On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même : Marina Bautier
La designer bruxelloise Marina Bautier réalise ses prototypes, exploite son magasin, a lancé sa marque de meubles, transformé son atelier et écrit un livre de cuisine avec ses recettes, qu’elle cuisinait elle-même lors de son propre concept de lunch mensuel. Alors que d’autres designers prêtent surtout leur nom à des marques de meubles existantes, Marina Bautier œuvre résolument à sa propre marque.
© St. De Smet.
«De fait, j’aime travailler en toute indépendance», confirme, souriante, Marina Bautier (° 1980) en nous faisant visiter son lieu de travail à Forest (Bruxelles). Un lieu qui fait office à la fois de show-room, de magasin, d’atelier d’ébénisterie et de studio de design. Un lieu de travail, donc, c’est bien le terme. Ici, pas de clean desk sur lequel ne trône qu’un rutilant iMac. On y trouve partout des esquisses, des maquettes, des morceaux de bois, des tubes de colle, des crayons et des bouts de tissus. Une abondance qui en dit long sur la philosophie de création de Marina Bautier. Elle fabrique tout autant qu’elle crée. Cette approche est le résultat de sa formation à la Buckinghamshire Chilterns University. « Là-bas, les étudiants passent le plus clair de leur temps à l’atelier. Nous n’avions que quelques heures de théorie par semaine. Cette tradition britannique des arts & crafts est très présente dans ma façon de travailler».
Nul n’est prophète en son pays
Sur le plan esthétique, pourtant, Marina Bautier se rapproche davantage du modèle scandinave par sa prédilection pour les matériaux naturels et les lignes épurées. Cela se voit aussi dans son show-room, une pièce dépouillée aux murs blancs comme neige et au sol en béton peint en gris clair. Cet écrin parfaitement blanc abrite quelques basiques dans des tons neutres. «Lorsque j’ai lancé ma marque en 2013, mon ambition était vraiment de créer des pièces de base pour la maison. Je travaillais déjà depuis dix ans pour d’autres marques, et il fallait toujours que mes créations aient un petit quelque chose de spécial. Alors qu’à mon sens ce n’est pas toujours nécessaire», explique-t-elle. «L’idée de ma propre marque m’est venue en 2009, lors d’une visite à Swedese, une marque suédoise créée en 1946 par deux frères qui faisaient tout eux-mêmes, de A à Z. C’est ce que je voulais, moi aussi. J’ai commencé à élaborer ma propre marque pas à pas en créant des meubles, cherchant des producteurs, imaginant un logo et un nom, etc. Et en 2013, je me suis lancée.»
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Simultanément, Marina a ouvert son magasin/show-room qui est, avec sa propre boutique en ligne, le seul endroit où l’on peut acheter ses meubles. Le pari était risqué, mais il s’est révélé gagnant. «La moitié de mes meubles, je les vends en ligne. J’avoue que je suis surprise de constater avec quelle facilité les gens achètent sur Internet un fauteuil qu’ils n’ont jamais vu en vrai. Grâce à mon webshop, je dispose d’un marché beaucoup plus grand. Aujourd’hui, je réalise environ la moitié de mon chiffre d’affaires en Belgique. Lorsque j’ai commencé, cette proportion était beaucoup plus faible. Mon nom n’était pas assez connu ici; sans doute parce que j’avais étudié en Angleterre, et surtout parce que mes créations étaient avant tout destinées à des marques étrangères. Mais cela a changé quand, en 2014, l’hebdo Weekend Le Vif / Knack m’a proclamée Designer de l’année. Le fait d’avoir mon propre magasin a aussi contribué à asseoir ma renommée ».
Un espace de convivialité
Tout ce que fait Marina Bautier, elle le fait pas à pas, de manière très réfléchie, sans précipitation. Elle sait ce qu’elle veut, mais prend tout son temps pour l’obtenir. Ce fut le cas pour sa propre marque. Et pour son atelier. En 2011, Marina a repris cet atelier d’un sculpteur. «J’ai déménagé mon endroit de travail au moins dix fois, parce que chaque fois je voulais transformer une partie des lieux.» Et ce n’est pas fini. L’an dernier, elle a abattu un mur au rez-de-chaussée et y a aménagé un petit café. «Mon café est déjà ouvert aux événements. Et en septembre 2020, nous l’ouvrirons au public.»
Le monde de la restauration ne lui est pas totalement inconnu. Pendant cinq ans, elle a organisé dans les lieux, le dernier vendredi de chaque mois, un lunch pour vingt personnes. Tout le monde pouvait s’inscrire et venir prendre place à la grande table commune au centre du show-room. «J’adore cuisiner. Et je voulais que cet endroit soit non pas un show-room froid, mais un lieu de convivialité. Grâce à ces déjeuners du vendredi, j’ai fait beaucoup de nouvelles connaissances. Et un grand nombre de personnes ont ainsi pu découvrir mes meubles. Mais j’ai mis fin à cette formule voici un an. Je n’y prenais plus autant plaisir, et aujourd’hui le café du rez-de-chaussée a repris le flambeau de la convivialité. Pour tourner la page de ce chapitre, j’ai compilé une série de mes recettes et publié un livre de cuisine.» Une publication à compte d’auteur, bien entendu.
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Le show-room évolue pas à pas, lui aussi, poursuit Bautier: «Cet espace est de moins en moins un lieu d’exposition de meubles, et de plus en plus un magasin», analyse-t-elle. D’autant qu’il y a deux ans elle a ajouté des accessoires d’intérieur à sa marque. Comme des housses de couette toutes blanches, des serviettes et des nappes en lin, des plaids en laine, des boîtes de rangement en bois et de robustes sacs fourre-tout. Et récemment, Bautier a introduit des livres dans sa gamme. «Une façon aussi de permettre aux gens de traîner plus longtemps dans les lieux pour feuilleter les livres». Bientôt, on y trouvera aussi son tout nouveau service de table, un projet dont elle rêve depuis des années. «Lorsque j’ai créé ma ligne d’accessoires, je travaillais avec une céramiste qui concrétisait mes créations. Mais je voulais pouvoir lancer un produit qui soit tout à fait à moi, et à une échelle un peu plus grande. J’ai fini par trouver le producteur idéal, une petite entreprise en Angleterre.»
La chaise idéale
Étonnamment, Marina Bautier travaille toujours seule. Elle ne se fait aider que pour la vente. Mais quelles sont ses ambitions? «Je veux me concentrer sur ma propre marque. Il arrive encore que je travaille pour une autre marque, mais j’essaie de le faire le moins possible», explique-t-elle. Ensuite, elle veut investir dans le marché belge. «J’aime travailler à l’échelle locale. La demande de l’étranger est très forte, les États-Unis sont un marché énorme. Le genre de meubles que je réalise y est très recherché et difficile à trouver là-bas. De plus, mes prix sont bas par rapport à leurs normes. Mais sur le plan logistique, l’expédition de grands meubles reste une gageure. Un moment, j’ai envisagé d’ouvrir une unité de production sur place pour ne plus devoir expédier mes produits, mais j’y ai finalement renoncé.»
Et la collection Bautier, comment va-t-elle évoluer? «J’ai quelques idées pour de nouveaux meubles, dont un fauteuil entièrement en bois avec des coussins amovibles. Mais je prends mon temps. Au lieu d’imaginer le plus de nouveautés possible, je préfère tirer le maximum de la collection existante. Ce sont de bonnes pièces, pourquoi en créerais-je de nouvelles? Je limite volontairement le choix. Dans mon magasin, on ne devra jamais choisir entre dix chaises différentes. Je préfère concevoir la chaise idéale.»