néerlandais standard se sont différenciées de plus en plus clairement. À partir de cette année-là en effet, le lexique de poche Prisma Handwoordenboek Nederlands a abordé les choses autrement: même les termes néerlandais des Pays-Bas étaient indiqués comme tels. C’est ainsi par exemple que l’ouvrage honore à la fois la spécificité du néerlandais de Belgique (croque-monsieur) et celle du néerlandais des Pays-Bas (tosti). Le Dikke Van Dale lui a emboîté le pas en 2015.
«Flamand» face à «hollandais» et «Flandre» face à «Belgique néerlandophone»
Dans le langage populaire, le néerlandais parlé en Belgique est fréquemment appelé flamand
et le néerlandais parlé aux Pays-Bas hollandais. Les Néerlandais habitant au sud du Moerdijk n’apprécient pas particulièrement d’être appelés «Hollandais». Le g prononcé dans le Brabant-Septentrional, par exemple, ne racle pas comme le ch de Hollande et ne sonne pas aussi doux que sa variante en néerlandais de Belgique. Dès lors, en dialectologie, les concepts Vlaams et Hollands ont une connotation différente. Hollands s’applique au dialecte pratiqué dans les provinces de Hollande-Méridionale et de Hollande-Septentrionale (où se trouvent notamment les villes de Rotterdam et d’Amsterdam); Vlaams renvoie, historiquement, à l’ancien comté de Flandre (qui a existé du IXe au XVIIIe siècle) et à la langue qui y était parlée.
Ce comté comprenait les actuelles provinces de Flandre-Orientale et de Flandre-Occidentale ainsi que la Flandre zélandaise et la Flandre française. C’est pourquoi, en dialectologie, le terme Vlaams est conçu comme regroupant l’est-flamand, le west-flamand, le flamand de Zélande et celui de Flandre française (dialecte en voie d’extinction parlé dans le nord de la France). De sorte que l’on peut, en Flandre française, commander un potjevleesch, plat régional typique dont le nom sonne très peu français.
En dehors du domaine de la dialectologie, Vlaanderen est couramment utilisé comme synonyme de «Belgique néerlandophone». Assez bizarrement, le substantif Vlaanderen ou Flandre ne figure pas dans cette acception dans les textes législatifs officiels. La Constitution belge parle en effet de la Région de langue néerlandaise, de la Communauté flamande et de la Région flamande. Mais l’adjectif flamand (Vlaams) en tant que synonyme de «se rapportant à, de, propre à la Belgique néerlandophone ou ses habitants», ainsi défini par le Dikke Van Dale, a bel et bien, lui, une existence officielle.
C’est seulement après 1860 que Vlaanderen a pour la première fois la signification de «la partie néerlandophone de Belgique»
Le nom Vlaanderen est cependant très ancien. Au VIIIe siècle est apparu le précurseur latin Flandria, signifiant «territoire inondé» et ne concernant à l’origine que le littoral flamand avant de s’appliquer, à partir du IXe siècle, à l’ensemble du comté de Flandre (dans le texte latin Vita sancti Eligii, de 725 environ, l’auteur parle par exemple des Flanderenses, qui habitent in Flandris, dont c’est une des premières mentions). C’est seulement après 1860 que Vlaanderen a pour la première fois la signification de «la partie néerlandophone de Belgique». Le terme n’était toutefois pas très populaire, en tout cas sur le plan politique, et s’effaçait le plus souvent devant l’appellation Vlaamsch-België. Quelque soixante-dix ans plus tard, vers 1930, la conscience flamande s’étant nettement développée, la notion Vlaanderen a atteint sa maturité politique.
La première apparition du mot Vlaams date, elle, de 1080: on la trouve en anglais sous la forme Fleminsce. Cet adjectif n’avait encore à l’époque que l’acception de géographie politique «du comté de Flandre» et n’avait rien de linguistique. C’est le Brugeois Jacob van Maerlant (vers 1235-vers 1300) qui utilisa le premier, en moyen néerlandais, le terme Vlaams au sens de la langue parlée dans l’ancien comté de Flandre. En ce temps-là, Vlaams était même employé comme synonyme de Nederlands, car, avant 1300, la plupart des textes en moyen néerlandais étaient rédigés en Flandre. Du reste, l’appellation Nederlands n’existait pas encore…
De fait, il fallut attendre 1482 pour voir apparaître la mention Nederlandsche tale (langue néerlandaise) et 1550 pour que le mot Nederlands figure dans le titre d’un livre: Nederlandsche spellijnghe (L’Orthographe néerlandaise) du Gantois Joos Lambrecht. Le mot avait des concurrents tels que Duits et Nederduits (allemand et bas-allemand). Nederlands désignait les parlers de la région du Bas-Rhin, à savoir non seulement le flamand, le brabançon, le hollandais, le gueldrois, le frison et le zélandais, mais encore les dialectes de Juliers et de Clèves, eux aussi pratiqués en pays rhénan. Il se peut finalement très bien que le nom de la langue des Néerlandais et des Flamands soit dû à l’influence des souverains espagnols, qui distinguaient leurs possessions néer-landaises et celles situées plus haut que le Rhin Over-landse ou Hoog-landse.
Bref, manifestement, la question demeurera toujours un peu complexe.