Nicolas Bourgeois et Wido Bourel au château de l’Orme à Hazebrouck
Durant l’entre-deux-guerres et la Seconde guerre mondiale, Nicolas Bourgeois a été un militant et écrivain flamand de France de renom. Dans sa jeunesse, Wido Bourel s’est entretenu avec lui à plusieurs reprises, et ce sont ces entretiens qui font aujourd’hui l’objet d’un nouveau livre.
Wido Bourel a déjà eu le mérite de publier divers ouvrages sur la Flandre française. Le dernier, au titre suggestif de Confidenties in het Olmkasteel (Confidences au château de l’Orme), la demeure d’Hazebrouck dans laquelle Nicolas Bourgeois (1896-1982) a passé les dernières années de sa vie, contient des entretiens avec ce militant flamand français, qui tournent essentiellement autour de lui, cela va de soi, mais aussi autour de l’abbé Jean-Marie Gantois. J’ai rencontré une fois les deux hommes et j’en garde un vif souvenir. J’avais donc hâte de lire ce livre.
La restitution littérale et traduite en néerlandais des entretiens ne facilite pas la lecture. La répétition constante des apostrophes «Nicolas» et «Jeune homme» finit par irriter. Il est également dommage que l’auteur n’ait pas indiqué les dates de ses entretiens. Bourel fournit cependant un grand nombre d’informations et retrace le fil chronologique de ses entretiens, qui illustrent différents aspects biographiques de Nicolas Bourgeois, de la fin du XIXe siècle à sa mort en 1982. Nous découvrons notamment la naissance à Lille de ce dernier et la carrière militaire de son père, qui a amené sa famille à Paris ; la Première Guerre mondiale et ses études à l’École normale supérieure ainsi que le réseau qu’il a ainsi pu se constituer ; ses premières publications ; ses activités comme secrétaire du président du Conseil municipal de Paris ; son fédéralisme et son régionalisme après la Première Guerre mondiale ; ses connaissances et ses amis, au nombre desquels surtout Jean-Marie Gantois ; le Vlaams Verbond van Frankrijk (VVF), c’est-à-dire «la Ligue flamande de France»; les années trente, la Seconde Guerre mondiale, puis les accusations de collaboration, et enfin, des réflexions pour l’avenir…
Chaque chapitre est précédé d’une rubrique intitulée «De tijd van toen» (À l’époque), qui rappelle des faits de la période traitée. Le choix de ces faits est subjectif et incomplet, mais correspond bien des sujets évoqués durant les entretiens.
Une biographie non scientifique
Qui était Nicolas Bourgeois ? À vrai dire, après avoir lu le livre, je n’en sais trop rien. Dans l’un des entretiens, Bourgeois dit lui-même : «Je ne suis pas exhibitionniste. Ce n’est pas dans la nature des Flamands de se mettre à nu». Bourgeois n’a pas facilité la tâche aux futurs historiens, vu par exemple la négligence avec laquelle il a gardé ses archives et l’usage immodéré des pseudonymes qu’il a oubliés ou refusé de révéler. Nous pouvons donc être reconnaissants envers Wido Bourel, d’avoir tiré un livre des confidences qu’il avait reçues au château de l’Orme. L’auteur n’avait certainement pas l’intention d’écrire une biographie scientifique, mais les entretiens peuvent en constituer la base.
Permettez-moi cependant de vous livrer quelques réflexions après la lecture de cet ouvrage :
– pour moi, Nicolas Bourgeois demeure avant tout un grand intellectuel et publiciste à la française. Ses «idées» sur l’histoire sont parfois biaisées et pas toujours correctes. Le milieu dont il est issu lui a permis de suivre un enseignement poussé et élitiste. Il a pu ainsi se constituer un réseau dont il a fait un large usage, y compris dans des circonstances pénibles (comme les accusations de collaboration);
– son milieu d’origine et son mariage ont procuré à Bourgeois une aisance matérielle qui lui a permis de vivre de sa plume de publiciste;
Aucune critique n’est portée à l’égard Jean-Marie Gantois
– je m’interroge sur ses affinités avec les gens simples, lui qui se sentait supérieur en se déclarant païen. Son flamand ou son néerlandais, appris seulement en 1940, n’était pas bon. À son procès, il a fait preuve de peu d’empathie avec les autres prévenus, moins privilégiés;
– son usage immodéré de faux noms peut constamment nous induire en erreur, mais c’est aussi ce qui lui a permis de sauver sa peau;
– aucune critique n’est portée à l’égard Jean-Marie Gantois et du VVF, la Ligue flamande de France. L’autre association régionaliste, le Comité Flamand, ainsi que son président, Camille Looten, ne sont évoqués qu’une fois et tournés en ridicule;
– je doute fort que ses idées régionalistes et fédéralistes, qu’il tirait de ses lectures de Charles Brun, de Pierre-Joseph Proudhon et d’autres auteurs, aient toujours cadré avec la ligne du VVF…
Il ne s’agit là, évidemment, que de réflexions personnelles, qui n’enlèvent rien à la valeur de l’ouvrage. Bien au contraire, le fait qu’une publication puisse susciter ce genre de considérations témoigne de son utilité.
Ce qui m’a finalement le plus touché, ce sont les «Réflexions pour le XXIe
siècle», dans lesquelles Nicolas Bourgeois, décédé en 1982, évoque de manière prophétique les frontières de l’Europe, la problématique de la migration, les questions d’environnement, la surpopulation, etc. Une surprise finale pour clore cet ouvrage utile.