Suspendu aux lèvres de Hugo Claus: la littérature dans «Septentrion»
Dès les débuts de Septentrion, la littérature y a joué un rôle crucial. Et selon un sondage récent, vous êtes nombreux et nombreuses à souhaiter que ce site accorde (encore) plus d’attention à la littérature. Soit! Ce mois-ci, je vous propose une réflexion sur cinquante ans de littérature néerlandophone dans Septentrion. Sans oublier ceux et celles qui la rendent accessible au lectorat francophone: ses traducteurs et traductrices.
Laissez-moi commencer par un aveu: pour cette contribution à Septentrion quinquagénaire, je voulais évoquer deux volumineux numéros thématiques parus en 2001, l’un consacré à l’Escaut, l’autre à la Meuse –deux fleuves qui prennent leur source en France, traversent la Wallonie et la Flandre et se jettent dans la mer aux Pays-Bas; autrement dit, «des rivières qui nous unissent». Mais en ce moment, je n’ai pas très envie d’écrire un texte où l’eau s’arroge le rôle principal. Les images des flots déchaînés et des maisons effondrées dans plusieurs villes et villages wallons sont encore fraîches dans ma mémoire. Dans les régions touchées habitent aussi de fidèles collaborateurs de Septentrion et des abonnés. Cet article sur l’Escaut et la Meuse sera pour plus tard cette année.
Une première découverte
J’aimerais donc parler de la littérature dans Septentrion. Si, dès sa création, la revue s’est intéressée à la plupart des formes d’art et de culture, la littérature y a toujours joué un rôle prépondérant tout au long de ces cinquante années. Par le biais de contributions aux formes et genres variés –essentiellement des monographies et des rétrospectives–, le lectorat francophone a pu chaque année découvrir des auteurs de Flandre et des Pays-Bas et les faits marquants de la vie littéraire des Pays-Bas.
Septentrion a également mis un point d’honneur à intégrer des fragments de prose et des poèmes en traduction française, souvent à la suite d’un article spécifique –et aussi bien des traductions existantes que d’autres réalisées à sa demande. Au fil des ans, la revue a bien sûr repris des extraits en prose et des poèmes d’écrivains qui jouissaient déjà d’une grande notoriété dans le domaine linguistique néerlandophone. Mais Septentrion avait de plus grandes ambitions. Voilà ainsi déjà près de vingt ans que nous publions aussi la traduction française d’extraits de roman ou de poèmes (notamment dans le recueil de poèmes bilingue Le dernier cru, composé essentiellement par l’ancien rédacteur en chef Jozef Deleu) d’auteurs peu ou pas traduits –cela pour la simple raison que nous estimons que le monde francophone doit découvrir ces écrivains. Cette tradition a d’ailleurs été reprise, du moins pour les romans, sur le présent site, plus précisément dans la rubrique La première fois.
Ces traductions ont revêtu et revêtent encore une grande importance non seulement pour les lecteurs intéressés par la littérature, mais aussi pour les éditeurs: j’ai plus d’une fois rencontré un éditeur ou une éditrice qui m’a confié avoir découvert un auteur intéressant par le biais d’une traduction parue dans Septentrion. «Quelqu’un que nos éditions doivent garder à l’œil», ajoutait-il ou elle parfois sur un ton de conspiration.
D’indispensables passeurs de culture
Il est difficile de parler de traductions sans mentionner les traducteurs. Vous attendez donc sans doute sûrement que je dresse à présent une liste de traducteurs du néerlandais vers le français réputés et/ou prometteurs. Je vais vous décevoir: je ne donnerai aucun nom, pour la seule raison que je ne veux pas risquer d’oublier l’une ou l’un d’entre eux.
© Bart Koetsier
Cependant, je veux bien vous brosser une ébauche plus vaste qui suscitera bien vite l’observation d’une nette évolution. Les Pays-Bas peuvent certes se prévaloir depuis longtemps de bons traducteurs et traductrices vers le français (tant pour la prose que pour la poésie) mais, ces dernières années, leur nombre a fortement augmenté. Plusieurs facteurs ont contribué à cette tendance: un intérêt croissant pour la traduction littéraire dans le monde universitaire, et, ici et là, des initiatives dignes d’éloges. J’en citerai une au hasard: les ateliers de traduction, avec en tête celui organisé chaque année à Paris, autrefois à l’Institut Néerlandais, aujourd’hui au Nouveau Centre Néerlandais. Ces ateliers parisiens ont longtemps été supervisés par Philippe Noble, avant qu’Isabelle Rosselin n’en reprenne le flambeau. Tiens, j’ai finalement nommé deux grands traducteurs!
© Stéphanie Knibbe / Tom Christiaens
Puis-je profiter de l’occasion pour exprimer mon plus profond respect pour ce corps de métier? Au fil des ans, j’ai été très impressionné par le savoir-faire avec lequel les traducteurs plongent chaque fois dans un livre, ou une œuvre, pour le transposer dans une autre langue, avec une grande sensibilité et une grande habileté. Ces indispensables passeurs de culture méritent bien des louanges.
Le Théâtre royal de Namur
Revenons à Septentrion. La revue a également organisé plusieurs soirées littéraires. J’ai déjà mentionné l’une d’elles, Poésie au pays d’Ensor à l’Institut Néerlandais à Paris (1990), dans une autre contribution à cette série.
© D. Samyn
Plus d’une fois, ces soirées ont eu lieu dans des endroits prestigieux, et la revue a réussi à programmer des auteurs qui jouissaient alors d’une certaine, voire d’une grande notoriété dans l’aire néerlandophone. Je citerais tout à trac cinq noms: Stefan Hertmans, Margriet de Moor, Charlotte Mutsaers, Miriam Van hee et Geert van Istendael. Et il est aussi un écrivain, dont le nom suscitait immédiatement un écho en France également, qui a même accepté à deux reprises de participer à une soirée: nul autre que Hugo Claus (1929-2008)! Je me souviens surtout de sa venue au Théâtre royal de Namur, au tournant du siècle. Il devait intervenir en dernier. Dans le théâtre plein à craquer (avec, parmi les hôtes, le prince héritier Philippe), on entendait les mouches voler quand Claus s’est avancé vers le micro. Il s’est éclairci la voix et a commencé à parler. Le public était suspendu à ses lèvres.