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Pleins feux sur le collectif théâtral Schwalbe

Par Annette Embrechts, traduit par Evelyne Codazzi
22 avril 2021 6 min. temps de lecture Le virus de la scène

Une masse de gens qui tourne continuellement en rond sur la scène, un petit groupe de mimes qui maintient allumée une lampe de théâtre en pédalant ardûment, des acteurs qui s’arrachent mutuellement les vêtements. Faites connaissance avec le théâtre radical et intransigeant de Schwalbe, un collectif issu de l’école de mime d’Amsterdam.

Ils l’ont fixé noir sur blanc dans un contrat: jusqu’à leur mort, les membres du collectif théâtral Schwalbe rejoueront au moins une fois tous les cinq ans leur spectacle commun de fin d’études de 2008 et enregistreront le résultat sur pellicule. Après le décès du dernier «Schwalbe», ces films, qui jettent un pont sur plusieurs décennies, arriveront entre les mains d’un jeune artiste, libre d’en faire un document historique, un documentaire ou une autre œuvre d’art: Schwalbe Till We Die.

Cela peut sembler une promesse spontanée, pleine d’optimisme, si ce n’est que Spaar ze (Épargnez-les, 2008), mis en scène par Lotte van den Berg, est une vraie guerre d’usure physique: neuf mimes sautillent pendant une heure sur des rythmes techno très durs. À de rares moments, ils insèrent une brève pause pour un aparté inaudible, une bouteille d’eau pour se rafraîchir ou une tomate pour la soif. Pour reprendre ensuite à plein volume leur club dance suante et trépignante. Essayez donc de refaire cela à l’âge de cinquante, soixante ou quatre-vingts ans.

Des cascades minimalistes

Caractéristique de ce collectif théâtral créé en 2009 est le fait de développer une seule action énergique simple en un acte mythique, jusqu’à un niveau où cette action énergique ne semble plus être agréable. Comme pédaler à vélo dans Schwalbe speelt op eigen kracht
(Schwalbe joue de ses propres forces, 2010), courir dans Schwalbe zoekt massa (Schwalbe cherche la masse, 2013), ou construire et démolir dans Schwalbe speelt een tijd (Schwalbe joue un temps, 2016).

Rien d’étonnant alors qu’à l’occasion d’une suite de représentations de l’œuvre complète du groupe en 2016 au Kaaitheater bruxellois, la critique de théâtre flamande Evelyne Coussens ait décrit le style théâtral de Schwalbe comme une forme de «cascades minimalistes». (1)

Dans toutes les productions de Schwalbe, il y a toujours un moment où les spectateurs se demandent: ces cascades minimalistes, est-ce bien encore du théâtre? Schwalbe ne choisit inévitablement jamais des histoires, des personnages, des conflits dramatiques ou des décors situationnels. Presque toutes les représentations sont radicalement vides. Même si dans Schwalbe speelt een tijd le collectif construit et démolit un décor, il s’agit d’éléments provenant d’anciens spectacles légendaires d’autres compagnies néerlandaises. Chaque fois qu’avec des gants de protection un décor est construit, prêt à prendre vie par le jeu et les acteurs, Schwalbe reprend calmement le processus de démolition. Et ce, de 23 heures 59 à 6 heures du matin. Un travail de Sisyphe comme rituel méditatif. Déplacer des décors toute une nuit -c’est aux spectateurs de laisser vaquer leur imagination. Ils peuvent même s’assoupir tranquillement ou aller s’acheter une friandise.

Mime avec une tournure néerlandaise

Le théâtre de mouvement muet et décapé de Schwalbe s’inscrit dans la forte tradition du mime au sein du théâtre néerlandais. Dans les années 1960, le «mime corporel dramatique» est activement introduit aux Pays-Bas: une technique théâtrale expressive développée par l’acteur français Étienne Decroux (1898-1991).

À partir de là, des acteurs comme Will Spoor, Frits Vogels, Jan Bronk et Luc Boyer posent une base pour une discipline théâtrale qui, en tant que mime néerlandais, va faire fureur et bousculer les anciens codes. Le point de départ n’est pas un texte théâtral ou un personnage, mais le corps, une improvisation, une idée, un mouvement.

Ce sont là les instruments utilisés pour, par exemple, rendre visible un espace, donner une forme physique à un thème ou créer des images plus importantes que des mots. Le texte peut jouer un rôle, mais il est subordonné au corps comme moyen d’expression.

Ce «mime corporel avec une tournure néerlandaise»(2) donne naissance aux Pays-Bas à des groupes novateurs tels que Carrousel, Bewth, Carver, Nieuw West et Suver Nuver. Entre-temps, le flambeau de l’avant-garde est repris par des dramaturges originaux, comme Jetse Batelaan, Jakop Ahlbom, Boukje Schweigman, Lotte van den Berg et les créateurs de Bambie. Chacun avec une signature propre.

Une masse de gens qui tourne en rond

Dans la ligne du théâtre muet et ralenti de, notamment, Jetse Batelaan, Boukje Schweigman et Lotte van den Berg, Schwalbe choisit un cap radical, avec au cours de cette dernière décennie une production d’environ une représentation tous les dix-huit mois. Entre-temps, les membres du collectif peuvent faire des spectacles ailleurs. Le collectif compte au départ neuf acteurs, tous spécialisés dans la même discipline: Christina Flick, Marie Groothof, Melih Gencboyaci, Hilde Labadie, Floor van Leeuwen, Kimmy Ligtvoet, Bas van Rijnsoever, Ariadna Rubio Lleó et Daan Simons. Par la suite, le noyau se compose temporairement de sept acteurs, parfois même de cinq. Aujourd’hui ils sont six.

Au début, le thème central des représentations de Schwalbe était surtout la relation entre l’individu et le groupe. Cela s’exprime le plus fortement dans Schwalbe zoekt massa: sept mimes courent en rond autour de la scène, avec dans leur sillage soixante-dix à cent bénévoles de tous les âges. Un noyau fixe de 35 personnes participe dans chaque ville, complété par des bénévoles locaux. Le plus jeune a 18 ans et le plus âgé 89.

La seule chose que fait le groupe est de courir en rond, un tourbillon d’une masse de gens tacites. Aucun ne fait de mouvements inutiles, ils laissent pendre des mèches de cheveux. Seuls des écarts dans la motricité et des accrocs dans l’endurance créent de petits remous dans la masse sirupeuse. Quand survient l’épuisement, de vraies personnes commencent à se profiler; le spectateur découvre de plus en plus dans la meute des individus avec leurs singularités.

Les images d’une masse de gens qui tournent en rond éveillent d’innombrables associations. De la délicieuse euphorie de se fondre dans la foule comme dans une manifestation ou lors d’un concert, à la peur de la force incontrôlée et destructrice d’une masse. En ce sens, Schwalbe zoekt massa peut être qualifié de spectacle politique, comme le décrit Elias Canetti dans son livre Masse et Puissance: «Soudain c’est noir de gens partout, et il en arrive de plus en plus, comme si les rues n’avaient qu’une seule direction. La majorité ne sait pas ce qui se passe, mais elle se presse vers l’endroit où il y a le plus de monde.»

Une gymnastique théâtrale avec une strate plus profonde

En 2010, le collectif théâtral fait une déclaration frappante, lors de la représentation de Schwalbe speelt op eigen kracht: une représentation neutre en CO2 dans laquelle le groupe maintient allumée une lampe de théâtre en pédalant sur de vieux home-trainers. Ils se donnent physiquement à fond pour littéralement rester sur scène. Quand ils s’arrêtent de pédaler comme des possédés, la lumière s’éteint. Ils ont répété sans chauffage, les home-trainers proviennent de brocantes et les flyers ont été imprimés sur du vieux papier.

C’est là que le nom Schwalbe évoque pour la première fois des associations avec une marque de pneus de vélo allemande du même nom. On pourrait appeler ça de la gymnastique théâtrale avec une strate plus profonde. Tout comme dans leur troisième production Schwalbe speelt vals (2012), mise en scène par le dramaturge britannique Tim Etchells, où les acteurs se mettent à se battre entre eux et s’arrachent les vêtements les uns aux autres. Ils cherchent la conséquence ultime de la réalisation d’un combat physique, un combat où personne ne respecte plus les règles. Ils se tiraillent les cheveux ; ils se prennent à la gorge et, à plusieurs reprises, font comme des footballeurs un plongeon-simulation (Schwalbe en allemand).

Combien de temps encore Schwalbe continuera-t-il à pratiquer ce théâtre radical, intransigeant, «décapé de tout ce qui fait l’essence du théâtre»?(3) Nous verrons. Si cela tient aux membres de Schwalbe
eux-mêmes, jusqu’à leur mort: Till We Die. Avec Spaar ze comme unique scène de mort : peu de théâtre, mais beaucoup de mouvement.

Embrechts

Annette Embrechts

critique de théâtre

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