Dix-huit jeunes auteurs et autrices ont donné vie à des objets du XIXe siècle provenant du Rijksmuseum. Ils et elles se sont inspiré·es de la question suivante: que voyez-vous lorsque vous regardez ces objets en portant attention au travail invisible? Avec Pim Lammers, nous nous intéressons à la Maquette du mémorial de J.F. de Friderici de Gerrit Schouten, datant de 1812. «Quelqu’un a-t-il déjà ouvert un pot de peinture rouge?»
© Collectie Rijksmuseum, Amsterdam
Jetez-moi à terre
Il y a peu, un visiteur a demandé au guide où avait été construite ma réplique grandeur nature. Le mot «maquette» venait de tomber.
Il espérait sans doute que ce ne serait pas trop loin. Y avait-il des cordes à l’arrière de sa voiture? Avait-il ouvert le couvercle d’un pot de peinture rouge, ce matin-là?
«Dans la Koepelkerk», s’est-il entendu répondre.
Peut-être était-ce le fruit de mon imagination, mais il m’a semblé que les yeux du visiteur s’illuminaient. Du Rijksmuseum à la Koepelkerk – le trajet était faisable à pied, même avec un pot de peinture plein.
Mais le guide n’avait pas encore fini de répondre: «… à Paramaribo, au Surinam.»
C’est un peu plus loin, à pied.
Mais le guide n’avait toujours pas fini: «… où elle a disparu dans un grand incendie de la ville, il ne nous reste plus que ce petit exemplaire.»
Puis ce fut le tour de l’objet suivant. Piétinements lents, murmures ennuyés.
Un dernier coup d’œil rapide vers moi. Et si je le…?
Mais la plaque du musée me protégeait.
Ceux qui parvenaient à s’échapper, il les traquait, les punissait, les tuait. On l’a récompensé pour ça, par des promotions, d’innombrables compliments, des tapes sur l’épaule. Dois-je mentionner ses treize plantations?
Ces «actes héroïques» sont devenus crimes. Ce que l’on déclamait fièrement autrefois, on ne le prononce plus aujourd’hui sans horreur.
Il arrive que quelqu’un fasse encore une tentative: «Mais il a fait beaucoup pour les lépreux! Il a même fondé une bibliothèque!»
Ils ne connaissent plus la lèpre, mais lire, tout le monde trouve ça important, non?
«Point no 32 à l’ordre du jour: Comment apaiser leur colère?»
J’imagine une assemblée –des hommes en costume, chaussures cirées, cravates serrées.
«Nous n’avons qu’à mettre plus de panneaux, nous appellerons ça de l’éducation.»
Que pourraient-ils bien apprendre de moi? Je ne suis pas un manuel scolaire, je ne suis pas fait pour être source d’enseignement.
J’ai été construit pour honorer, pas seulement pour remémorer. Il est complètement superflu d’aider les gens à se souvenir: les noms des coupables, on les retient.
Où sont les stèles commémoratives des victimes? Ou les maquettes des stèles commémoratives des victimes? Ces gens font désormais partie des statistiques, quand on ne les a pas tout simplement oubliés. Pas de statue, pas de visage, pas de nom. Comme si l’histoire n’avait pas été assez cruelle.
Quelqu’un a-t-il déjà ouvert un pot de peinture rouge?
Ne vous retenez pas plus longtemps. Maculez-moi. Étalez la peinture sur ma surface. Faites rejaillir sur mes contours la honte que je mérite.
«Le musée n’est pas un piédestal», rassurent-ils.
Mais regardez-moi! Je trône en pleine lumière, tout le monde peut me voir.
Il y a longtemps que je ne suis plus une maquette. Les vrais croquis, les vraies maquettes sont jetés après usage. Dès lors, qu’est-ce que je fais encore ici? On ne me copiera plus jamais, je ne veux plus jamais être copié.
Ma réplique a été perdue, mais je suis là. Et je suis le fruit de la même fierté.
Alors, renversez-moi. Jetez-moi à terre, vous n’aurez même pas besoin de cordes. Déchirez-moi en mille morceaux.
Il vous restera toujours la plaque du musée, pas vrai?