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arts, pays-bas français

Pharaon De Winter: la tradition du réalisme flamand perpétuée

Par Eric Bracke, traduit par Caroline Coppens
30 août 2024 6 min. temps de lecture

La ville de Bailleul, en Flandre française, accueille une fascinante rétrospective du peintre Pharaon De Winter. Qui était cet homme, mort il y a cent ans, qui suscitait l’admiration des Salons parisiens avec ses peintures «flamandes»?

Le carillon joue un air qui m’est familier, mais dont j’ignore le titre. Je regarde le beffroi construit en briques jaune ocre typiques du Westhoek. Presque entièrement reconstruite après les ravages de la Première Guerre mondiale, Bailleul respire la Flandre par tous ses pores. Certains bâtiments à pignons et à travées verticales sont des copies conformes d’édifices brugeois.

Une partie considérable de l’œuvre de Pharaon De Winter a hélas été perdue lors des bombardements allemands de 1918. Les peintures sur les thèmes «le travail aux champs» et «la vie religieuse en Flandre» ont été irrémédiablement détruites. L’artiste a ainsi dû renoncer à son projet muséal.

L’architecte Louis-Marie Cordonnier, qui a supervisé la reconstruction de la ville, vouait une grande admiration à De Winter. Lors des funérailles de ce dernier en 1924, Cordonnier prononcera son éloge funèbre, que l’on peut entendre au musée Benoît-De-Puydt.

Bruges était une source d’inspiration non seulement pour Cordonnier, mais aussi pour le jeune Pharaon. La famille du sabotier belge dans laquelle Pharaon naît à Bailleul en 1849 compte douze enfants. Le troisième aurait dû s’appeler Faron, mais l’officier d’état civil en a fait Pharaon.

Devant aider ses parents, le garçon fréquente peu l’école. Il est lui-même un piètre sabotier, mais il n’échappe pas à son père, Zéphir-Éric, que son fils est doué pour le dessin. Avec son maigre argent de poche, le garçon achète des images d’Épinal, une série d’estampes aux couleurs vives et aux sujets populaires, qu’il copie.

À 11 ans, Pharaon prend des cours de dessin à Bailleul auprès d’Edouard Swynghedauw, mais son père pense que son talent se développera mieux à Bruges.

Après Bruges, retour à Bailleul

À Bruges, Pharaon est hébergé chez sa tante à l’hôtel Le Panier d’Or sur la Grand-Place, mais après la mort de celle-ci, il est accueilli par un oncle au café La Sirène, trois maisons plus loin. Le café est alors un lieu de rencontre d’artistes et de la classe moyenne aisée. Les dessins de Pharaon y passent de main en main. Certains clients le soupçonnent d’utiliser du papier calque, mais Henri Julien De Stoop est convaincu du talent du neveu de l’aubergiste.

Pharaon est admis à suivre des cours dans l’atelier de De Stoop et s’inscrit également à l’académie locale, où il obtient sa première médaille pour des dessins d’après l’antique. Il se plonge par ailleurs dans l’étude des primitifs flamands et des maîtres du XVIIe siècle, Rembrandt devenant son favori pour la représentation des scènes bibliques.

Au cours de l’été 1864, De Stoop meurt à l’âge de 37 ans, laissant Pharaon sans mentor. Le jeune artiste retourne à Bailleul en 1868, où il remporte tous les premiers prix de l’école de dessin de Swynghedauw.

De Lille à Paris

Grâce à une bourse de la fondation De Puydt, Pharaon De Winter part étudier auprès d’Alphonse Colas à l’École des Beaux-Arts de Lille. L’étudiant de 20 ans est impressionné par les grandes œuvres de Rubens exposées au Palais des Beaux-Arts de la ville. Pour payer ses études, il enseigne le dessin dans une école publique.

Il réalise alors ses premiers portraits: celui de son oncle à Bruges, et celui de sa grand-mère. Entre 1969 et 1872, De Winter remporte de nombreux prix et médailles. Une étude intitulée Tête de vieillard le fait admettre à l’École des Beaux-Arts de Paris. Grâce à une bourse départementale, il peut suivre les cours à l’atelier d’Alexandre Cabanel le matin et visiter les musées parisiens l’après-midi.

À Paris, il entretient des liens d’amitié avec son compagnon d’atelier Jules Bastien-Lepage et l’artiste symboliste Pierre Puvis de Chavannes. Le peintre-sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux l’encourage également. Dès 1873, De Winter peint son premier portrait commandé, le Portrait de Mademoiselle Charlet.

Sa période parisienne est interrompue en novembre 1873 par son enrôlement dans le 73e régiment à Troyes (en tant que fils d’un père belge, De Winter croyait pourtant pouvoir échapper à la conscription). Son transfert à Paris en 1874 lui permet cependant de reprendre en partie les cours d’art. Il peint des portraits d’officiers et de sous-officiers et, lors d’une hospitalisation à l’Hôtel-Dieu, il brosse un Ecce Homo, un compagnon de chambre lui servant de modèle pour le Christ. Le soldat De Winter sera démobilisé en novembre 1876.

Deuil en Italie

En 1875, De Winter participe pour la première fois aux Salons de Paris, avec un portrait d’Angeline Charlet et une esquisse à l’huile de saint Sébastien. Le saint Sébastien est acheté par l’État, comme le seront de nombreuses autres toiles soumises par De Winter dans les années qui suivent. La plupart de ces œuvres sont destinées à des musées régionaux.

En 1877, il épouse Angeline Charlet, qui avait été son modèle. Après la mort de sa femme en couches deux ans plus tard, De Winter se rend en Italie. Tout en essayant de surmonter son chagrin, il y étudie les maîtres de la Renaissance, notamment Raphaël et Michel-Ange.

De retour chez lui, il se lance dans d’ambitieux projets de grande envergure. En 1882, il entame la réalisation d’un triptyque chrétien (Rédemption). Lors de sa préparation, il est subjugué par l’un des modèles, Julia Marie Fagoo, fille d’agriculteur.

En 1884, l’œuvre Au Dispensaire, représentant deux religieuses attablées dans un hôpital, est très remarquée. Elle est reproduite dans Le Monde illustré et publiée sous forme de lithographie. Il s’agit de l’une des nombreuses œuvres de De Winter illustrant la pratique de la religion en Flandre. L’artiste y consacre un soin tout particulier. En guise de préparation, il prend des photos des lieux et de ses personnages, qu’il a dotés de costumes appropriés. Il peint les scènes de manière très réaliste, en accordant une grande attention aux visages et aux mains.

Lille

Alphonse Colas meurt en 1887 et De Winter, avec l’appui de Cabanel et de Jules Breton, devient directeur enseignant de l’académie de Lille. Disposant désormais d’un revenu stable, il épouse Julia Fagoo en 1889. Deux ans plus tard, son fils Zéphyr naît à Lille. Sa fille Rosa naîtra quant à elle en 1901.

De Winter est dorénavant un peintre officiellement reconnu, travaillant dans la tradition académique flamande. Les nouveautés comme l’impressionnisme lui ont échappé, mais dans ses toiles réalistes sociales, ses fonds sombres cèdent très occasionnellement la place à une coloration plus vive et à des contrastes plus frappants. C’est le cas d’Un bobineur flamand (1893), où il joue particulièrement sur le contraste du fil rouge central avec l’environnement plus clair. Le portrait de sa fille Rosa (1904) est également plus moderne par l’utilisation de tons clairs et grisâtres, qui rappellent les portraits du peintre symboliste Fernand Khnopff.

Ses œuvres académiques sont toutes peintes en couches minces et lisses, mais dans Dans les champs, la coupeuse d’herbes (1880), le pinceau est un peu plus épais.

Les portraits que produit De Winter révèlent son sens de la famille. Au musée de Bailleul, on peut voir plusieurs toiles représentant ses enfants, le petit Zéphyr avec ses longues mèches blondes, et la petite Rosa. On y trouve également exposés, outre les portraits de famille, des lettres, des photographies, des croquis, des nécrologies et des articles de journaux.

Cataracte

En 1912, l’artiste développe des problèmes oculaires. Il subira six opérations aux yeux pendant l’occupation allemande. C’est une période difficile pour De Winter: Zéphyr est fait prisonnier de guerre et le bombardement allemand de Bailleul en 1918 détruira une bonne partie de son œuvre.

Après l’occupation, De Winter continue à enseigner à Lille, mais il peint de moins en moins. Les œuvres qu’il présente chaque année aux Salons sont toujours plus anciennes. Il éprouve la plus grande satisfaction lorsque ses élèves, dont son fils Zéphyr, remportent des prix et que leur talent est reconnu. Pharaon De Winter est un homme noble qui ne se met pas en avant. Il décèdera à Lille le 22 juin 1924.

L’exposition Pharaon De Winter, de l’intime à l’artiste peut être visitée au musée Benoît-De-Puydt à Bailleul (jusqu’au 3 novembre: du mercredi au dimanche, de 14h à 18h; du 4 novembre au 22 décembre: les samedis et dimanches, de 14h à 18h). L’accès est gratuit.

EB

Eric Bracke

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