Partagez l'article

pays-bas français

Pionnier et moteur de la coopération transfrontalière

Par Elien Declercq, traduit par Michel Perquy
19 juin 2020 13 min. temps de lecture

Il y a trente ans, la province de Flandre-Occidentale et le département du Nord en étaient venus à conclure un accord de coopération. Ce fut le début d’une coopération transfrontalière intense. Au fur et à mesure, ces deux partenaires ont constitué un axe très solide dans cette coopération et au fil du temps, la province a également intensifié la coopération avec le département Pas-de-Calais et la région Hauts-de-France.

«Félicitations pour vos 30 ans de coopération transfrontalière. Vous êtes des précurseurs parce que vos conventions de coopération datent encore d’avant la chute du mur de Berlin. Depuis, beaucoup d’efforts ont été déployés pour surmonter les frontières qui séparent les pays européens, et plus particulièrement les régions frontalières.» C’est par ces paroles que Karl-Heinz Lambertz, président du Comité européen des Régions, a ouvert la célébration des 30 ans de coopération transfrontalière entre la province de Flandre-Occidentale et le département du Nord, qui a eu lieu le 21 octobre 2019 au STAB Vélodrome de Roubaix.

Trente ans plus tôt, dans le contexte d’une pensée progressiste et d’un enthousiasme croissant pour le projet européen, un protocole d’accord a été signé à Bruges le 16 octobre 1989 entre la province de Flandre-Occidentale et le département du Nord. Les signataires étaient Bernard Derosier, à l’époque président du Conseil général du Nord, Olivier Vanneste, à l’époque gouverneur de la province de Flandre-Occidentale, et Marie-Claire Van der Stichele, à l’époque députée de la province de Flandre-Occidentale chargée des Relations extérieures. Ce protocole d’accord prévoyait la création d’une Commission mixte permanente, chargée de développer des activités communes en vue de stimuler la croissance économique et les échanges sociaux et culturels entre la Flandre-Occidentale et le nord de la France. Des projets ont surtout vu le jour dans les domaines où les deux administrations disposaient de compétences comparables et où le cadre législatif national n’était pas trop contraignant, tels que la culture, le tourisme et l’environnement. Pour la première fois dans l’histoire, des autorités locales donneraient corps à la coopération transfrontalière. Jusque-là, en effet, les contacts politiques s’étaient pour la plupart limités à des conventions bilatérales entre les autorités centrales.

Il va de soi que les progrès de l’unification européenne ont joué un rôle crucial dans cette évolution. Le plan qui fut développé en 1985 par Jacques Delors, à l’époque président de la Commission européenne, avait suscité une dynamique européenne inédite. Par les Accords de Schengen, cet homme politique français ambitionnait de supprimer pour le 1er décembre 1992 tous les obstacles physiques, réglementaires et fiscaux qui entravaient la libre circulation effective des personnes, des biens, des services et des capitaux au sein de la Communauté européenne. Les conséquences se firent surtout ressentir dans les régions frontalières, car on vit disparaître d’importants obstacles frontaliers. L’unification européenne offrit aux zones frontalières la possibilité d’occuper une nouvelle place centrale, hors du contexte national. Cette coopération entre l’Europe et les régions constituait en effet l’idée de base de la politique de cohésion de l’Europe.

Le tournant de 1989

En ces temps de prise de conscience européenne, les accords entre la province de Flandre-Occidentale et le département français du Nord constitua un premier tournant important dans le développement de la coopération transfrontalière avec le nord de la France. La province flamande anticipait de cette manière sur les événements qui se développeraient au cours des décennies suivantes. Peu après, en 1991, la Commission européenne lança l’initiative communautaire Interreg, destinée à mettre des moyens financiers à la disposition d’initiatives transfrontalières dans les régions frontalières. En 2005, à l’initiative du Premier ministre français de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, un groupe de travail franco-belge fut instauré. Six parlementaires français et six de leurs collègues belges furent chargés de formuler des propositions en vue de stimuler la coopération transfrontalière dans la conurbation Lille-Courtrai-Tournai. Leur tâche consistait à définir les obstacles juridiques et à imaginer une structure administrative possible pour une métropole transfrontalière. Cette dernière recommandation suscita en 2008 la création du premier Groupement européen de Coopération territoriale (GECT), baptisé «Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai». Dès l’année suivante, en 2009, un deuxième GECT vit le jour dans la région, le «West-Vlaanderen/Flandre-Dunkerque-Côte d’Opale». Dans la région frontalière franco-belge, les moyens (Interreg) et les instruments (GECT) que la Commission européenne mettait à disposition pour stimuler la coopération transfrontalière sont encore toujours d’actualité. Cependant, afin d’utiliser ces moyens et ces instruments de manière optimale, il est d’une importance cruciale que le courant passe le mieux possible entre les autorités des deux côtés de la frontière.

Ne pas sous-estimer l’importance de la diplomatie territoriale

Les contacts constructifs entre les niveaux de pouvoir west-flamands et français du Nord sont le résultat de longues années d’élaboration et d’entretien de relations amicales, dont la députée Marie-Claire Van der Stichele-De Jaegere a été une pionnière. Mandaté de son côté par le gouvernement de la Flandre, le gouverneur Paul Breyne a été le premier coordonnateur pour la coopération avec le nord de la France et il s’est d’ailleurs montré très favorable à la coopération transfrontalière. L’actuel député chargé des Relations extérieures, Jean de Béthune, met pas mal de choses en mouvement grâce à ses liens personnels avec ses collègues français. La province a acquis une grande expérience en tant que facilitateur pour établir des contacts entre les bons acteurs transfrontaliers en vue du lancement de projets qui obtiennent souvent un cofinancement de la Commission européenne. Ces six dernières années, par exemple, quelque cinq cents projets ont été réalisés conjointement avec toutes les régions frontalières de la Flandre-Occidentale, représentant un budget de 250 millions d’euros.

La coopération institutionnelle avec le nord de la France est un processus continu. Au cours des dernières années, cette coopération est devenue plus intense et plus diversifiée. ‘Plus intense’ en raison de la multiplicité de partenaires institutionnels avec lesquels la province coopère actuellement : non seulement avec le département du Nord, mais aussi avec le département du Pas-de-Calais, la région Hauts‑de‑France, des communautés de communes jusqu’à même l’État français. ‘Plus diversifiée’ du fait que les dossiers frontaliers deviennent de plus en plus complexes et requièrent l’implication de plusieurs instances compétentes comme, par exemple, pour la reconversion du site du poste de douane à Callicanes. Il y a sans aucun doute à la base de cette évolution les réformes successives de différents niveaux de pouvoir dans les deux pays entraînant des changements de compétences. Coopérer au-delà des frontières demeure donc un défi, même après trente ans de coopération institutionnelle et plus de vingt-cinq ans de politique de cohésion européenne.

Un axe stable avec le département du Nord

Depuis 1989, le département du Nord et la province de Flandre-Occidentale ont réalisé en commun quelque soixante-dix projets, surtout dans les domaines du tourisme, de la culture, de la gestion de l’eau et de l’agriculture. De nombreux échanges, des visites d’étude, des rencontres techniques et politiques ont donné lieu à des initiatives et des projets concrets ou ont été à la base d’accords spécifiques. Mais cette coopération aussi a ressenti les conséquences des récentes réformes institutionnelles et territoriales qui ont touché aussi bien le département du Nord que la province de Flandre-Occidentale respectivement depuis 2015 et 2018. Bien que ces réformes se soient déroulées de manière asymétrique de part et d’autre de la frontière – la Flandre-Occidentale perdit ses compétences dans les matières personnalisables tandis que les actions sociales du département du Nord furent au contraire renforcées – les deux autorités sont néanmoins parvenues à poursuivre avec efficacité la coopération autour des thèmes qui intéressent la population frontalière ; le partenariat trentenaire entre la province de Flandre-Occidentale et le département du Nord demeure un axe stable dans la coopération transfrontalière franco-belge. Cela ne se traduit pas seulement dans une approche plus intégrée et transversale, mais aussi dans le fait que les deux autorités n’ont rien perdu de leurs compétences de facilitation, bien au contraire. Ces dernières années, la province et le département ont réussi à organiser les initiatives nécessaires en matière d’échanges transfrontalièrs de données et de travail frontalier.

Une coopération plus intense avec le département du Pas‑de‑Calais à cause du Brexit

Les liens avec le département du Pas‑de‑Calais s’intensifient depuis une dizaine d’années. Avec son tissu de PME, son secteur agricole et l’absence d’une grande métropole, le Pas‑de‑Calais présente de remarquables ressemblances avec la Flandre-Occidentale. Afin de renforcer ces liens et de dépasser une coopération purement thématique, une déclaration d’intention de coopération bilatérale a été signée en 2014 à Arras. Cette déclaration visait également à renforcer les liens avec le Kent County Council avec lequel le département du Pas‑de‑Calais entretenait un lien historique. Une déclaration avec ce comté anglais fut également signée en 2014 à Ypres, pas tout à fait par hasard l’année du début de la période commémorative de la Grande Guerre. Paradoxalement, cette coopération tripartite s’accéléra à cause du départ du Royaume-Uni de l’Union européenne. Ce retrait aura évidemment un impact important sur notre région frontalière et les nouveaux rapports que le Royaume-Uni établira avec l’Union européenne changeront sans aucun doute nos liens actuels. Il sera plus que jamais nécessaire d’intensifier la coopération transfrontalière avec les Britanniques. C’est la raison pour laquelle les départements français du Nord et du Pas‑de‑Calais, les provinces belges de Flandre-Occidentale et Flandre-Orientale, la province néerlandaise de Zélande et le comté britannique de Kent ont décidé de lancer une nouvelle forme de coopération multilatérale : le Comité du Détroit (Straits Committee, Comité van de Kanaalzone aan de Noordzee). Prônant le dialogue et la coopération, ce comité a pour objectif d’adoucir les effets et les défis qu’entraînera le Brexit en renforçant les relations entre les institutions et en les élargissant aux acteurs de la région du Détroit, c’est‑à‑dire aux associations, universités, acteurs économiques et autres partenaires locaux et régionaux.

La région Hauts‑de‑France

La région Hauts‑de‑France (jusqu’en 2015 région ‘Nord – Pas-de-Calais) assume depuis les dernières réformes territoriales des compétences importantes comme l’économie et la mobilité en lieu et place du département du Nord, de sorte qu’une coopération avec ce niveau politique est tout aussi importante pour la Flandre-Occidentale. Dans le cadre du programme Interreg V France-Wallonie-Vlaanderen, la région Hauts-de-France est en tant qu’autorité partenaire chef de file pour la partie territoriale française, un partenaire constructif qui défend les intérêts transfrontaliers avec la Flandre-Occidentale, elle-même autorité partenaire chef de file pour la partie flamande. Ces dernières années, des compétences spécifiques de départements ou communes sont passées aux mains d’associations intercommunales ou communautés de communes. Pour certains dossiers, la province a des contacts avec la Métropole Européenne de Lille (MEL) et la Communauté urbaine de Dunkerque (CUD), mais il existe aussi une demande croissante de coopérer avec la province sur des thèmes spécifiques de la part d’organismes à plus petite échelle comme la Communauté de Communes Flandre Intérieure (CCFI) et la Communauté d’Agglomération du pays de Saint-Omer (CAPSO). De son côté, représenté par le préfet de la région Hauts-de-France et à l’occasion de l’actualisation du rapport parlementaire franco-belge 2015-2016, l’État français a lancé l’initiative de réunir des experts sur des thèmes frontaliers comme la qualité de l’air, le transport de marchandises et le travail frontalier, pour lesquels il faudrait trouver des solutions communes.

Paradoxes de la coopération transfrontalière

En Flandre-Occidentale, le contact quotidien avec l’univers français a beaucoup diminué ces dernières décennies. Les autorités locales en Flandre-Occidentale et dans le nord de la France se sont donc investies dans la coopération transfrontalière au moment où les contacts spontanés de la vie quotidienne avec notre région voisine sont devenus moins intenses. Une institutionnalisation croissante de la coopération transfrontalière (par le biais d’accords, de plateformes et de structures juridiques) ainsi que le financement de projets transfrontaliers (FEDER et autres fonds) démontrent que les difficultés ont été gravement sous-estimées en 1993. La disparition des contrôles frontaliers physiques n’a pas suscité la disparition de barrières invisibles et n’a pas été en mesure de freiner le recul de la francophilie. Cependant, il est très positif que les pouvoirs publics et les organisations aient davantage pris conscience de l’importance de la coopération transfrontalière.

La possibilité de fermer les frontières en temps de crise prouve bien que la coopération transfrontalière n’est pas chose acquise

Partout en Europe, à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, des autorités locales ont été les initiateurs d’une coopération transfrontalière et, plus récemment, d’autres autorités et organisations se sont professionnalisées : le gouvernement flamand et ses agences, des villes centrales, des organisations syndicales telles que UNIZO (Union des Entrepreneurs indépendants) et VOKA (Réseau d’entreprises flamand), etc. En plus, la dynamique économique hors frontière a connu une formidable augmentation : l’ouverture des frontières a multiplié les contacts entre les entreprises.

De l’audace, de la patience et de la confiance

Dans le transfrontalier, il faut de l’audace et de la patience, a déclaré un jour le Français Pierre Mauroy, ancien premier ministre, maire de Lille et grand instigateur de l’Eurométropole. Il faut certes de l’audace et de la patience, mais beaucoup de confiance aussi. En plus de tous les stimulants émanant de la Commission européenne, la confiance entre les personnes demeure la base d’une coopération au-delà des frontières. Car malgré un grand nombre d’investissements, de projets et d’initiatives, les obstacles dans les régions frontalières demeurent nombreux pour ces 30 % de la population européenne qui habitent dans ces régions frontalières.

L’audace, la patience et la confiance seront plus que jamais les mots clés après le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne et la crise du Covid‑19. Ce sont des événements historiques qui laisseront certainement des cicatrices dans la région frontalière franco-flamande. Dans un article paru le 25 mars 2020 dans France Info, un journaliste a décrit en ces termes les conséquences des mesures belges prises à l’occasion du coronavirus Covid‑19 sur la vie près de la frontière : «… depuis les mesures de confinement liées à l’épidémie de coronavirus Covid‑19 et les restrictions de circulation imposées chez nos voisins, la frontière a pris des allures de Berlin à l’époque de la Guerre froide». Depuis la Guerre froide, nous n’avons en effet plus ressenti la dure réalité d’une frontière. Les paroles de Karl-Heinz Lambertz prennent une nuance âpre et nous avertissent sans plus de demeurer vigilants. La possibilité de fermer les frontières en temps de crise prouve bien que la coopération transfrontalière n’est pas chose acquise. Nous serons donc tous confrontés à un énorme défi une fois que cette crise sera derrière nous. En tant qu’unique province flamande voisine de la France, la province de Flandre-Occidentale continuera à jouer un rôle important dans la coopération transfrontalière. Ce n’est qu’en restant ‘tous ensemble’ que les crises peuvent être surmontées.

IMG 20200529 WA0011

Elien Declercq

Conseillère adjointe Relations avec le nord de la France - Province de Flandre-Occidentale

Commentaires

La section des commentaires est fermée.

Lisez aussi

		WP_Hook Object
(
    [callbacks] => Array
        (
            [10] => Array
                (
                    [00000000000026790000000000000000ywgc_custom_cart_product_image] => Array
                        (
                            [function] => Array
                                (
                                    [0] => YITH_YWGC_Cart_Checkout_Premium Object
                                        (
                                        )

                                    [1] => ywgc_custom_cart_product_image
                                )

                            [accepted_args] => 2
                        )

                    [spq_custom_data_cart_thumbnail] => Array
                        (
                            [function] => spq_custom_data_cart_thumbnail
                            [accepted_args] => 4
                        )

                )

        )

    [priorities:protected] => Array
        (
            [0] => 10
        )

    [iterations:WP_Hook:private] => Array
        (
        )

    [current_priority:WP_Hook:private] => Array
        (
        )

    [nesting_level:WP_Hook:private] => 0
    [doing_action:WP_Hook:private] => 
)