Pieter Van de Walle – Boys will be boys
Dix-huit jeunes auteurs et autrices de Flandre et des Pays-Bas donnent la parole à un objet du XVIIe siècle exposé au Rijksmuseum. Ils et elles ont écrit un texte à partir de la question suivante: quelles illuminations ressentez-vous en regardant ces objets? Inspiré par le tableau Oreste et Pylade se disputant devant l’autel de Pieter Lastman, Pieter Van de Walle donne la parole à Oreste. «Ce n’était qu’une plaisanterie, pas vrai? Voler une statuette, donner quelques coups de pied dans les autels de tante Artemis.»
© Rijksmuseum, Amsterdam
Boys will be boys
Ça a vraiment mal tourné, Pylade, je l’admets, mais on en a vu d’autres, on s’en sortira encore cette fois-ci. Tu te souviens que j’ai assassiné ma mère et que les juges m’ont acquitté? Qu’est ceci en comparaison? Une polissonnerie, le vol d’un grain de sable sur la rive du Léthé! Ce n’était qu’une plaisanterie, pas vrai? Voler une statuette, donner quelques coups de pied dans les autels de tante Artémis. Comment je pouvais savoir que la Tauride était réputée pour ses sacrifices humains?
On n’est pas des bons garçons, une fois pour toutes. Les bons garçons ne deviennent jamais des hommes. Ils meurent vieux et impuissants sous l’emprise de leur femme, de leur mère ou de leurs filles. Pas nous. Les durs comme nous cassent forcément des choses de temps à autre: une loi, une statuette, un crâne, qu’importe? Je dors tellement mal ces derniers temps, Pylade. Depuis la mort de ma mère, je suis harcelé toutes les nuits par les Furies.
En réalité, on n’a rien fait de mal. Personne n’a été blessé, tué ou violé. On a déjà commis bien pire. Littéralement : blessé, tué, violé. Les gens de notre classe comprennent que ça ne représente pas grand-chose, mais je crains que nous ne soyons pas jugés par les nôtres. Écoute-les crier près du temple, bande de fanatiques religieux. Qui sont-ils? Des moralisateurs, des justiciers, des activistes de salon. Qui les dirige? Une connasse droguée qui se dit prêtresse d’Artémis. Qu’ont-ils vraiment vu? Rien. D’ailleurs, je me souviens à peine de ce qui s’est passé, et toi aussi. Donne-moi la main, Pylade, laisse ma main chercher ta poitrine, que je puisse sentir que tu n’as pas peur.
Ils ne vont quand même pas nous condamner à mort? Deux garçons de bonne famille! On ne les jette pas pour une broutille sous un char! Le monde s’attend à ce que je suive les traces de mon père, mais il ne m’en donne même pas la possibilité. Papa a tenté jadis de sacrifier ma sœur pour un souffle de vent, quel type; depuis, plus jamais entendu parler d’elle. La famille, Pylade, c’est tout ce qui compte. Si je survis, sur moi aussi on écrira des poèmes en hexamètres. On ne peut quand même pas priver les gens de ces poèmes! Peut-être que si. Peut-être qu’on est vraiment allés trop loin, cette fois. La poésie n’intéresse plus personne. Si je meurs, au moins, je serai libéré du fantôme de ma mère. Chut, Pylade, quelqu’un arrive. Est-ce la foule, avec des gourdins et des lances? Ou les bourreaux déjà?
Tu as vu ça? Tu as vu la prêtresse passer? Comme elle nous a regardés? Il y a un système, Pylade. C’est le même depuis dix mille ans, et ce sera encore le même dans dix mille ans. Je ne parle pas de lois, de démocratie ou de ce genre d’idées modernes ; je parle de la famille. J’ai retrouvé ma sœur et elle m’a reconnu. J’en suis sûr. Notre lignée est ancienne. Justice sera faite, comme toujours.